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aussi que tout enfant conçu pendant le mariage est légitime; la loi a confiance en la mère comme si elle étoit la pudicité même. Mais la question contre les criminels n'est pas dans un cas forcé comme ceux-ci. Nous voyons aujourd'hui une nation 1 très bien policée la rejeter sans inconvénient. Elle n'est donc pas nécessaire par sa nature 3.

Tant d'habiles gens et tant de beaux génies ont écrit contre cette pratique, que je n'ose parler après eux. J'allois dire qu'elle pourroit convenir dans les gouvernements despotiques, où tout ce qui inspire la crainte entre plus dans les ressorts du gouvernement; j'allois dire que les esclaves, chez les Grecs et chez les Romains..... mais j'entends la voix de la nature qui crie contre moi.

• La nation angloise.

2 Les citoyens d'Athènes ne pouvoient être mis à la question (Lysias, orat. in Argorat.), excepté dans le crime de lèse-majesté. On donnoit la question trente jours après la condamnation (Curius Fortunatus, Rhetor. Schol., liv. 11). Il n'y avoit pas de question préparatoire. Quant aux Romains, la loi 11 et iv ad leg. Juliam majest. fait voir que la naissance, la dignité, la profession de la milice, garantissoient de la question, si ce n'est dans le cas de crime de lèsemajesté. Voyez les sages restrictions que les lois des Visigoths mettoient à cette pratique.

CHAPITRE XVIII.

Des peines pécuniaires, et des peines corporelles.

Nos pères les Germains n'admettoient guère que des peines pécuniaires. Ces hommes guerriers et libres estimoient que leur sang ne devoit être versé que les armes à la main. Les Japonais 1, au contraire, rejettent ces sortes de peines, sous prétexte que les gens riches éluderoient la punition. Mais les gens riches ne craignent-ils pas de perdre leurs biens? les peines pécuniaires ne peuvent-elles pas se proportionner aux fortunes? et enfin ne peut-on pas joindre l'infamie à ces peines?

Un bon législateur prend un juste milieu; il n'ordonne pas toujours des peines pécuniaires; il n'inflige pas toujours des peines corporelles,

CHAPITRE XIX.

De la loi du talion.

Les états despotiques, qui aiment les lois simples, usent beaucoup de la loi du talion 2; les états modérés la reçoivent quelquefois; mais il y a cette différence, que les premiers la font exercer rigou

Voyez Kempfer.

› Elle est établie dans l'Alcoran. Voyez le chapitre De la Vache.

reusement, et que les autres lui donnent presque toujours des tempéraments.

pu

La loi des Douze-Tables en admettoit deux; elle ne condamnoit au talion que lorsqu'on n'avoit apaiser celui qui se plaignoit1. On pouvoit, après la condamnation, payer les dommages et intérêts 2, et la peine corporelle se convertissoit en peine pécuniaire 3.

CHAPITRE XX.

De la punition des pères pour leurs enfants.

On punit à la Chine les pères pour les fautes de leurs enfants. C'étoit l'usage du Pérou 4. Ceci est encore tiré des idées despotiques.

On a beau dire qu'on punit à la Chine le père pour n'avoir pas fait usage de ce pouvoir paternel que la nature a établi, et que les lois mêmes y ont augmenté; cela suppose toujours qu'il n'y a point d'honneur chez les Chinois. Parmi nous, les pères dont les enfants sont condamnés au supplice, et les enfants 5 dont les pères ont subi le

'Si membrum rupit, ni cum eo pacit, talio esto. Aulu-Gelle, lib. xx, cap. I.

2 Ibid.

3 Voyez aussi la Loi des Visigoths, liv. VI, tit. IV, § 3 et 5.

Voyez Garcilasso, Histoire des Guerres civiles des Espagnols.

5 Au lieu de les punir, disoit Platon, il faut les louer de ne pas ressembler à leur père. Liv. 1x des Lois.

même sort, sont aussi punis par la honte qu'ils le seroient à la Chine par la perte de la vie.

CHAPITRE XXI.

De la clémence du prince.

La clémence est la qualité distinctive des monarques. Dans la république, où l'on a pour principe la vertu, elle est moins nécessaire. Dans l'état despotique, où règne la crainte, elle est moins en usage, parce qu'il faut contenir les grands de l'état par des exemples de sévérité. Dans les monarchies, où l'on est gouverné par l'honneur, qui souvent exige ce que la loi défend, elle est plus nécessaire. La disgrace y est un équivalent à la peine; les formalités mêmes des jugements y sont des punitions. C'est là que la honte vient de tous côtés pour former des genres particuliers de peine.

Les grands y sont si fort punis par la disgrace, par la perte souvent imaginaire de leur fortune, de leur crédit, de leurs habitudes, de leurs plaisirs, que la rigueur à leur égard est inutile; elle ne peut servir qu'à ôter aux sujets l'amour qu'ils ont pour la personne du prince, et le respect qu'ils doivent avoir pour les places.

Comme l'instabilité des grands est de la nature

du gouvernement despotique, leur sûreté entre dans la nature de la monarchie.

Les monarques ont tant à gagner par la clémence, elle est suivie de tant d'amour, ils en tirent tant de gloire, que c'est presque toujours un bonheur pour eux d'avoir l'occasion de l'exercer; et on le peut presque toujours dans nos contrées. On leur disputera peut-être quelque branche de l'autorité, presque jamais l'autorité entière; et si quelquefois ils combattent pour la couronne, ils ne combattent point pour la vie.

Mais, dira-t-on, quand faut-il punir? quand faut-il pardonner? c'est une chose qui se fait mieux sentir qu'elle ne peut se prescrire. Quand la clémence a des dangers, ces dangers sont très visibles; on la distingue aisément de cette foiblesse qui mène le prince au mépris et à l'impuissance même de punir.

I

L'empereur Maurice prit la résolution de ne verser jamais le sang de ses sujets. Anastase 2 ne punissoit point les crimes. Isaac l'Ange jura que, de son règne, il ne feroit mourir personne. Les empereurs grecs avoient oublié que ce n'étoit pas en vain qu'ils portoient l'épée.

1

Evagre, Histoire.

2

Fragm. de Suidas, dans Const. Porphyrog.

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