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» sévèrent à vivre. » Sans compter que felix, qui ne s'applique qu'aux personnes dans la belle latinité, ou du moins aux êtres qui peuvent percevoir d'une façon ou d'une autre l'état de bonheur, et qui en ont plus ou moins conscience, s'applique ici à une chose, à un état passif, sans conscience de lui-même, au mourir.

IV. Exire per ferrum, « sortir à travers le javelot,» lequel est la chose qui sort, au lieu d'être la chose d'où l'on sort.

Per ferrum tanti securus vulneris exit (leo) 1.....

passe

« Insouciant d'une si large blessure, le lion à travers le javelot. })... Ici encore, c'est l'oncle de Lucain qui a les honneurs de l'innovation. Dans le traité de la Colère 2, vous lisez cette phrase: «Gaudent feriri, et instare ferro, et tela » corpore urgere, et per vulnus suum exire... » « Ils aiment à être frappés, à se pousser sur le » fer, à enfoncer les traits avec le poids de leur » corps, et à sortir à travers leur blessure. » Quant à l'expression securus vulneris, elle n'est guère moins insolite, quoiqu'elle ait trop peu de couleur pour être qualifiée d'innovation. Dans la langue de Virgile, on disait déjà très-hardiment : Securus amorum germanæ ( Pygmalion) : « S'em

1 I, 212.

2 Lib. III. De irâ, cap. III.

» barrassant fort peu des affections de sa sœur » (pour Sichée) 1. >> Lucain renchérit sur cette hardiesse. Avant lui, Sénèque avait dit : « Secura » metús Troia pubes 2 : « La jeunesse troyenne, » libre de toute crainte. » Et c'est d'après ce double exemple de l'oncle et du neveu, que vous trouvez dans Valérius Flaccus : Tantæ molis securus 3; dans Stace: Tantique maris secura juventus 4; dans Silius Italicus: Securus cædis 5; toutes innovations qui ont fait perdre au mot securus son acception vraie et générale. Il y a une nuance très-profonde et très-distincte entre la signification de ce mot securus dans la belle latinité, et ce qu'on lui fait dire dans la latinité de la décadence. Cette nuance porte tantôt en deçà,

1 Eneid. I, 350.
2 Agam., 637.
3 Lib. III, 479.

4 Vous trouverez, il est vrai, dans Virgile, Eneid. VII, 303:

Optato conduntur Tibridis alveo,

Securi pelagi atque meî......

« Ils sont à l'abri dans le lit de ce Tibre, objet de leurs » vœux, n'ayant plus rien à craindre, ni de la mer ni de » moi. » C'est Junon qui parle des Troyens. Dans l'exemple de Stace, Theb. VII, 268, Secura maris tanti juventus signifie une jeunesse qui ne s'effraie pas d'une si vaste mer, qui s'en rit, qui n'en voit pas les périls, en raison de son inexpérience.

5 Lib. X, 300.

tantôt au-delà de l'acception vraie; mais jamais les deux latinités ne se rencontrent. Je ne dis rien de l'idée qui a donné lieu à la citation de Lucain, ni de l'espèce de magnanimité de ce lion qui, tout embroché, passez-moi la trivialité, sort à travers le fer, avec autant d'insensibilité que ce fer en a eu à entrer dans lui. Ces exemples de fausse grandeur se voient à chaque instant dans Lucain. '

V. Stimulis negare, « résister à l'aiguillon 1. »

Cornipedem exhaustum cursu, stimulisque negantem Magnus agens....

Pompée hâtant son cheval épuisé de courir et » qui résistait à l'éperon. » Je ne sache pas qu'il y ait, dans la belle latinité, un seul exemple de ce singulier emploi du mot negare. Il signifie quelquefois refuser, et le plus souvent nier. Dans le premier cas, il est actif; dans le second, neutre. Jamais il n'a signifié résister. Vous voyez la même expression dans Stace: saxa negantia ferro, << des rochers qui résistent au fer. »

VI. Degener, qu'on ne trouve pas dans Horace, que Virgile n'a employé qu'une fois 3, dans le sens de dégénéré, abátardi, s'applique dans Lu

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cain à toutes sortes de choses et de personnes, à celles principalement qui semblent le plus l'exclure. Ainsi vous voyez :

1. Degener toga 1, traduisez : « Des sénateurs mous et sans vigueur. »

Et dum pila valent fortes torquere lacerti
Degenerem patiêre togam, regnumque senatûs?...

« Et pendant que tu as des bras vigoureux pour » lancer le javelot, souffriras-tu la domination de » gens en toge sans énergie, et laisseras-tu régner » le sénat? >>

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2. Degener rogus 2, traduisez : « Un bûcher indigne de celui qui est brûlé. »

Prosiluit busto, semiustaque membra relinquens
Degeneremque rogum, sequitur convexa Tonantis.

Il s'agit de l'apothéose de Pompée. « Pompée s'élança de son bûcher, et, laissant là ses mem» bres à demi-consumés et son indigne bûcher, » il monta vers la demeure de Jupiter. »

3. Degeneres latebra, « cachettes indignes de >> celui qui y a recours; » même sens que dans l'exemple précédent 3.

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At Cæsar moenibus urbis

Diffisus, foribus clausæ se protegit aulæ,
Degeneres passus latebras.....

« Mais César, ne se confiant pas aux murailles de » la ville, se met à l'abri derrière les portes du palais, s'abaissant ainsi à d'indignes cachettes.» Tacite, qui ne se défend pas toujours des façons de dire exagérées de Sénèque et de son neveu, a dit : Prece haud degenere permotus : « Touché d'une prière qui n'était pas sans dignité. »

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VII. Sponte, dans la latinité du grand siècle, se joint avec meá, tuâ, etc., ou s'emploie seul, adverbialement. Dans Lucain, sponte se joint très-fréquemment à des génitifs. Ainsi vous trou

vez:

་་

Non sponte ducum 2, « malgré les chefs. » Sponte deorum 3, « du consentement des dieux.>> Non sponte Dei 4, « contre le gré de Dieu. » Tacite dit, à l'exemple de Lucain, sponte principis 5.

VIII. Fidem facere, « donner la confiance. » Dans la latinité classique, fidem facere veut dire invariablement, et dans tous les écrivains de cette

| Ann. XII, 19.

2 I.99.

3 V, 136.

4 IX, 574.

5 Ann. II, 59.

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