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que je me remis assez de ce terrible choc pour me traîner hors de mon logis, et lorsque mes compagnons revinrent, au bout de trois mois, ils eurent de la peine à me reconnaître : j'étais ce spectre vivant que vous voyez devant vous.

-Mais, mon vieux, dit l'incorrigible clerc notaire.

-Mais... mais... que... te serre..., dit le colérique vieillard, en relevant sa besace; et malgré les instances du maître il s'éloigna en grommelant.

-Eh bien! monsieur le notaire, dit Amand d'un air de triomphe, qu'avez-vous à répondre maintenant ?

-Il me semble, dit l'étudiant, esprit fort, que le mendiant nous en a assez dit pour expliquer la vision d'une manière très naturelle; il était ivrogne d'habitude, il avait beaucoup bu ce jour-là; sa conscience lui reprochait un meurtre atroce. Il eut un affreux cauchemar, suivi d'une fièvre au cerveau, causé par l'irritation du système nerveux et... et...

-Et c'est ce qui fait que votre fille est muette, dit Amand impatienté.

PH. A. DE GASPÉ.

1838.

CANTIQUE POUR L'ÉPIPHANIE.

Douce rosée, en cette nuit profonde,
Tu vas germer le Saint Emmanuel,
Céleste enfant qui, pour sauver le monde,
Comme un agneau s'immole sur l'autel:
Avec les mages

Nous l'adorons:

Et nos hommages

Sont purs comme leurs dons!

Le pur encens de nos cœurs en prière,
La myrrhe et l'or de nos simples vertus
Sont les présents qu'en ce jour de mystère
Le saint enfant demande à ses élus.

Avec les mages

Nous l'adorons:

Et nos hommages

Sont purs comme leurs dons!

Tous les bergers ont mêlé leurs louanges,
Leurs doux accords et leurs simples concerts
Aux hymnes saints des célestes archanges:
Chantons comme eux le roi de l'univers.
Avec les mages

Nous l'adorons :

Et nos hommages

Sont purs comme leurs dons!

Le Christ est né pour racheter la terre:
Il bénira le peuple de Sion!

Ce peuple adore en ce divin mystère
Le saint auteur de la rédemption.
Avec les mages

Nous l'adorons :

Et nos hommages

Sont purs comme leurs dons!

J. G. BARTHE.

1838.

FRAGMENT IROQUOIS.

CHANSON.

Se munir d'une femme
C'est accepter des lois,
C'est contenter son âme,
La soumettre à la fois.
Ainsi soyons donc prudes,
Regardons de bien près,
Sinon ses coups sont rudes,
Préparés tout exprès!

Parler de mariage?
Vaux mieux lui céder,
Puis entrer en ménage

Sans trop s'y préparer :
La femme est trop coquette
Pour n'en pas abuser;

Madame la discrette,

Veuillez bien m'excuser!

Passer en amourettes
Un lustre désormais,
Toujours parler d'aigrettes
Sans s'ennuyer jamais...
Traiter de chère amante
Avec feu, passion,

Celle qui n'est constante
Que par pure façon !

L'amour tient d'étiquette:
"N'ouvrez pas votre cœur,"
Nous dit une coquette,
"Car l'aveu nous fait peur!"
Pourtant mainte promesse
S'échange des deux parts,
Et l'on prend pour tendresse
Des vrais coups de poignards!

L'amour est éphémère
Et sans sincérité,
Pourquoi tant de mystère
Si peu de vérité ?

Quand les bouches s'adorent
Les cœurs sont trop glacés,
On dirait qu'ils ignorent
Les tendres voluptés!

Se piquer d'être belle,
N'a plus rien d'étranger;
Mais se dire fidèle
Saurait-on le prouver ?

Mais ce qu'on nomme grâce

Est bientôt effacé;

Oui, la beauté se passe;
Suffrage à la bonté !

Il n'est plus sur la terre
De sincères amants!

Moi je me désespère

D'y voir tant d'inconstants.
Enfin pour en conclure,

Je dis sans hésiter:

Qu'amour fait qu'on endure,

Qu'il est chétif métier.

J. G. BARTHE.

1838.

À MA MÈRE.

Quand tout petit encore, endormi sur ton sein,
Aux jours où je croissais à l'ombre de ta main,
Tu n'aimais que moi seul, que moi seul dans le monde :
Comme on vivait heureux dans notre paix profonde!
Te souvient-il des soirs, où bercé dans tes bras,
J'écoutais tes chansons et bégayais tout bas
Des mots tendres, naïfs, qui te faisaient sourire?
Quand j'étais au berceau jouant comme un zéphire,
Et que papa venait me couvrir de baisers:
Sur moi vous confondiez, ô mes amis si chers!
Vos projets d'avenir comme une providence,
Vous bénissiez tous deux mon innocente enfance,
J'occupais à moi seul vos soins et vos amours,
Le destin avec vous ourdissait tous mes jours.
Plus tard je me fis grand: une sœur, puis un frère
Prirent ma place à moi, dans les bras de ma mère.
Je changeai de patrie et de père et d'autel,
Le ciel prit soin de moi loin du toit paternel.
Mais quelques ans après ma sœur avec mon frère
Gisaient, pleurés de tous, dans une froide bière!...
D'autres petits enfants, nés pour sécher tes pleurs,
Ne vinrent ici-bas qu'augmenter tes douleurs :
La mort les moissonna sans pitié pour leur mère,
A peine ont-ils goûté les caresses d'un père!...
Ah! bénissez leur cendre! ils dorment en repos
A l'ombre des cyprès qui protègent leurs os!
D'autres consoleront tes dernières années,
Ils te feront du moins de moins pâles journées!

Tu pleures, pauvre mère! ah! songe qu'ici-bas
Nous sommes tous soumis à la loi du trépas!
Quelque jour, dans le ciel, près de ta grande fille,
Tu vivras pour jamais au sein de ta famille !
Six autres chers enfants, les amis de ton cœur,
Dans un saint dévoûment plaçant tout leur bonheur,
Verseront à leur tour du baume dans ton âme:
Ce nom d'enfant peut tout sur ton âme de femme!...
Ils vivront comme moi pour bénir tes vieux ans,
Pour honorer encor ta tête en cheveux blancs.

Moi, sous un autre ciel, révérant ton image,
Je redirai ton nom aux échos du rivage:

Nos cœurs battront si loin d'un réciproque amour
En attendant que Dieu les réunisse un jour!
Ton souvenir sera ma constante pensée,

J'en nourrirai toujours ma pauvre âme isolée!...

J. G. BARTHE.

1838.

AUX CANADIENS.

-Peuple loyal et brave,
Qu'as-tu donc à pleurer?
Quand tu serais esclave
Tu dois rire et chanter !

-Je pleure ma faiblesse,
Je pouvais être heureux;
Croupi dans la molesse

Je ne suis plus qu'un gueux.

Je pleure mon amante,
L'épouse des humains;
Ma lâche indifférence
A trahi ses destins.

Je pleure la patrie,

Je pleure un bien perdu,
La liberté ravie,

L'honneur et la vertu.

Ma douleur est profonde:
Je rêvais un beau jour;
Je n'ai plus rien au monde
Que l'espoir et l'amour.

Indignes de nos pères,
L'élite des guerriers,
J'ai taché leurs bannières,
J'ai flétri leurs lauriers.

-Peuple loyal et brave,
Tu ne dois pas pleurer,
Quand tu serais esclave
Tu dois rire et chanter!

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