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CHAPITRE X.

Des anciennes lois françoises.

C'est bien dans les anciennes lois françoises que l'on trouve l'esprit de la monarchie. Dans le cas où il s'agit de peines pécuniaires, les non nobles sont moins punis que les nobles 1. C'est tout le contraire dans les crimes 2; le noble perd l'honneur et réponse en cour, pendant que le vilain, qui n'a point d'honneur, est puni en son corps.

CHAPITRE XI.

Que, lorsqu'un peuple est vertueux, il faut peu de peines.

Le peuple romain avoit de la probité. Cette probité eut tant de force que souvent le législateur n'eut besoin que de lui montrer le bien pour le lui faire suivre; il sembloit qu'au lieu d'ordonnances il suffisoit de lui donner des conseils.

Les peines des lois royales et celles des lois des

«Si, comme pour briser un arrêt, les non nobles doivent une ⚫ amende de quarante sous, et les nobles de soixante livres. » Somme rurale, liv. 11, pag. 198, édit. goth. de l'an 1512; et Beaumanoir, chap. LXI, pag. 309.

Voyez le Conseil de Pierre Desfontaines, chap. xIII, ticle XXII.

surtout l'ar

Douze-Tables furent presque toutes ôtées dans la république, soit par une suite de la loi Valérienne', soit par une conséquence de la loi Porcie 2. On ne remarqua pas que la république en fût plus mal réglée, et il n'en résulta aucune lésion de police.

Cette loi Valérienne, qui défendoit aux magistrats toute voie de fait contre un citoyen qui avoit appelé au peuple, n'infligeoit à celui qui y contreviendroit que la peine d'être réputé méchant 3.

CHAPITRE XII.

De la puissance des peines.

L'expérience a fait remarquer que,

dans les pays

où les peines sont douces, l'esprit du citoyen en est frappé comme il l'est ailleurs par les grandes.

Quelque inconvénient se fait-il sentir dans un état, un gouvernement violent veut soudain le corriger; et, au lieu de songer à faire exécuter les anciennes lois, on établit une peine cruelle qui

• Elle fut faite par Valerius Publicola bientôt après l'expulsion des rois; elle fut renouvelée deux fois, toujours par des magistrats de la même famille, comme le dit Tite-Live, liv. x. Il n'étoit pas question de lui donner plus de force, mais d'en perfectionner les dispositions. Diligentius sanctum, dit Tite-Live, ibid.

› Lex Porcia pro tergo civium lata. Elle fut faite en 454 de la fondation de Rome.

3 Nihil ultrà quam improbe factum adjecit. Tite-Live.

arrête le mal sur-le-champ. Mais on use le ressort du gouvernement; l'imagination se fait à cette grande peine, comme elle s'étoit faite à la moindre, et, comme on diminue la crainte pour celle-ci, l'on est bientôt forcé d'établir l'autre dans tous les cas. Les vols sur les grands chemins étoient communs dans quelques états; on voulut les arrêter, on inventa le supplice de la roue, qui les suspendit pendant quelque temps. Depuis ce temps on a volé comme auparavant sur les grands chemins.

De nos jours la désertion fut très fréquente: on établit la peine de mort contre les déserteurs, et la désertion n'est pas diminuée. La raison en est bien naturelle : un soldat accoutumé tous les jours à exposer sa vie en méprise ou se flatte d'en mépriser le danger. Il est tous les jours accoutumé à craindre la honte; il falloit donc laisser une peine qui faisoit porter une flétrissure pendant la vie. On a prétendu augmenter la peine, et on l'a réellement diminuée.

I

Il ne faut point mener les hommes par les voies extrêmes; on doit être ménager des moyens que la nature nous donne pour les conduire. Qu'on examine la cause de tous les relâchements, on verra qu'elle vient de l'impunité des crimes, et de la modération des peines. Suivons la nature, qui a donné aux hommes

non pas

'On fendoit le nez, on coupoit les oreilles.

la honte comme leur fléau; et que la plus grande partie de la peine soit l'infamie de la souffrir.

Que s'il se trouve des pays où la honte ne soit pas une suite du supplice, cela vient de la tyrannie, qui a infligé les mêmes peines aux scélérats et aux gens de bien.

Et, si vous en voyez d'autres où les hommes ne sont retenus que par des supplices cruels, comptez encore que cela vient en grande partie de la violence du gouvernement, qui a employé ces supplices pour des fautes légères.

Souvent un législateur qui veut corriger un mal ne songe qu'à cette correction; ses yeux sont ouverts sur cet objet, et fermés sur les inconvénients. Lorsque le mal est une fois corrigé, on ne voit plus que la dureté du législateur; mais il reste un vice dans l'état, que cette dureté a produit; les esprits sont corrompus, ils se sont accoutumés au despotisme.

Lysandre ayant remporté la victoire sur les Athéniens, on jugea les prisonniers; on accusa les Athéniens d'avoir précipité tous les captifs de deux galères, et résolu, en pleine assemblée, de couper le poing aux prisonniers qu'ils feroient. Ils furent tous égorgés, excepté Adymante, qui s'étoit opposé à ce décret. Lysandre reprocha à Philoclès, avant de le faire mourir, qu'il avoit dé' Xénophon, Histoire, liv. 11.

1

pravé les esprits et fait des leçons de cruauté à toute la Grèce.

<< Les Argiens, dit Plutarque1, ayant fait mourir quinze cents de leurs citoyens, les Athéniens << firent apporter les sacrifices d'expiation, afin qu'il plût aux dieux de détourner du cœur des « Athéniens une si cruelle pensée.

«

Il y a deux genres de corruption; l'un, lorsque le peuple n'observe point les lois; l'autre, lorsqu'il est corrompu par les lois : mal incurable, parce qu'il est dans le remède même.

CHAPITRE XIII.

Impuissance des lois japonaises.

Les peines outrées peuvent corrompre le despotisme même. Jetons les yeux sur le Japon.

On y punit de mort presque tous les crimes 2, parce que la désobéissance à un si grand empereur que celui du Japon est un crime énorme. Il n'est pas question de corriger le coupable, mais de venger le prince. Ces idées sont tirées de la servitude, et viennent surtout de ce que l'empereur étant propriétaire de tous les biens, presque tous les crimes se font directement contre ses intérêts.

1 OEuvres morales, De ceux qui manient les affaires d'état.

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