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1838.

CANTIQUE POUR PAQUES.

Reprends, Sion, ton allégresse,
Chante Jésus victorieux,

Et, dans ce jour de sainte ivresse,
Unis ta voix aux voix des cieux!

Avec le saint, que l'homme entonne :
Alleluia!

Et que du ciel l'écho résonne :
Alleluia!

Chrétien, adore en cette hostie
Ton rédempteur qui, par amour,
Pour nous sauver perdit la vie....
Il ressuscite en ce grand jour!
Chantons-lui donc avec les anges:
Alleluia!

Bénissons Dieu dans nos louanges:
Alleluia!

L'amour le fixe au tabernacle

Pour nous combler de ses faveurs,
L'amour opère un grand miracle
Et sur l'autel, et dans nos cœurs.
Redisons-lui, pleins de tendresse :
Alleluia!

Laissons parler notre allégresse....
Alleluia!

J. G. BARTHE.

1838.

L'INSURRECTION.

I.

Depuis longtemps régnaient sur nos riches campagnes
La paix et la vertu, ces fidèles compagnes,

Et les travaux des champs à plus d'un laboureur
Semblaient mieux un plaisir qu'une peine, un labeur.
Mais, surtout des moissons lorsqu'arrivait le terme,
Les fêtes et les jeux accouraient à la ferme.

Des filles du hameau, la modeste beauté,
Les refrains si joyeux de nos rondes antiques,
Le cidre, qui pétille en des coupes rustiques,
Puis des jeunes amants l'enivrante gaité;

Tout nous peint le bonheur et tout chôme sur l'herbe,
Et les derniers travaux et la dernière gerbe.

Lorsque d'un blanc manteau, la terre se couvrait,
Pour cacher ses os nus, et son sein qui gelait,
Devant le vieux foyer éclatant de lumière,
On riait, on jouait, on dansait tout le soir;
Au conte que narrait la crédule fermière,
On se pressait pensifs dans le coin le plus noir.
O fils du Canada! Qui vient troubler vos fêtes?
Quel sinistre présage a plané sur vos têtes?
Les plaisirs ont cessé, l'homme reste attentif,
Et l'enfant vers sa mère a couru tout craintif.
Ainsi font les agneaux, des loups fuyant la rage,
Ainsi font les poussins, lorsque surgit l'orage.

Pleurez, enfants, aux genoux de vos mères,
L'ennemi vient, dit-on, et le jour va finir.

Pleurez, enfants, voyez sortir vos pères; Savez-vous si jamais ils pourront revenir ?

II.

Le canon gronde au loin, et les chiens du village,
Aux cris des insurgés, mêlant leur voix sauvage,
Ont hurlé par trois fois. Distillant ses poisons,
Et franchissant le seuil de ces humbles maisons,
Le démon de la guerre a semé les alarmes,
Et veut forcer le peuple à recevoir des armes!
-Silence, toi, méchant, vas chercher loin d'ici,
Ton empire, ton sceptre, et tes sujets aussi!
Peuple bon, peuple heureux! en ce moment suprême,
A ton Dieu sois fidèle, à tes lois, à toi-même.
Le plus saint des devoirs pourrais-tu l'oublier?
Et ton antique honneur voudrais-tu le souiller ?
-Pour former parmi nous une troupe rebelle,
Il faudrait une voix qui n'eût rien d'odieux,
Une voix qui parût nous descendre des cieux;
Une voix qui pût dire: allez, Dieu vous appelle!
-La voici cette voix, et par tout le vallon,
Du tocsin retentit le lugubre tinton !

"C'est la cloche, ont-ils dit, c'est la cloche qui sonne,
"C'est comme une agonie, ou la nuit lorsqu'il tonne.
"Elle chante d'en haut, ce cantique de mort:
"On profane l'autel, on égorge vos prêtres,

“On a souillé le champ où dorment vos ancêtres!
"Marchons, la cloche a dit: marche et tu seras fort."

Ils sont là nos guerriers, et d'orgueil et d'audace,
D'ardeur et de courroux brillent leurs nobles fronts,
Ils sont là, décidés à venger nos affronts.

Mais des chefs étrangers, que l'épouvante glace,

Ont disparu.-Comment? pour combattre ils n'ont rien? Point d'armes, plus de chefs?-Mais du sang canadien!

Des soldats d'Albion, les brillantes cohortes
Dans l'air ont déployé l'étendard radieux,

Qui domine partout, flottant sous tous les cieux.
Les Canadiens, du temple, ont entouré les portes;
Leur sang français pétille, et bouillonne en leurs cœurs,
Ils seront braves, eux, s'ils ne sont pas vainqueurs!

Soudain, brille une étincelle,
Trois monstres en rugissant,
S'élancent vomissant

Le feu, la mort que recèle
Leur poitrine de fer.
Une lueur d'enfer,
En leur gueule enflammée,
Et pleine de fumée,
Epouvante les yeux;
Puis tous trois furieux,
Ensemble rebondissent,
Puis de nouveau mugissent,
En menaçant les cieux.
Derrière eux s'avancent,
Les soldats du pouvoir,

Leurs foudres les dévancent.

Qui va les recevoir ?

Des cris de rage

Ebranlent les airs,

Comme dans un orage,

L'éclair suit les éclairs;

Une flamme éclatante
Du milieu d'eux surgit;
D'une pourpre sanglante
La neige se rougit.
Valeur perdue!
Audace superflue!

Inutiles trépas!

Les foulant sous leurs pas,

Les farouches soldats

Ont chanté: "Victoire!

"Victoire! Gloire !

"Gloire à nous!

" Vile poussière,

"Leur troupe entière

"A tombé sous nos coups.
"Victoire! gloire à nous!"

-Victoire, dites-vous ?

Non, non, ce n'est pas là victoire,
Ce n'est pas une gloire,

Vous vous méprenez tous:

Comment ne pas réduire un adversaire en poudre,
Lorsque l'on a pour soi et le ciel et la foudre?

Allez, enfants, loin de vos mères,
L'anglais a triomphé et la clarté s'enfuit,
Et partout c'est la mort, et partout c'est la nuit,
Allez, n'attendez plus vos pères !

III.

A la lueur des hameaux embrâsés,

Deux tous jeunes enfants vont errant dans la plaine,
Chassés loin de chez eux, de fatigue épuisés,

Ils suivent le chemin où la terreur les mène.
Au bord de la forêt, au pied des grands sapins,
Ils s'arrêtent pleurant, se disant leurs chagrins.

-Ah, sais-tu, mon frère,

Où s'est sauvé notre père?

Au-dessus du clocher, que tu vois tout en feu,
Au-dessus du nuage, au-dessus du ciel bleu,
Trouvera-t-il là haut une belle demeure,
Une demeure sainte, où jamais l'on ne pleure?

-Quand je serai grand, moi, j'irai dire au bon Dieu,
Qu'il me rende mon père, oui j'irai dans ce lieu,

Où tu dis que son âme est à présent cachée;
Il est mort, lui, si bon; qu'avait-il fait au roi ?
Ah! j'aurai quelque jour une bien grande épée;
Je tûrai ces méchants, quand je serai grand, moi:
-Louis, il est bien tard, la corneille a fini
De crier sur la branche, et puis j'entends à peine,
Un faible bruit qui court, et se perd dans la plaine.
Louis, moi j'ai bien froid, je suis tout endormi:
Mettons-nous à genoux, et disons la prière,
La prière du soir, que disait notre mère.

A genoux sur la neige, ils joignirent les mains,
Et regardant le ciel, tout couvert de nuages,
Ils prièrent celui qui chasse les orages,
Qu'il éteignît la flamme aux villages lointains,
Qu'à leur père il ouvrit les portes de sa gloire,
Et que jamais sa loi ne quittât leur mémoire.

Leur voix tendre et suave au vent s'abandonnait,
Et le vent doucement à son Dieu la portait.
Mais qui réchauffera leur poitrine qui tremble?
Hélas! en s'embrassant, ils sont tombés ensemble,
Puis un murmure doux.... s'écoule.... et puis enfin,
Le silence a régné au pied du vieux sapin.

A ses anges le ciel ajoutera deux anges,

Qui du Seigneur demain chanteront les louanges.
Dormez, enfants, sous la neige blottis,
Reposez-là vos membres engourdis.

P. CHAUVEAU (1)

1838.

LE BOIS SOLITAIRE.

Laissez-moi seul, amis, dans mon bois solitaire,
M'unir aux rossignols qui chantent leur prière;
Les concerts innocents que j'entends en ce lieu
Sont faits pour me ravir et me faire aimer Dieu!...
Concours de saintes voix, soupir de la nature,

Votre hommage est si grand et votre âme est si pure!

(1) M. Chauveau, (Pierre-Joseph-Olivier) est né à Québec le 30 mai 1820. Après avoir fait ses études au collége de Québec, M. Chauveau a été reçu avocat au barreau de cette ville en 1841. Ce monsieur est depuis sept années correspondant politique du Courier des Etats-Unis. Il est membre de l'assemblée législative, pour le comté de Québec, depuis 1844.

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