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Quelle pouvait être la vérité historique de la Pharsale? Pompée pouvait-il être le héros d'un poème épique ? Appréciation historique de Pompée. Doit-on laisser à Pompée la responsabilité de toutes ses fautes politiques? l'homme du peuple et de l'épopée.

Quelle est l'idée de la Pharsale?

César

Est-ce le triomphe momentané que la liberté romaine remporta sur la tyrannie par la mort de César?

Est-ce la réhabilitation du parti de Caton?

Est-ce simplement une suite d'imprécations poétiques contre les guerres civiles?

Est-ce enfin une déclamation contre le caprice

de la fortune qui se joue des réputations et des empires, élève l'un et renverse l'autre, le plus souvent élève et renverse le même homme, etc., etc., etc.?

de

Il y a un peu de tout cela dans la Pharsale, et c'est là son premier et son plus grand défaut. On n'en aperçoit pas le but; on y trouve tantôt un Pompéien, qui écrit un pamphlet en vers contre César; tantôt un ami et un disciple de Caton, qui ne ménage guère plus le gendre que le beaupère; tantôt un sceptique, qui ne croit ni à Caton ni à Pompée, ni à César, ni aux vieilles lois, ni à la liberté, ni aux dieux; tantôt un fataliste, qui ne voit dans les événemens que des coups la Fortune; dans les victoires, que les faveurs de la déesse, dans les défaites, que ses disgrâces, et qui s'épargne la responsabilité du blâme ou de l'éloge des actions, en les regardant comme des décrets du hasard; tantôt un poète qui trouve son compte à dire le vrai comme le faux, et qui se décide pour l'un ou pour l'autre, non pas d'après ses convictions, mais d'après ce qu'il en peut tirer de développemens poétiques; qui, par exemple`, met sans façon les anecdotes du camp de César dans le camp de Pompée, prête aux Pompéiens les belles morts des Césariens, fait des scènes, des drames avec des actions insignifiantes, et convertit de pauvres soldats en héros. Il y a tel chant, ou plutôt tel passage où Lucain semble encore plus détester la guerre civile que le parti

de César; tel autre où il se range du côté de la Fortune contre tout le monde. Des commentateurs qui ne pouvaient pas expliquer cette absence d'unité, et qui voulaient à toute force que Lucain, en sa qualité d'ancien, n'eût pas fait la faute d'en manquer, ont pris le parti de dire que l'ouvrage n'étant point achevé, on ne pouvait point prononcer sur cette question. Il est vraisemblable que notre poète eût donné, à la fin de son poème, la clef des dix premiers chants. Je le veux bien.

Mais, comme le but de la critique ne doit pas être de prédire ce qu'un poète aurait pu faire s'il eût vécu dix ans de plus, comme ce n'est pas son rôle d'achever les ouvrages restés incomplets, ni de tirer des horoscopes, il faut bien qu'elle donne un jugement sur ce qui a été fait, sous peine de n'avoir ni utilité ni crédit. S'il ne nous restait de toute l'antiquité latiné que la Pharsale, ce pourrait être pour la critique un assez bon emploi de son loisir que de rêver les dix autres chants qui restaient à faire, et que de supposer Lucain révisant l'ouvrage de sa jeunesse avec les qualités de l'âge mûr; mais comme nous avons assez, grâce à Dieu, de poètes et de poèmes latins complets pour nous ôter le temps de ces spéculations oiseuses et de ces admirations en expectative, force nous est de juger chacun selon son œuvre, que cette œuvre soit un livre achevé ou ne soit qu'une ébauche.

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Je crois peu, d'ailleurs, à ce bienheureux effet du temps et des années, que les commentateurs regrettent tant de voir enlevé à leurs poètes. A un certain degré, soit de médiocrité, soit de talent, l'âge peut modifier un poète, mais ne peut pas faire qu'il soit moins médiocre ou qu'il ait plus de talent. Je crois que Perse aurait sué dix ans de plus sur ses satires sans y mettre plus d'idées et sans parler une meilleure langue. Né médiocre, il aurait vieilli médiocre, il serait mort médiocre. Stace eût vécu dix ans de moins, que le travail de ces dix ans, retranché de ses ouvrages, ne l'aurait rendu ni meilleur ni plus mauvais poète. Nous avons l'habitude de dire des hommes politiques distingués que leur mort vient toujours au bon moment pourquoi ne le dirions-nous pas aussi des poètes de talent? Les morts de ce genre ne nous paraissent si opportunes que parce que l'espace de vie qu'il est donné au talent de parcourir est très-court, pour peu qu'il se prolonge, ou bien nous le quittons, ou bien c'est lui qui nous quitte. Les réputations tenaces ne sont pas des réputations vraies : c'est la convenance, c'est un certain respect pour les admirations de la génération précédente qui accompagne jusqu'à la tombe le poète qui a survécu à sa pensée. Mais ce n'est plus là cette gloire de quelques années, souvent de quelques mois, qui signifie que le poète et le siècle s'entendent ; que l'un parle et que l'autre répond; qu'il n'y a qu'une

seule voix et qu'un seul écho. La gloire n'a qu'un moment, parce que le talent n'a qu'un moment. Une pensée qui vit seulement cinq ans, c'est-àdire qui occupe pendant tout ce temps tout ce qu'il y a d'esprits compétens dans un siècle et dans un pays, est une pensée privilégiée, comme il est donné à bien peu de l'être, La meilleure vie de poète, c'est que le corps s'en aille quand la pensée a fait son temps. Il y a dix ans que si tel grand écrivain, que vous n'admirez plus que par politesse, était mort, vous auriez dit : Il est mort à temps pour sa gloire! Je ne vois rien de bon pour Lucain à ce qu'il vécût jusqu'au règne d'Adrien, à travers les dernières années et la fin ignoble de Néron, les vertus inopportunes de Galba, les vices éblouissans d'Othon, et les turpitudes de Vitellius. Je veux bien qu'il y eût eu une chance pour qu'il perfectionnât la Pharsale, mais il y en avait mille pour qu'il la gâtât, ou pour qu'il la fit suivre d'ouvrages très-inférieurs.

Si l'on voulait expliquer la pensée de la Pharsale par l'état moral et politique des contemporains de Lucain, il ne serait pas difficile d'établir que l'époque ne comportait pas une autre espèce de poème, ni le poème une autre espèce d'époque. Tout ce que vous voyez dans la Pharsale se trouvait dans toutes les têtes intelligentes qui la lisaient. C'était dans le public, comme dans le poète, un mélange de fatalisme, de regrets, d'incrédulité, de scepticisme, de résignation; un certain

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