Page images
PDF
EPUB

jaunes. Le malheureux! à peine a-t-il besoin d'une couleur.

La possession de beaucoup de femmes ne prévient pas toujours les désirs pour celle d'un autre; il en est de la luxure comme de l'avarice, elle augmente sa soif par l'acquisition des trésors.

Du temps de Justinien, plusieurs philosophes gênés par le christianisme se retirèrent en Perse auprès de Cosroès. Ce qui les frappa le plus, dit Agathias 2, ce fut que la polygamie étoit permise à des gens qui ne s'abstenoient pas même de l'adultère.

La pluralité des femmes (qui le diroit!) mène à cet amour que la nature désavoue: c'est qu'une dissolution en entraîne toujours une autre. A la révolution qui arriva à Constantinople, lorsqu'on déposa le sultan Achmet, les relations disoient que le peuple ayant pillé la maison du chiaya, on n'y avoit pas trouvé une seule femme. On dit qu'à Alger3 on est parvenu à ce point qu'on n'en a pas dans la plupart des sérails.

* C'est ce qui fait que l'on cache avec tant de soin les femmes en Orient.

2 De la Vie et des Actions de Justinien, pag. 403. 3 Laugier de Tassis, Histoire d'Alger.

DE L'ESPRIT DES LOIS. T. I.

31

CHAPITRE VII.

De l'égalité du traitement dans le cas de la pluralité
des femmes.

De la loi de la pluralité des femmes suit celle de l'égalité du traitement. Mahomet, qui en permet quatre, veut que tout soit égal entre elles, pourriture, habits, devoir conjugal. Cette loi est aussi établie aux Maldives', où on peut épouser trois femmes.

2

La loi de Moïse veut même que si quelqu'un a marié son fils à une esclave, et qu'ensuite il épouse une femme libre, il ne lui ôte rien des vêtements, de la nourriture et des devoirs. On pouvoit donner plus à la nouvelle épouse, mais il falloit que la première n'eût pas moins.

CHAPITRE VIII.

De la séparation des femmes d'avec les hommes.

C'est une conséquence de la polygamie, que dans les nations voluptueuses et riches on ait un très grand nombre de femmes; leur séparation d'avec les hommes et leur clôture suivent naturel

[blocks in formation]

lement de ce grand nombre. L'ordre domestique le demande ainsi : un débiteur insolvable cherche à se mettre à couvert des poursuites de ses créanciers. Il y a de tels climats où le physique a une telle force que la morale n'y peut presque rien. Laissez un homme avec une femme; les tentations seront des chutes, l'attaque sûre, la résistance nulle. Dans ces pays, au lieu des préceptes, il faut des verroux.

Un livre classique de la Chine regarde comme un prodige de vertu de se trouver seul dans un appartement reculé avec une femme sans lui faire violence'.

mm

CHAPITRE IX.

Liaison du gouvernement domestique avec le politique.

Dans une république la condition des citoyens est bornée, égale, douce, modérée; tout s'y ressent de la liberté publique. L'empire sur les femmes n'y pourroit pas être si bien exercé; et lorsque le climat a demandé cet empire, le gouvernement d'un seul a été le plus convenable.

'Trouver à l'écart un trésor dont on soit le maître, ou une belle femme seule dans un appartement reculé, entendre la voix de son ennemi qui va périr si on ne le secourt; admirable pierre de touche. Traduction d'un ouvrage chinois sur la morale, dans le père du Halde, tom. III, pag. 151.

Voilà une des raisons qui ont fait que le gouvernement populaire a toujours été difficile à établir en Orient.

Au contraire la servitude des femmes est très conforme au génie du gouvernement despotique, qui aime à abuser de tout. Aussi a-t-on vu dans tous les temps, en Asie, marcher d'un pas égal la servitude domestique et le gouvernement despotique.

Dans un gouvernement où l'on demande surtout la tranquillité, et où la subordination extrême s'appelle la paix, il faut enfermer les femmes; leurs intrigues seroient fatales au mari. Un gouvernement qui n'a pas le temps d'examiner la conduite des sujets la tient pour suspecte, par cela seul qu'elle paroît et qu'elle se fait sentir.

Supposons un moment que la légèreté d'esprit et les indiscrétions, les goûts et les dégoûts de nos femmes, leurs passions grandes et petites, se trouvassent transportées dans un gouvernement d'Orient, dans l'activité et dans cette liberté où elles sont parmi nous, quel est le père de famille qui pourroit être un moment tranquille ? Partout des gens suspects, partout des ennemis; l'État seroit ébranlé, on verroit couler des flots de sang.

CHAPITRE X.

Principe de la morale de l'Orient.

Dans le cas de la multiplicité des femmes, plus la famille cesse d'être une, plus les lois doivent réunir à un centre ces parties détachées; et plus les intérêts sont divers, plus il est bon que les lois les ramènent à un intérêt.

Cela se fait surtout par la clôture. Les femmes ne doivent pas seulement être séparées des hommes par la clôture de la maison, mais elles en doivent encore être séparées dans cette même clôture, en sorte qu'elles y fassent comme une famille particulière dans la famille. De là dérive pour les .femmes toute la pratique de la morale, la pudeur, la chasteté, la retenue, le silence, la paix, la dépendance, le respect, l'amour, enfin une direction générale de sentiments à la chose du monde la meilleure par sa nature, qui est l'attachement unique à sa famille.

Les femmes ont naturellement à remplir tant de devoirs qui leur sont propres, qu'on ne peut assez les séparer de tout ce qui pourroit leur donner d'autres idées, de tout ce qu'on traite d'amusements, et de tout ce qu'on appelle des af faires.

« PreviousContinue »