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de bien qui attaquent plus volontiers celui des autres, il a fallu que la peine corporelle suppléât à la pécuniaire.)

Tout ce que je dis est puisé dans la nature, et est très favorable à la liberté du citoyen.

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CHAPITRE V.

De certaines accusations qui ont particulièrement besoin de modération et de prudence.

Maxime importante: il faut être très circonspect dans la poursuite de la magie et de l'hérésie. L'accusation de ces deux crimes peut extrêmement choquer la liberté, et être la source d'une infinité de tyrannies, si le législateur ne sait la borner; car, comme elle ne porte pas directement sur les actions d'un citoyen, mais plutôt sur l'idée que l'on s'est faite de son caractère, elle devient dangereuse à proportion de l'ignorance du peuple; et pour lors un citoyen est toujours en danger, parce que la meilleure conduite du monde, la morale la plus pure, la pratique de tous les devoirs, ne sont pas des garants contre les soupçons de ces

crimes.

Sous Manuel Comnène, le protestator 1 fut accusé d'avoir conspiré contre l'empereur, et de

Nicétas, Vie de Manuel Comnène, liv. 1y.

I

s'être servi pour cela de certains secrets qui rendent les hommes invisibles. Il est dit dans la vie de cet empereur que l'on surprit Aaron lisant un livre de Salomon dont la lecture faisoit paroître des légions de démons. Or, en supposant dans la magie une puissance qui arme l'enfer, et en partant de là, on regarde celui que l'on appelle un magicien comme l'homme du monde le plus propre à troubler et à renverser la société, et l'on est porté à le punir sans mesure.

L'indignation croît lorsque l'on met dans la magie le pouvoir de détruire la religion. L'histoire de Constantinople 2 nous apprend que, sur une révélation qu'avoit eue un évêque qu'un miracle avoit cessé à cause de la magie d'un particulier, lui et son fils furent condamnés à mort. De combien de choses prodigieuses ce crime ne dépendoit-il pas ! Qu'il ne soit pas rare qu'il y ait des révélations, que l'évêque en ait eu une; qu'elle fût véritable; qu'il y eût eu un miracle; que ce miracle eût cessé; qu'il y eût de la magie; que la magie pût renverser la religion; que ce particulier fût magicien, qu'il eût fait enfin cet acte de magie.

L'empereur Théodore Lascaris attribuoit sa maladie à la magie; ceux qui en étoient accusés n'a

Nicétas, Vie de Manuel Comnène, liv. Iv.

2 Histoire de l'empereur Maurice, par Théophylacte, chap. XL.

voient d'autres ressources que de manier un fer chaud sans se brûler. Il auroit été bon chez les Grecs d'être magicien pour se justifier de la magie. Tel étoit l'excès de leur idiotisme, qu'au crime du monde le plus incertain ils joignoient les preuves les plus incertaines.

Sous le règne de Philippe-le-Long, les Juifs fu

par le

rent chassés de France, accusés d'avoir empoisonné les fontaines moyen des lépreux. Cette absurde accusation doit bien faire douter de toutes celles qui sont fondées sur la haine publique.

Je n'ai point dit ici qu'il ne falloit point punir l'hérésie; je dis qu'il faut être très circonspect à la punir.

CHAPITRE VI.

Du crime contre nature.

A Dieu ne plaise que je veuille diminuer l'horreur que l'on a pour un crime que la religion, la morale et la politique condamnent tour à tour. Il faudroit le proscrire, quand il ne feroit que donner à un sexe les foiblesses de l'autre, et préparer à une vieillesse infame par une jeunesse honteuse. Ce que j'en dirai lui laissera toutes ses flėtrissures, et ne portera que contre la tyrannie qui

peut abuser de l'horreur même que l'on en doit avoir.

Comme la nature de ce crime est d'être caché, il est souvent arrivé que des législateurs l'ont puni sur la déposition d'un enfant : c'étoit ouvrir une porte bien large à la calomnie. «Justinien, dit Pro<< cope 1, publia une loi contre ce crime; il fit re«< chercher ceux qui en étoient coupables, non « seulement depuis la loi, mais avant. La déposi<< tion d'un témoin, quelquefois d'un enfant, quelquefois d'un esclave, suffisoit, surtout contre << les riches, et contre ceux qui étoient de la fac<< tion des verts. »

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Il est singulier que parmi nous trois crimes, la magie, l'hérésie, et le crime contre nature, dont on pourroit prouver, du premier, qu'il n'existe pas; du second, qu'il est susceptible d'une infinité de distinctions, interprétations, limitations; du troisième, qu'il est très souvent obscur, aient été tous trois punis de la peine du feu.

Je dirai bien que le crime contre nature ne fera jamais dans une société de grands progrès, si le peuple ne s'y trouve porté d'ailleurs par quelque coutume, comme chez les Grecs, où les jeunes gens faisoient tous leurs exercices nus; comme chez nous, où l'éducation domestique est hors d'usage, comme chez les Asiatiques, où des particuliers ont

1 Histoire secrète.

un grand nombre de femmes qu'ils méprisent, tandis que les autres n'en peuvent avoir. Que l'on ne prépare point ce crime, qu'on le proscrive par une police exacte comme toutes les violations des mœurs; et l'on verra soudain la nature ou défendre ses droits, ou les reprendre. Douce, aimable, charmante, elle a répandu les plaisirs d'une main libérale; et en nous comblant de délices, elle nous prépare, par des enfants qui nous font, pour ainsi dire, renaître, à des satisfactions plus grandes que ces délices mêmes.

CHAPITRE VII.

Du crime de lèse-majesté.

Les lois de la Chine décident que quiconque manque de respect à l'empereur doit être puni de mort. Comme elles ne définissent pas ce que c'est que ce manquement de respect, tout peut fournir un prétexte pour ôter la vie à qui l'on veut, et exterminer la famille que l'on veut.

Deux personnes chargées de faire la gazette de la cour, ayant mis dans quelque fait des circonstances qui ne se trouvèrent pas vraies, on dit que mentir dans une gazette de la cour, c'étoit mande respect à la cour, et on les fit mourir 1.

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1 Le P. du Halde, tom. 1, pag. 43.

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