à connaître les hommes, et cette expérience, je voudrais ne l'avoir jamais eue... Ah! Bellire... Mais non, tu ne mérites pas un mot, même de reproche. Je vous conseillerais seulement, à toi et à ton monstre d'ami, d'aller voir les Yankées, pour me servir de l'expression de ce dernier,... et cela au plus tôt. BELLIRE. Ah! monsieur! est-ce là, la récompense qui m'était réservée pour tout l'intérêt que me suggérait mon amitié pour vous? Est-ce là ce que vous appelez de la reconnaissance! DELORVAL. Hors de ma vue... Il est de mon devoir d'informer la justice, et je vais le faire immédiatement. BELLIRE, (avec dépit.) Allez, monsieur, l'innocence ne craint rien. Je vous recommanderai seulement, à mon tour, de soigner un peu plus vos expressions: sinon une bonne action en diffamation de caractère pourrait vous rendre encore plus vieux que vous êtes. DELORVAL. Insolent !... tu oses... (Il s'avance vers Bellire qui sort.) SCÈNE XXII. DES PRÉCÉDENTS, EXCEPTÉ BELLIRE. DELORVAL, (allant vers Auguste et lui donnant la main.) Auguste!... Je ne saurais te demander assez de pardons, pour avoir pu te soupçonner un seul instant de dépravité, de malhonnêteté. Vois-tu, j'avais les yeux fermés; on vient de me les ouvrir. J'en suis heureux pour toi et malheureux pour moi. Je vois aujourd'hui bien mieux qu'auparavant. Je m'aperçois que l'homme, c'est l'intérêt ;... Ah! Auguste... tu oublieras les effets de mon inexpérience. AUGUSTE. Monsieur, je vous l'avoue, je n'avais jamais encore éprouvé les angoisses qui m'ont torturé aujourd'hui... mais le présent me dédommage amplement du passé... Pourtant j'aimerais à connaître le stratagème dont il s'est servi contre moi. DELORVAL. Forgé un extrait;... une lettre... Tu connaî tras tout. (Villomont se lève.) Monsieur le notaire voudra bien avoir la complaisance d'attendre la passation du contrat de mariage, pour passer la donation. Il recevra le paiement du trouble qu'on lui a donné aujourd'hui. VILLOMONT. Oh! corbleu! cela est entendu entre les parties. DELORVAL, (à Susette.) J'ai mille obligations à Susette pour sa conduite, et je veux que son mariage avec Nicodême soit célébré avec le vôtre. (s'adressant à Auguste et Caroline.) Je me charge aussi de sa dot. SUSETTE. Oh! monsieur... NICODÊME, (avec transport.) Pour lors, notre cher maître, je m'sens l'âme toute remuante de reconnaissance pour vos bontés. Et voilà. (à Susette,) Ah! Susette, embrassons-nous! (il veut embrasser Susette.) Nicodême !... SUSETTE, (se défendant.) DELORVAL, (à Caroline.) Eh bien! ma Caroline, hein? N'avais-je pas raison de te dire que la fortune c'était l'inconstance? quand pars-tu pour la campagne? CAROLINE, (souriant.) Il me semble que je suis mieux, mon oncle: je vais attendre encore quelque temps. DELORVAL. Allons, mes enfants, à mardi les deux noces. En attendant je vais prendre du repos. J'en ai besoin, après les secousses que je viens d'éprouver. 1842. LE PROCÈS PERDU. (Inédit.) ENVOI À UN AMI. Désirant ne pas voir ton attente trompée, Un procès chatouilleux qu'un bon client perdit, LES POIS MANGÉS. Récit d'un plaideur malheureux. F. M. DEROME. J'ai perdu mon procès; c'est la faute du juge: Voulez-vous un récit de ma petite histoire ? Un jour du mois dernier, (jour néfaste sans doute,) Trois pourceaux gras, dodus, qui s'étaient mis en herbe Et de ma qualité ne faisant aucun cas, Prenaient à mes dépens un copieux repas: Etres sots et gourmands et que nulle clôture Qui, du bien étranger fort avides toujours, Troublent la paix des champs et tourmentent nos jours! Aussitôt sans m'armer d'un courroux homicide, Et mande deux témoins qui, mesurant le tort, Mais celui-ci répond: "Nenni, vous n'aures rien... ་ Or, je tiens que neuf francs, considérant la chose, "Sont un ample paîment pour si chétive cause... "A prendre cette somme à l'instant consentez, “Ou, s'il vous plait, messieurs, de ma maison sortez." -"Neuf francs, dis-je, neuf francs! ma foi, le voisin rêve."... A ces mots, furieux, l'honnête homme se lève Et nous adjugeant droit un coup de pied au . ... A mon tour inspiré du courroux qui m'enflamme, Ainsi qu'un nautonnier peut compter sur sa voile, Arrive l'audience et la foule s'assemble: Enfin sonne pour moi l'heure triste et suprême: De mots insidieux rhabille ses répliques, Affectant cet air haut et ce ton suffisant Dont l'idiot public respecte l'ascendant, Et sûr d'émerveiller quelqu'un de l'auditoire, "Un sot trouvant toujours un plus sot pour le croire." L'autre, vrai chicaneur, complique les débats : Je riais en ma barbe à cette faribole, Croyant qu'un juge au moins n'est point esprit frivole Ne saurait empêcher qu'un juge est comme un autre, Que l'on craint ces mortels que l'hermine décore! Bref, sans délibérer, mon juge, homme de poids, De tous dépens en sus me fit payer la sauce. Quel homme, bon lecteur, sous notre firmament A jamais prononcé semblable jugement ? Verrons-nous "l'habitant" qui chez soi n'est plus maître, Vous en déciderez sur la foi de ces vers. F. M. DEROME. |