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CHAPITRE XV.

Du divorce et de la répudiation.

Il y a cette différence entre le divorce et la répudiation, que le divorce se fait par un consentement mutuel à l'occasion d'une incompatibilité mutuelle; au lieu que la répudiation se fait par volonté et pour l'avantage d'une des deux parties, indépendamment de la volonté et de l'avantage de

l'autre.

la

Il est quelquefois si nécessaire aux femmes de répudier, et il leur est toujours si fâcheux de le faire, que la loi est dure qui donne ce droit aux hommes sans le donner aux femmes. Un mari est le maître de la maison; il a mille moyens de tenir ou de remettre ses femmes dans le devoir; et il semble que dans ses mains la répudiation ne soit qu'un nouvel abus de sa puissance. Mais une femme qui répudie n'exerce qu'un triste remède. C'est toujours un grand malheur pour elle d'être contrainte d'aller chercher un second mari, lorsqu'elle a perdu la plupart de ses agréments chez un autre. C'est un des avantages des charmes de la jeunesse dans les femmes, que, dans un âge avancé, un mari se porte à la bienveillance par le souvenir de ses plaisirs.

C'est donc une règle générale que dans tous les

pays où la loi accorde aux hommes la faculté de répudier, elle doit aussi l'accorder aux femmes. Il y a plus dans les climats où les femmes vivent sous un esclavage domestique, il semble que la loi doive permettre aux femmes la répudiation, et aux maris seulement le divorce.

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Lorsque les femmes sont dans un sérail, le mari ne peut répudier pour cause d'incompatibilité de mœurs; c'est la faute du mari si les mœurs sont incompatibles.

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La répudiation pour raison de la stérilité de la femme ne sauroit avoir lieu que dans le cas d'une femme unique lorsque l'on a plusieurs femmes, cette raison n'est pour le mari d'aucune importance. La loi des Maldives permet de reprendre une femme qu'on a répudiée. La loi du Mexique3 défendoit de se réunir, sous peine de la vie. La loi du Mexiqué étoit plus sensée que celle des Maldives : dans le temps même de la dissolution, elle songeoit à l'éternité du mariage; au lieu que la loi des Maldives semble se jouer également du mariage et de la répudiation.

La loi du Mexique n'accordoit que le divorce. C'étoit une nouvelle raison pour ne point per

1 Cela ne signifie pas que la répudiation pour raison de stérilité soit permise dans le christianisme.

2 Voyage de François Pyrard. On la reprend plutôt qu'une autre, parce que, dans ce cas, il faut moins de dépenses.

3 Histoire de sa conquête, par Solis, pag. 499.

mettre à des gens qui s'étoient volontairement séparés de se réunir. La répudiation semble plutôt tenir à la promptitude de l'esprit et à quelque passion de l'ame; le divorce semble être une affaire de conseil.

Le divorce a ordinairement une grande utilité politique; et, quant à l'utilité civile, il est établi pour le mari et pour la femme, et n'est pas toujours favorable aux enfants.

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De la répudiation et du divorce chez les Romains.

Romulus permit au mari de répudier sa femme si elle avoit commis un adultère, préparé du poison, ou falsifié les clefs. Il ne donna point aux femmes le droit de répudier leur mari. Plutarque' appelle cette loi une loi très dure.

2

Comme la loi d'Athènes donnoit à la femme aussi bien qu'au mari la faculté de répudier, et que l'on voit que les femmes obtinrent ce droit chez les premiers Romains nonobstant la loi de Romulus, il est clair que cette institution fut une de celles que les députés de Rome rapportèrent d'Athènes, et qu'elle fut mise dans les lois des Douze-Tables.

1 Vie de Romulus.

2 C'étoit une loi de Solon.

Cicéron dit que les causes de répudiation ve noient de la loi des Douze-Tables. On ne peut donc pas douter que cette loi n'eût augmenté le nombre des causes de répudiation établies par Romulus.

La faculté du divorce fut encore une disposition ou du moins une conséquence de la loi des DouzeTables: car dès le moment que la femme ou le mari avoit séparément le droit de répudier, à plus forte raison pouvoient-ils se quitter de concert et par une volonté mutuelle.

La loi ne demandoit point qu'on donnât des causes pour le divorce. C'est que par la nature de la chose il faut des causes pour la répudiation, et qu'il n'en faut point pour le divorce, parce que là où la loi établit des causes qui peuvent rompre le mariage l'incompatibilité mutuelle est la plus forte de toutes.

Denys d'Halicarnasse3, Valère-Maxime, et Aulu-Gelle 5, rapportent un fait qui ne me paroît pas vraisemblable. Ils disent que, quoiqu'on eût à Rome la faculté de répudier sa femme, on eut tant de respect pour les auspices, que personne,

'Mimam res suas sibi habere jussit, ex Duodecim-Tabulis caussam addidit. Philip. II.

* Justinien changea cela. Novel. 117, chap. x.

3 Liv. II.

4 Liv. 11, chap. IV.

5 Liv. Iv, chap. 1.

pendant cinq cent vingts ans1, n'usa de ce droit, jusqu'à Carvilius Ruga, qui répudia la sienne pour cause de stérilité. Mais il suffit de connoître la nature de l'esprit humain pour sentir quel prodige ce seroit que, la loi donnant à tout un peuple un droit pareil, personne n'en usât. Coriolan, partant pour son exil, conseilla à sa femme de se marier à un homme plus heureux que lui. Nous venons de voir que la loi des Douze-Tables et les mœurs des Romains étendirent beaucoup la loi de Romulus. Pourquoi ces extensions, si on n'avoit jamais fait usage de la faculté de répudier? De plus, si les citoyens eurent un tel respect pour les auspices qu'ils ne répudièrent jamais, pourquoi les législateurs de Rome en eurent-ils moins? Comment la loi corrompit-elle sans cesse les mœurs?

3

En rapprochant deux passages de Plutarque, on verra disparoître le merveilleux du fait en question. La loi royale3 permettoit au mari de répudier dans les trois cas dont nous avons parlé. « Elle vouloit, dit Plutarqué4, que celui qui répudie<< roit dans d'autres cas fût obligé de donner la « moitié de ses biens à sa femme, et que l'autre

1 Selon Denys d'Halicarnasse et Valère-Maxime; et 523 selon Aulu-Gelle. Aussi ne mettent-ils pas les mêmes consuls.

2 Voyez le discours de Véturie, dans Denys d'Halicarnasse, liv. ναι.

3 Plutarque, Vie de Romulus.

Ibid.

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