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1842.

LA CAMPAGNE AU PRINTEMPS.

Cette scène d'amour que le printemps déploie,
Cet oiseau qui roucoule, enivré de sa joie,

Ces troupeaux bondissants qui paissent dans les prés,
L'herbe qui reverdit dans ces champs émaillés,

Ces fleurs et ces bourgeons, ces doux présents de Flore,
Ces rayons de Phébus, ces reflets de l'aurore,
Ce calme azur du ciel, ce crépuscule en feux,
Cet horizon doré qui dérobe les cieux,
Cet harmonique accent de toute la nature
Qui dresse vers le ciel un temple de verdure,
Ces suaves zéphirs arrivant des vallons,
Ce baume des bosquets, ces agrestes chansons,
Ce parfum de bonheur qui sort de chaque rose,
Ce calice épanché de la fleur fraîche éclose,
Ce solitaire bois où soupire un moineau
Près d'une tourterelle, en sa langue d'oiseau,
Ce royaume innocent est fait pour le poète!
Ce séjour de bonheur doit être sa retraite !
Ah! l'âme en solitude, au sein de cette paix,
L'être béni de Dieu qui savoure à longs traits
Le frais de la campagne et cette calme vie,
Et trouve à confier son âme à quelque amie,
Sait-il qu'il doit au ciel son plus riche trésor?
Quel besoin a son cœur, que lui faut-il encor?...
Quand chaque jour ressemble à la perle d'eau vive,
Que ce soit sur la terre ou bien là-haut qu'on vive,
Qu'importe que plus tard on prenne son essor?
Le torrent de la vie est comme un fleuve d'or!
Blasphémé-je, ô mon Dieu, ton éternelle ivresse,
L'ai-je mise en balance avec notre allégresse?
Ai-je donc profané le temple de mon cœur,
Ai-je monté ma lyre en faux adorateur ?
Mes doigts ont-ils vibré sur une corde impie,
T'ai-je pu renier un instant de ma vie ?...
C'est toi que j'adorais sur l'autel de gazon,
Dans ton œuvre cherchant de toi-même un rayon,
Je voulais te chanter dans la langue des hommes,
Me souvenir de toi dans l'exil où nous sommes'

Quand je rêve ici-bas, j'aime à rêver à toi,
Oh! quel espace immense entre le ciel et moi!
Dans les champs je cherchais un autre sanctuaire.
Les oiseaux m'invitaient au temple solitaire,
J'allais unir ma voix à ces si purs concerts,
Offrir un autre accent au Dieu de l'univers,
Joindre une voix de plus à cet immense hommage!
J'aime à perdre mes pas dans l'ombre d'un bocage,
A m'abrîter en paix sous les feuillages verts
Après qu'a disparu la nappe des hivers.
Quand le printemps revient embaumer la campagne,
Que je vois sur l'herbette, au pied d'une montagne,
Bondir joyeusement les timides agneaux,

Le peuple ailé voler au faîte des ormeaux,
Et l'innocent berger reprendre sa houlette,
Je viens à son haut-bois marier ma musette,
Et dans la paix des champs noyer tous mes soucis.
Ce berger, ces troupeaux sont mes plus doux amis !
Mon Gresset à la main j'épuise ses idyles,

Je brise de mon mieux avec le bruit des villes :
J'adore les neuf sœurs dans un culte d'amour...
Mais qu'ai-je à faire, amis, de rêver un séjour!

J. G. BARTHI.

1842.

BOUTADE.

O funeste destin! ô sort inexorable,

Un instant ne peux-tu te montrer favorable?

Faut-il qu'à chaque instant je tombe sous tes coups?
Repose, ralentis ton barbare courroux;

Laisse-moi respirer, choisis d'autres victimes,
Cesse de me rouler d'abîmes en abîmes;
Assez de maux, hélas! ont pesé sur ma tête,
Ne poursuis plus sans fruit une vaine conquête,
Tu ne peux aggraver le poids de mes malheurs :
Des mortels les plus durs ils tireraient les pleurs!
Qu'est-il donc devenu ce temps de ma jeunesse,
Temps charmant où rempli de la plus douce ivresse,
Je coulais à l'abri de tout souci fâcheux

Des jours toujours sereins, des jours toujours heureux?

Ces doux instants ont fui: tel du haut des montagnes,
Précipitant ses eaux à travers les campagnes,

Un torrent furieux bondissant dans son cours
Gronde, bouillonne, écume et s'enfuit pour toujours!

P. GARNOT.

1842.

SOUVENIR DE BERTHIER (1).

POUR L'ALBUM d'une demoISELLE.

Sainte-Anne au bord du fleuve et sa triple montagne,
Longtemps ont délecté mes yeux comme mon cœur ;
Mais j'ai revu Berthier, et nulle autre campagne

N'offre à mes yeux rien d'enchanteur.

Berthier, c'est toi que j'aime, et c'est toi que je chante,
Mon âme auprès de toi connut quelques beaux jours...
Et des jours disparus le souvenir m'enchante,

Et je m'en ressouviens toujours!

Non, je n'oublîrai point la paix de tes rivages,
Où le grand fleuve seul bruit comme les mers,
Ni ton cap renommé protégeant les feuillages
De tes si hauts peupliers verts.

Toujours je croirai voir la blanche et simple église
Dont brille le clocher près du fleuve d'azur,
Le roc battu des flots où sa base est assise,
Et le bassin au cristal pur.

Et mes yeux reverront le jardin, le parterre,
Par d'élégantes mains ornés de chaque fleur,
L'allée ombreuse où j'aime à rêver solitaire,
Où je passais avec bonheur !

Mais tandis qu'à toi seul, Berthier charmant, je songe,
On me rappelle, hélas! à la triste cité

Où l'ennui reviendra m'offrir comme en un songe

Une courte félicité !

F. M. DERome.

(1) Village du comté de Bellechasse, dans le district de Québec.

1842.

SANS SON DIEU SUR LA TERRE, IL N'EST POINT DE BONHEUR.

À MON AMI L.......

Tout passe, cher ami, tout périt sur la terre;

La gloire! tout s'enfuit comme une ombre à nos yeux;
Les mortels, cependant, suivent cette chimère,

Et dans l'oubli du ciel, ils se disent heureux!

La mort, la sombre mort, sur son aile rapide,
Aura bientôt franchi la barrière des temps,
Et répandu les traits de sa pâleur livide,
Sur ces fronts qui semblaient, hier, si rayonnants.

L'impur a cru trouver, dans ses plaisirs factices,
Une félicité qu'hélas! il cherche en vain ;
Mais le jour qui l'éclaire au sein de ses délices,
N'aura, peut-être, pas pour lui de lendemain.

C'est en vain qu'un mortel, avide de richesse,
Entasse des trésors: il faudra les quitter;
La mort qui, trop souvent, dévance la vieillesse,
Ne lui laissera pas le temps d'en profiter!......

Dis-moi, qu'est devenu ce foudre de la guerre,
Ce tyran qui plongeait les peuples dans le deuil;
Dis: que lui reste-t-il de sa gloire éphémère ?
Pour courtisans des vers, pour palais un cercueil.

Toi, qu'es-tu devenue, ô beauté mensongère ?
La mort couvre ton front jadis si radieux!
Non, les plaisirs trompeurs qu'on goûte sur la terre
N'auront jamais le don de faire des heureux!

Mais heureux!... celui qui, dans ces lieux de souffrance,
Jettent sur ce bas monde un regard de dédain,
Met dans son créateur sa plus douce espérance:
Il verra l'horizon pour lui toujours serein.

Quand la course du juste, ici-bas, est finie,
Sans regrets, sans remords, il quitte ce séjour;
Pour lui la mort n'est pas le terme de la vie,
Mais le commencement d'un ineffable jour!

Méprise des plaisirs la douceur passagère;
Ils n'ont rien qui pourrait satisfaire le cœur ;
Et, crois-moi, sans l'amour de son Dieu sur la terre,
C'est en vain, cher ami, qu'on cherche le bonheur !

A.

1842.

GARDEZ SON SOUVENIR.

À UNE DEMOISELLE, SUR LA PERTE DE SON FIANCÉ.

Quand reviendront l'hiver et ces brillantes fêtes
Où le cœur enivré rêve un doux avenir,
Ces bals dont la splendeur tourne les folles têtes,
Gardez son souvenir.

Quand vous verrez alors la valse bondissante
Au son des instruments tourner à s'étourdir,
Du bonheur repoussant l'image caressante,
Gardez son souvenir.

Quand de l'astre du jour un dernier rayon tombe
Et que la cité lasse est prête à s'endormir,
Du jeune et tendre ami qui sommeille en sa tombe,
Gardez le souvenir.

Il dort du long sommeil; mais la sainte prière
Peut encore, au tombeau, le faire tressaillir:
Il sourira voyant celle qui lui fut chère.
Gardez son souvenir.

A. SOULARD.

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