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1843.

LE POISSON D'AVRIL.

Prends garde, jeune fille, aux yeux doux et coquets,
Aux amants inconstants, aux argus indiscrets:
Car le frêlon, vois-tu, vole à l'abeille
Son miel,

Et puis l'amant qui te parle à l'oreille
Du ciel,

Pour mieux voiler sa mondaine inconstance,
Et mettre ton cœur en péril,

Médite de troquer ton beau lys d'innocence
Contre un poisson d'avril.

Epoux, qui vous aimez, conservez bien vos feux,
L'amour, durant l'hymen, est souvent soucieux;
Dans le beau temps, il faut un peu d'orage

Au ciel,

Et l'on n'a pas toujours dans le ménage
Du miel.

On savoure par fois des délices d'ivresse,
Mais Cupidon retraite-t-il,

On n'a plus dans la bouche un seul mot de tendresse :
L'amour est un poisson d'avril.

Vous tous, qui comptez trop sur le temps à venir,
Qu'entourent les amis, vivez dans le plaisir,

Heureux frêlons, qui volez à l'abeille

Son miel,

Venez, je veux vous parler à l'oreille
Sans fiel:

Ah! ménagez le temps et la fortune,
Le plaisir, ce poison subtil,

Vous mènera tout droit au chemin d'infortune:
C'est un ancien poisson d'avril.

Avares, qui courez après l'argent et l'or,
Qui grossissez sans cesse un futile trésor,
Sans que jamais le pauvre, la patrie,
Le ciel

N'ait sa part du lingot, ah! votre vie
De miel

Vous mènera tout droit chez Proserpine
Où je vous envoie en exil!

Songez, vilains, fesant maigre cuisine,
Qu'enfer est un mauvais poisson d'avril.

Torys, qui tourmentez vos frères canadiens,
Qui pillez leurs trésors et ravissez leurs biens,
Qui maudissez Bagot qui trop vous donne

De fiel,

Enfants gâtés un jour, par votre bonne
De miel,

Vous reniez ministres responsables:
Ogden, cet aimable alguazil,

Ce roi Petaud déchu de tant misérables,
Vous reste pour poisson d'avril!

Errant en vagabond, politique Cain
Qui grossit ses trésors du sang de l'orphelin,
A lord Stanley tant qu'il peut il inspire

Du fiel,

Ah! s'il pouvait trouver dans son martyre
Du miel,

Replacer au pouvoir la canaille déchue
Et trouver en dédale encore un bout du fil...
Mais, voyez, il viendra de l'officielle rue (1)
En vrai poisson d'avril!

J. G. BARTHE.

1843.

UNE LEÇON.

Guillot, armé d'un gros tronc de sarment,
Emoustillait sa femme un jour de fête;
On court au bruit.-Eh! voisin, doucement,
Tu vas lui rompre ou les reins ou la tête!
-Depuis vingt ans, ami, je lui répète
De l'alphabet deux lettres seulement,
Mais point ne veut en meubler sa mémoire.
-Parbleu! compère, il est donc décidé

Que ces lettres sont du grimoire ?

-Eh! non, morgué, ces lettres sont C D.

(1) Downing Street.

D. B. VIGER.

1843.

LE RÈGNE DU JUSTE.

Assez longtemps régna l'ange du crime,
Tremblant et pâle il recule d'horreur;
En maudissant il a vu sa victime
Se relever forte après le malheur !
O ma patrie!

Terre chérie !

Repose en paix,

Ton ciel sera beau désormais.

Assez longtemps le sceptre tyrannique
Pésa sur toi, le martyr du pouvoir;
Un jour paraît où la pensée inique
Tombe et se brise à l'aspect du devoir !...
O ma patrie!

Terre chérie !

Repose en paix,

Ton ciel sera beau désormais.

Le mal fut fait, il en reste des traces,
Mais comme l'ombre elles disparaîtront;
De l'ennemi les jalouses menaces
N'ajouteront que la honte à son front.
O ma patrie!

Terre chérie!

Repose en paix,

Ton ciel sera beau désormais.

Gloire à Bagot, dont la mâle énergie
Sut ramener l'aurore de beaux jours!
Puisse le ciel, en prolongeant sa vie,
De douces fleurs en parsemer le cours !
O ma patrie !

Terre chérie!

Repose en paix,

Ton ciel sera beau désormais.

Mais une larme a coulé sur ma lyre,...
Chargés de fer gémissent des absents!...
O mon pays! puissé-je bientôt dire:
"Noble pardon inspire mes accents"

O ma patrie!
Terre chérie!

Repose en paix,

Ton ciel sera beau désormais.

P. PETITCLAIR.

1843.

LE BAL.

Que le bal est joyeux! vois ces nombreux quadrilles ;
Le plaisir fait briller ces yeux de jeunes filles,
Anime tous leurs pas, rit dans toutes les fleurs:
Partout, papillon frais, il vole, il se repose;
Il pare la danseuse à la peau blanche et rose
De ses plus riantes couleurs.

J'aime ce bal avec son lustre aux mille flammes,
Ses bijoux, ses parfums, ses folles jeunes femmes,
Qui froissent leurs tissus dans un rapide élan;
Leur bonheur enfantin, frêle et léger comme elles,
Et dans un coup d'archet, dans leurs gazes nouvelles,
Dans les nuances d'un ruban.

Les vois-tu balancer leurs plumes, leurs dentelles;
Sourire à ces miroirs qui les montrent si belles;
Puis dans un cercle étroit, où la foule survient,
Former les pas divers de leur danse rapide,
Pesant sur le parquet comme un oiseau timide
Sur la branche qui le soutient.

Mais l'orchestre se tait, et chaque jeune fille
Marche alors vers le banc de velours où l'or brille,

Fait un léger salut, et quitte son danseur;

Puis implore un peu d'air de l'éventail docile,
Qui s'agite semblable à la feuille mobile
Qu'on voit frémir près d'une fleur.

Le salon resplendit de saphir, de topaze,
Et cent femmes lui font un vêtement de gaze;
Tout est satin rubans, guirlandes et joyaux:
Partout sur des fronts blancs et moites on admire
Ces bouquets toujours frais, qui jamais n'ont vu luire
D'autres soleils que des flambeaux.

Mais l'orchestre résonne, et le cercle s'envole:
La galoppe! oh! vois donc la fantasque, la folle,
Bondir toute joyeuse, et dans ces tours adroits,
Traverser les salons au gré de son caprice;
La voilà qui s'élance, et court, et vole, et glisse,
Et tourne sans ordre et sans lois.

Viens, l'huile brûle encor dans les lampes d'albâtre;
Dansons, mais un rayon à la lueur blanchâtre
Glisse sur le parquet, sur les rideaux soyeux :
Tout effrayés du jour les quadrilles finissent;
Dans les flambeaux dorés les lumières pâlissent
Comme les étoiles aux cieux.

Il faut partir! Voici que les pâles danseuses
Jettent sur leurs cols nuds les écharpes moëlleuses;
Puis, lançant tristement un coup d'œil aux miroirs,
Posent les shals épais sur leurs fraîches parures,
Et les amples manteaux tout couverts de rayures,
Avec les boas longs et noirs.

Nous allons le quitter, ce bal, mais son image
Va nous suivre du moins comme dans un nuage:
Ces femmes aux pieds fins, ces danseurs passagers,
Pendant notre sommeil fécond en doux mensonges,
Riant et voltigeant, vont passer dans nos songes,
Comme les fantômes légers.

1843.

PLAINTES... VEUX... ESPOIR

DES EXILÉS POLITIQUES.

Malheureux! ah! nos plaintes sont vaines,
Nulle main ne vient sécher nos pleurs!
Frémissant au seul bruit de nos chaînes,
Quel écho redirait nos malheurs ?
Pour un crime, effacé par nos larmes,
Nous avons perdu la liberté ;

Et ce site eût-il les plus doux charmes,
C'est notre exil, qu'importe sa beauté ?

A. S.

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