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1778.

A UNE JEUNE DEMOISELLE SOUS LE NOM DE ROSETTE. (1)

Dans un verger, l'autre jour, à l'ombrage,
Maints oiseaux me charmaient par leur chant;
Tout près de moi, dans un sombre bocage,
Rosette était seule avec son amant;

Ils s'admiraient

Et se taisaient;

Mais les oiseaux toujours chantaient.
Unis par la simple nature

Ils goûtaient un parfait bonheur,
L'ombrage, les fleurs, la verdure,

Tout favorisait leur ardeur.
Pourquoi languir, amants fidèles?
Hâtez-vous de vous rendre heureux,
L'hymen vous unissant tous deux
Rendra vos amours éternelles ;

Et les oiseaux surpris de ce nouveau ramage
Et de vos doux accents jaloux,

Iront loin de ces lieux dire dans leur langage,

Ce couple heureux chante bien mieux que nous.

LE BON CONSEIL.

(1) Nous avons cru devoir suivre l'ordre chronologique, dans l'arrangement des différentes pièces littéraires qui seront insérées dans ce Répertoire. Le lecteur pourra ainsi voir plus facilement les progrès de la littérature canadienne, à mesure que nous nous rapprocherons de nos jours. Nous profitons de l'occasion qui se présente, en insérant ces vers médiocres et quelques fois incorrects, pour répéter ce que nous avons dit dans notre prospectus à ce sujet: "Les écrits seront insérés dans le Répertoire, sans “subir aucun changement, afin que le lecteur puisse juger du mérite in“trinsèque des auteurs, et comparer les progrès qu'a faits la littérature à "différentes époques. Pour bien faire connaître ces différentes époques, il "sera nécessaire quelques fois d'insérer des écrits de peu de mérite, mais " alors le nombre en sera très restreint." Ces premières pages sont peu intéressantes sous le rapport de la variété, mais le lecteur en sera amplement dédommagé par la suite.

1778.

LA VIE.

De la vie à la mort et du néant à l'être,
Que l'étendue est immense à mes yeux.
Oh! si l'homme avant que de naître,
Avait le pouvoir de connaître

La chaîne de douleurs qui l'attend en ces lieux,
Dans la nuit du cahos, mille fois plus heureux,
Loin d'oser fournir sa carrière,

Pour se mettre à l'abri du sort le plus affreux
Avec horreur il fuirait la lumière.

Eh! qu'est-il en effet sur ces bords rigoureux
Qui puisse exciter notre envie?

Exister un moment, est-ce bien une vie?
Une vie ?..... Non, non, un supplice onéreux.

FOUCHER, fils, séminariste.

1778.

ZELIM. (HISTOIRE.) (1)

DIVINE Sagesse! tes influences, plus salutaires à mon âme que la rosée du matin à la fleur languissante, font revivre dans mon cœur le sentiment de la félicité, que le souffle empoisonné de l'illusion faisait évanouir. Je m'égarais sans retour sur les bords de l'abîme, et mon esprit troublé ne formait plus que des idées chimériques, quand tu me présentas l'exemple frappant de Zelim. Ecoute, mon fils! écoute la fidèle histoire de cet infortuné: Lorsque les chaînes du temps s'appesantiront sur tes membres, et que tes cheveux prendront la blancheur des cygnes qui folâtrent sur les bords des vastes étangs, tu rassembleras

(1) L'auteur de cette "histoire", ayant été accusé par les critiques du temps de l'avoir copiée dans quelque ouvrage européen, il les mit au défit de prouver leur accusation, et aucun ne put le faire. Nous sommes en conséquence porté à croire qu'elle est due à une plume canadienne.

ta nombreuse famille, sous l'ombrage d'un antique sycomore, et tu lui répéteras ce que je vais te raconter; elle le redira dans la suite à ses enfans, qui le transmettront d'âge en âge jusqu'à la fin des siècles; afin que les hommes apprennent à respecter les décrets du Souverain Dispensateur des évènemens, et à ne jamais murmurer contre la Providence.

Dans les jardins délicieux d'un puissant de la terre, vivait. un mortel chéri des Dieux, dont l'unique soin, dès son enfance, était d'arroser plusieurs fois le jour les tendres fleurs séchées par les ardeurs du soleil. Dans l'obscurité de sa condition, il était heureux, parce qu'il n'avait point les désirs qui dévorent le cœur des avides humains. Le bonheur qui fuit les lambris dorés, vient plus souvent habiter sous le chaume, et se plaît dans sa simplicité. C'est lui qui répand la sérénité sur le front du laboureur, tandis que le riche, au sein de ses trésors, n'offre dans ses regards pâles et livides qu'un objet rempli d'horreur. L'aurore voyait l'heureux Zelim commencer avec plaisir son travail ordinaire, l'astre du jour au terme de sa carrière le laissait occupé à se préparer un repas frugal, jouissant d'un repos plein de charmes que les fatigues de la journée lui rendaient encore plus précieux. Son bonheur était parfait s'il eût été durable. Mais hélas! comme la feuille que le moindre zéphir agite, le cœur de l'homme éprouve de continuelles agitations. Tel est son triste sort, qu'il ne se croit jamais heureux: l'ambition vient le chercher jusque dans les retraites les plus écartées. Pourquoi, dit-il un jour, en jettant ses regards sur les vastes palais du Sultan, pourquoi le destin m'a-t-il si mal partagé que de me faire naître dans l'état misérable de jardinier; aussi peu considéré sur la terre que l'atôme dans l'immensité de la nature; tandis que d'autres dans l'abondance, les grandeurs et les richesses filent sans inquiétudes les jours les plus fortunés. Oui! le bonheur doit être plus grand sur le trône que dans une chaumière qui me défend à peine des injures des saisons. A peine cette funeste pensée se fût-elle emparée de son esprit que

son cœur ne fut plus qu'une mer d'illusions où la félicité vint s'engloutir et se perdre: il devint malheureux. Un soir qu'en plaignant son destin il se promenait à grands pas dans les allées à perte de vue, une force supérieure l'entraîna vers un bois de lauriers, dont le feuillage gardait pendant le jour des ardeurs du midi. De sourds gémissemens frappent son oreille; dans sa surprise il avance et il entend distinctement la voix d'un homme plongé dans les eaux de la douleur; il reconnaît le Sultan qui se roulait dans la poussière en s'arrachant la barbe et se frappant la poitrine. Que mon sort est à plaindre, s'écriait-il, je possède des richesses immenses, mon nom fait trembler l'aurore et le couchant, et je suis le plus infortuné des mortels. J'apprends qu'un fils indigne, un fils dénaturé trame contre mes jours ; mes serviteurs que j'ai comblés de mes bienfaits me trahissent, et pour comble de malheurs, Fatima, ma bien-aimée, Fatima m'est infidèle; la perfide, en souillant par un crime nouveau la pureté de mes amours, s'unit avec mes ennemis pour me plonger le poignard dans le sein. Ah! cruelle fortune, reprends tes dons empestés puisqu'ils portent avec eux tant d'amertume. Les sanglots lui coupèrent la parole; il se tut. Zelim reste immobile; une foule de pensées s'offrent à son esprit; enfin la raison perce à travers les sombres nuages qui l'obscurcissaient. Les hauts pins,

s'écrie-t-il, sont plus tôt frappés de la foudre que le faible roseau. L'aquilon insulte le sommet des montagnes et respecte l'humble vallée. Plus le mortel est élevé plus les coups que la fortune lui porte sont terribles. O vérité céleste! tu seras désormais gravée dans mon cœur. En finissant ces paroles il se prosterna devant l'Eternel qui avait éclairé son entendement ; il l'adora dans sa grandeur, et le remercia de ne l'avoir fait naître que simple jardinier.

LE CANADIEN.

1788.

COLAS ET COLINETTE OU LE BAILLI DUPÉ. (1)

COMÉDIE EN TROIS ACTES, ET EN PROSE, MÉLÉE D'ARIETTES.

LES PAROLES ET LA MUSIQUE PAR M. JOSEPH QUESNEL. (2)

ACTEURS.

M. DOLMONT, Seigneur de la paroisse.

LE BAILLI du village.

COLINETTE, jeune paysanne élevée chez M. Dolmont.

COLAS, jeune paysan, amoureux de Colinette.

L'EPINE, domestique de M. Dolmont.

ACTE PREMIER.

Le théâtre représente l'avenue du jardin de M. Dolmont.

SCÈNE I.

COLINETTE (entrant par le fond du théâtre, avec une poignée de fleurs à la main). Le Soleil est déjà bien haut et Colas ne vient point! Il devait se rendre ici de grand matin pour cueillir ensemble le bouquet que je veux présenter à M. Dolmont, dont c'est demain la fête... aurait-il oublié ce matin ce qu'il désirait hier avec tant d'empressement?... Eh bien, en l'attendant faisons toujours le bouquet. (Elle s'assied à gauche du théâtre, pose les fleurs sur ses genoux et travaille à faire un bouquet).

(1) Cette pièce fut jouée pour la première fois à Montréal en 1790.

(*) M. Joseph Quesnel est né à St. Malo, le 15 Novembre 1749. Il finit ses études à 19 ans; et destiné par sa famille à la profession de marin, il s'embarqua pour Pondicherry, séjourna à Madagascar, sur les côtes de la Guinée et au Sénégal et revint en sa patrie au bout de trois ans. Peu de tems après il repartit de St. Malo pour visiter la Guiane Française, les Antilles et le Brésil. En 1779 il prit le commandement d'un vaisseau destiné pour New-York et chargé de provisions et munitions de guerre. Etant à la hauteur du banc de Terreneuve, il fut pris par une fregate

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