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LIVRE

SIXIE ME.

M

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Chap. V.

(a) Dif cours fur

Tite-Live,

chap. 7

Achiavel (a) attribue la perte de la Liberté de Florence à ce que le Peuple ne jugeoit pas en Corps, comme à Rome, des crimes de la première Lèze-majefté commis contre lui. Il y avoit pour cela huit Juges établis :Mais, PitcaLive dit Machiavel, peu font corrompus par peu. J'adopterois bien la maxime de Liv. 1. ce Grand-homme. Mais comme dans ce cas l'intérêt politique force, pour ainsi dire, l'intérêt civil, (car c'est toujours un inconvénient que le Peuple juge lui-même ses offenfes) il faut pour y remédier, que les Loix pourvoyent autant qu'il eft en elles à la fûreté des Particuliers.

Dans cette idée les Législateurs de Rome firent deux chofes; ils permirent aux Accufés de s'exiler (1) avant le jugement (2), & ils voulurent que les biens des Condamnés fuffent confacrés, pour que le Peuple n'en eût pas la confifcation. On verra dans le Livre XI. les autres limitations que l'on mit à la puiffance que le Peuple avoit de juger.

mofthène fur

Solon fçut bien prévenir l'abus que le Peuple pourroit faire de fa puiffance dans le jugement des crimes; il voulut que l'aréopage revît l'affaire; que s'il croyoit l'Accufé injuftement abfous (b), il l'accufât de nouveau (b) Dé devant le Peuple; que s'il le croyoit injuftement condamné (c), il arrêtât la couron l'exécution & lui fit rejuger l'affaire. Loi admirable qui foumettoit le Peu- ne, pag. 494 ple à la cenfure de la Magiftrature qu'il refpectoit le plus, & à la fienne mê- Francfort de

me!

édit. de

l'an 1604. (c) Voy.

Video

Il fera bon de mettre quelque lenteur dans des affaires pareilles, fur-tout Philofrate, du moment que l'Accufé fera prifonnier; afin que le Peuple puiffe fe calmer & juger de fang-froid.

Dans les Etats Defpotiques le Prince peut juger lui-même. Il ne le peut dans les Monarchies; la Conftitution feroit détruite, les Pouvoirs intermédiaires dépendans, anéantis; on verroit ceffer toutes les formalités des jugemens; la crainte s'empareroit de tous les efprits; on verroit la pâleur fur tous les vifages; plus de confiance, plus d'honneur, plus d'amour, plus de fûreté, plus de Monarchie.

Voici d'autres réfléxions. Dans les Etats Monarchiques, le Prince eft la Partie qui pourfuit les Accufés & les fait punir ou abfoudre; s'il jugeoit lui-même il feroit le Juge & la Partie.

Dans ces mêmes Etats le Prince a fouvent les confifcations; s'il jugeoit les crimes, il feroit encore le Juge & la Partie.

De plus, il perdroit le nouvel attribut de fa Souveraineté, qui eft celui de faire grace (3): car il feroit infenfé qu'il fit & défît fes jugemens: il ne

(1) Cela eft bien expliqué dans l'Oraifon de Cicéron, pro Cacina, à la fin.

(2) C'étoit une Loi d'Athènes, comme il paroit par Démosthène. Socrate refufa de s'en fervir.

vou

(3) Platon ne pense pas que les Rois qui font. dit-il, Prêtres, puiffent affitter au Jugement où l'on condamne à la mort, à l'exil, à la prifon,

phiftes, Liv, 1. Vie d'A fchines,

LIVRE Voudroit pas être en contradiction avec lui-même. Outre que cela confon-
SIXIME, droit toutes les idées, on ne fauroit fi un homme feroit abfous, ou s'il re-
Chap. V.
cevroit fa grace.

(a) Il fut changé dans

même

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Lorfque Louis XIII. voulut être juge dans le Procès du Duc de la Valette (1), & qu'il appella pour cela dans fon cabinet quelques Officiers du Parlement & quelques Confeillers l'Etat; le Roi les ayant forcés d'opiner fur le Decret de prife de corps, le Président de Belièvre dit, Qu'il voyoit dans cette affaire une chofe étrange, un Prince opiner au procès d'un de fes Sujets; que les Rois ne s'étoient refervés que les graces, & qu'ils renvoyoient les condamnations vers leurs Officiers; & Votre Majefté voudroit bien voir fur la feilette un homme devant Elle, qui par fon jugement iroit dans une heure à la mort? que la face du Prince qui porte les graces ne » peut foutenir cela, que fa vue feule levoit les interdits des Eglifes; qu'on ne devoit fortir que content de devant le Prince". Lorfqu'on jugea le fonds, le même Président dit dans fon avis, Cela eft un jugement fans exemple, voire contre tous les exemples du paffé jufqu'à huis, qu'un Roi de France ait condamné en qualité de Juge par fon avis un Gentilhomme à mort (a) ".

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Les jugemens rendus par le Prince feroient une fource intariffable d'inla me juftice & d'abus; les Courtifans extorqueroient par leur importunité ses jugemens. Quelques Empereurs Romains eurent la fureur de juger, nuls règnes n'étonnèrent plus l'Univers par leurs injuftices.

Relation.

(b) Annal. LIV. II.

(c) Ibid.

Liv. 13.

(d) Hift. Liv. S.

(e) Hift.

fecrette.

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Claude, dit Tacite (b), ayant attiré à lui le jugement des affaires & les fonctions des Magiftrats, donna occafion à toutes fortes de rapines ". Auffi Néron parvenant à l'Empire après Claude, voulant fe concilier les efprits, déclara, Qu'il fe garderoit bien d'être le juge de toutes les affaires, pour que les Accufateurs & les Accufés dans les murs d'un Palais ne fuffent pas expofés à l'unique pouvoir de quelques Affranchis (c) ". Sous le règne d'Arcadius, dit Zozime (d), la Nation de calomniateurs fe répandit, entoura la Cour & l'infecta. Lorfqu'un homme étoit mort, " on fuppofoit qu'il n'avoit point laiffé d'enfans (2); on donnoit fes biens "par un Refcript. Car comme le Prince étoit étrangement ftupide, & P'Impératrice entreprenante à l'excès, elle fervoit l'infatiable avarice de fes domeftiques & de fes confidentes; deforte que pour les gens modérés, il n'y avoit rien de plus defirable que la mort ".

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Il y avoit autrefois, dit Procope (e), fort peu de gens à la Cour; mais fous Juftinien, comme les Juges n'avoient plus la liberté de rendre jufti"ce, leurs Tribunaux étoient déferts, tandis que le Palais du Prince retentiffoit des clameurs des Parties qui y follicitoient leurs affaires ". Tout le monde fait comment on y vendoit les Jugemens & même les Loix. Les Loix font les yeux du Prince; il voit par elles ce qu'il ne pourroit voir fans elles. Veut-il faire la fonction des Tribunaux? il travaille non pas pour lui, mais pour les Séducteurs contre lui,

pas

(r) Voy. la Rélation du Procès fait à Mr. le Duc de Montrefor, Tom II. page 62.

de la Valette. Elle eft imprimée dans les Mémoires

(2) Mêine defordre fous Theodofe le jeune.

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Que dans la MONARCHIE les Miniftres ne doivent pas juger.

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'EST encore un grand inconvénient dans la Monarchie, que les Miniftres du Prince jugent eux-mêmes les affaires contentieufes. Nous voyons encore aujourdhui des Etats où il y a des Juges fans nombre pour décider les affaires fifcales, & où les Miniftres, qui le croiroit! veulent encore les juger. Les réfléxions viennent en foule; je ne ferai que celle

ci.

Il y a par la nature des chofes une espèce de contradiction entre le Confeil du Monarque & fes Tribunaux. Le Confeil des Rois doit être compofé de peu de perfonnes, & les Tribunaux de Judicature en demandent beaucoup. La raifon en eft que dans les prémières on doit prendre les affaires avec une certaine paffion & les fuivre de même, ce qu'on ne peut guère efpérer que de quatre ou cinq hommes qui en font leur affaire. Il faut au contraire des Tribunaux de Judicature de fang-froid & à qui toutes les, affaires foient en quelque façon indifférentes.

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N tel Magiftrat ne peut avoir lieu que dans le Gouvernement Defpotique. On voit dans l'Hiftoire Romaine à quel point un Juge unique peut abufer de fon Pouvoir. Comment Appius fur fon Tribunal n'auroit-il pas méprifé les Loix, puisqu'il viola même celle qu'il avoit faite (a)? TiteLive nous apprend l'inique diftinction du Décemvir. Il avoit apofté un homme qui reclamoit devant lui Virginie comme fon efclave; les Parens de Virginie lui demandèrent qu'en vertu de fa Loi on la leur remît jufqu'au jugement définitif. Il déclara que fa Loi n'avoit été faite qu'en faveur du Père, & que Virginius étant abfent, elle ne pouvoit avoir d'application (b).

VIII.

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(b) Quòd Pater puellæ abeffet locum injuriæ efle ratus, Tite-live, Decade I.

Liv. 3.

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CHAPITRE

Des accufations dans les divers Gouvernemens.

Rome (1) il étoit permis à un Citoyen d'en accufer un autre; cela
étoit établi felon l'efprit de la République, où chaque Citoyen doit

(1) Et dans bien d'autres Cités.

avoir

LIVEI avoir pour le Bien public un zèle fans bornes, où chaque Citoyen eft cenfé SIXIM. tenir tous les droits de la Patrie dans fes mains. On fuivit fous les Empereurs Chap. IX. les maximes de la République; & d'abord on vit paroître un genre d'hommes funefte, une troupe de Délateurs. Quiconque avoit bien des vices & bien des talens, une ame bien baffe & un efprit ambitieux, cherchoit un Criminel dont la condamnation pût plaire au Prince; c'étoit la voye pour aller aux honneurs & à la fortune (1), chofe que nous ne voyons point parmi nous.

(a) Liv. 9.

Nous avons aujourdhui une Loi abmirable; c'eft celle qui veut que le Prince établi pour faire exécuter les Loix, prépofe un Officier dans chaque Tribunal pour pourfuivre en fon nom tous les crimes: deforte que la fonЄtion des Délateurs eft inconnue parmi nous; & fi ce vengeur public étoit foupçonné d'abufer de fon ministère, on l'obligeroit de nommer fon dénonciateur.

Dans les Loix de Platon (a), ceux qui négligent d'avertir les Magiftrats ou de leur donner du fecours, doivent être punis. Cela ne conviendroit point aujourdhui. La Partie publique veille pour les Citoyens; elle agit, & ils font tranquilles.

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De la févérité des peines dans les divers Gouvernemens.

A févérité des peines convient mieux au Gouvernement Defpotique dont le principe eft la terreur, qu'à la Monarchie & à la République qui ont pour reffort l'honneur & la vertu.

Dans les Etats modérés l'amour de la Patrie, la honte & la crainte du blâme, font des motifs reprimans, qui peuvent arrêter bien des crimes. La plus grande peine d'une mauvaise action fera d'en être convaincu. Les Loix civiles y corrigeront donc plus affément, & n'auront pas besoin de tant de force.

Dans ces Etats un bon Législateur s'attachera moins à punir les crimes qu'à les prévenir; il s'appliquera plus à donner des mœurs qu'à infliger des fupplices.

C'eft une remarque perpétuelle des Auteurs Chinois (2), que plus dans leur Empire on voyoit augmenter les fupplices, plus la révolution étoit prochaine. C'eft qu'on augmentoit les fupplices à inefure qu'on manquoit de mœurs.

Il feroit aifé de prouver que dans tous ou prefque tous les Etats d'Europe, les peines ont diminué ou augmenté à mesure qu'on s'eft plus approché ou plus éloigné de la Liberté.

Dans

(1) Voy. dans Tacite les récompenfes accordées égard eft dans le cas d'une République ou d'une Moà ces Délateurs.

(z) e ferai voir dans la faite que la Chine à cet

narchic.

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Dans les Païs Defpotiques on eft fi malheureux, que l'on y craint plus LVRI la mort qu'on ne regrette la vie; les fupplices y doivent donc être plus SIXIEME. rigoureux. Dans les Etats modérés, on craint plus de perdre la vie qu'on chap. X. ne redoute la mort en elle-même, les fupplices qui ôtent fimplement la vie & x. y font donc fuffifans.

Les hommes extrêmement heureux & extrêmement malheureux font également portés à la dureté; témoins les Moines & les Conquérans. Il n'y a que la médiocrité & le mêlange de la bonne & de la mauvaise fortune, qui donne de la douceur & de la pitié.

Ce que l'on voit dans les hommes en particulier, fe trouve dans les diverfes Nations. Chez les Peuples fauvages qui mènent une vie très dure, & chez les Peuples des Gouvernemens Defpotiques, où il n'y a qu'un homme exorbitamment favorifé de la fortune, tandis que tout le refte en est outragé, on est également cruel. La douceur règne dans les Gouvernemens modérés.

Lorfque nous lifons dans les Hiftoires les exemples de la juftice atroce des Sultans, nous fentons avec une espèce de douleur les maux de la nature

humaine.

Dans les Gouvernemens modérés, tout pour un bon Législateur peut fervir à former des peines. N'eft-il pas bien extraordinaire qu'à Sparte une des principales fut de ne pouvoir prêter fa femme à un autre, ni recevoir celle d'un autre, de n'être jamais dans fa maifon qu'avec des vierges? En un mot tout ce que la Loi appelle une peine eft effectivement une peine

CHAPITRE X.

Des anciennes Loix Françoifes.

N trouve bien dans les anciennes Loix Françoises l'efprit de la Monarchie. Dans les cas où il s'agit de peines pécuniaires, les non-Nobles font moins punis que les Nobles (1). C'est tout le contraire dans les crimes (2); le Noble perd l'honneur & réponse en Cour, pendant que le vilain qui n'a point d'honneur, eft puni en fon corps.

CHAPITRE XI.

Que lorsqu'un Peuple eft vertueux il faut peu de peines.

E Peuple Romain avoit de la probité. Cette probité eut tant de force, Lque fouvent le Légiflateur n'eut befoin que de lui montrer le bien pour

(1),, Si comme pour brifer un Arrêt, les non. pag. 198 édit. got, de l'an 1512. Nobles doivent une amende de quarante fols, & les

le

(2) Voy. le Confeil de Pierre Defontaines, chap.

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Nobles de foixante livres ". Somme Rurale, Liv. II., 13. fur-tout l'art. 22.

Tome I.

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