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CHAPITRE XII.

D'une loi de Cyrus.

Je ne regarde pas comme une bonne loi celle que fit Cyrus pour que les Lydiens ne pussent exercer que des professions viles ou des professions infames. On va au plus pressé; on songe aux révoltes, et non pas aux invasions. Mais les invasions viendront bientôt; les deux peuples s'unissent, ils se corrompent tous les deux. J'aimerois mieux maintenir par les lois la rudesse du peuple vainqueur qu'entretenir par elles la mollesse du peuple vaincu.

Aristodème, tyran de Cumes', chercha à énerver le courage de la jeunesse. Il voulut que les garçons laissassent croître leurs cheveux comme les filles; qu'ils les ornassent de fleurs, et portassent des robes de différentes couleurs jusqu'aux talons; que, lorsqu'ils alloient chez leurs maîtres de danse ou de musique, des femmes leur portassent des parasols, des parfums et des éventails; que, dans le bain, elles leur donnassent des peignes et des miroirs. Cette éducation duroit jusqu'à l'âge de vingt ans. Cela ne peut convenir qu'à un petit tyran, qui expose sa souveraineté pour défendre

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CHAPITRE XIII.

Charles XII.

Ce prince, qui ne fit usage que de ses seules forces, détermina sa chute en formant des desseins qui ne pouvoient être exécutés que par une longue guerre, ce que son royaume ne pouvoit soutenir.

Ce n'étoit pas un état qui fût dans la décadence qu'il entreprit de renverser, mais un empire naissant. Les Moscovites se servirent de la guerre qu'il leur faisoit comme d'une école. A chaque défaite ils s'approchoient de la victoire, et perdant au dehors ils apprenoient à se défendre au dedans... I

Charles se croyoit le maître du monde dans les déserts de la Pologne, où il erroit, et dans lesquels la Suède étoit comme répandue, pendant que son principal ennemi se fortifioit contre lui, le serroit, s'établissoit sur la mer Baltique, détruisoit ou prenoit la Livonie.

La Suède ressembloit à un fleuve dont on coupoit les eaux dans sa source pendant qu'on les détournoit dans son cours.

Ce ne fut point Pultawa qui perdit Charles : s'il n'avoit pas été détruit dans ce lieu, il l'auroit été dans un autre. Les accidents de la fortune se réparent aisément; on ne peut pas parer à des évé

nements qui naissent continuellement de la nature des choses.

Mais la nature ni la fortune ne furent jamais si fortes contre lui que lui-même.

Il ne se régloit point sur la disposition actuelle des choses, mais sur un certain modèle qu'il avoit pris, encore le suivoit-il très mal. Il n'étoit point Alexandre; mais il auroit été le meilleur soldat d'Alexandre.

Le projet d'Alexandre ne réussit que parce qu'il étoit sensé. Les mauvais succès des Perses dans les invasions qu'ils firent de la Grèce, les conquêtes d'Agésilas, et la retraite des dix mille, avoient fait connoître au juste la supériorité des Grecs dans leur manière de combattre et dans le genre de leurs armes; et l'on savoit bien que les Perses étoient trop grands pour se corriger.

Ils ne pouvoient plus affoiblir la Grèce par des divisions; elle étoit alors réunie sous un chef qui ne pouvoit avoir de meilleur moyen pour lui cacher sa servitude que de l'éblouir par la destruction de ses ennemis éternels, et par l'espérance de la conquête de l'Asie.

Un empire cultivé par la nation du monde la plus industrieuse, et qui travailloit les terres par principe de religion, fertile et abondant en toutes choses, donnoit à un ennemi toutes sortes de facilités pour y subsister.

On pouvoit juger, par l'orgueil de ses rois toujours vainement mortifiés par leurs défaites, qu'ils précipiteroient leur chute en donnant toujours des batailles, et que la flatterie ne permettroit jamais qu'ils pussent douter de leur grandeur.

Et non seulement le projet étoit sage, mais il fut sagement exécuté. Alexandre, dans la rapidité de ses actions, dans le feu de ses passions même, avoit, si j'ose me servir de ce terme, une saillie de raison qui le conduisoit, et que ceux qui ont voulu faire un roman de son histoire, et qui avoient l'esprit plus gâté que lui, n'ont pu nous dérober. Parlons-en tout à notre aise.

CHAPITRE XIV.

Alexandre.

Il ne partit qu'après avoir assuré la Macédoine contre les peuples barbares qui en étoient voisins, et achevé d'accabler les Grecs: il ne se servit de cet accablement que pour l'exécution de son entreprise: il rendit impuissante la jalousie des Lacé démoniens; il attaqua les provinces maritimes; il fit suivre à son armée de terre les côtes de la mer pour n'être point séparé de sa flotte; il se servit admirablement bien de la discipline contre le nombre; il ne manqua point de subsistance; et,

s'il est vrai que la victoire lui donna tout, il fit aussi tout pour se procurer la victoire.

Dans le commencement de son entreprise, c'està-dire dans un temps où un échec pouvoit le renverser, il mit peu de chose au hasard. Quand la fortune le mit au dessus des événements, la témérité fut quelquefois un de ses moyens. Lorsqu'avant son départ il marche contre les Triballiens et les Illyriens, vous voyez une guerre comme celle que César fit depuis dans les Gaules. Lorsqu'il est de retour dans la Grèce, c'est comme malgré lui qu'il prend et détruit Thèbes : campé auprès de leur ville, il attend que les Thébains veuillent faire la paix ; ils précipitent eux-mêmes leur ruine. Lorsqu'il s'agit de combattre 3 les forces maritimes des Perses, c'est plutôt Parménion qui a de l'audace, c'est plutôt Alexandre qui a de la sagesse. Son industrie fut de séparer les Perses des côtes de la mer, et de les réduire à abandonner euxmêmes leur marine, dans laquelle ils étoient supérieurs. Tyr étoit par principe attachée aux Perses, qui ne pouvoient se passer de son commerce et de sa marine: Alexandre la détruisit; il prit l'Égypte, que Darius avoit laissée dégarnie de troupes pendant qu'il assembloit des armées innombrables dans un autre univers.

1 Voyez Arrien, de exped. Alex., lib. 1.

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