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LA MORT

DU COLONEL MUIRON',

TUÉ A LA BATAILLE D'Arcole.

1799.

ARCOLE! en tes vallons fameux par nos guerriers
Les larmes du vainqueur ont mouillé ses lauriers.
Tu vis de cent héros moissonner la vaillance,
Qu'à l'Italie encor redemande la France.

Là, plus d'un grand destin en naissant immolé,
Plus d'un nom que la gloire eût un jour révélé,
Expira dans l'oubli sous la tombe jalouse;
Mais du jeune Muiron, mais de sa tendre épouse,
Ma lyre veut du moins consacrer les malheurs;
Et l'avenir ému leur donnera des pleurs.

Dans le camp des Français, leurs jeunes destinées
Au milieu des périls s'écoulaient fortunées;
Un fils, depuis six mois, souriait à leurs vœux;
Et du premier amour ils s'aimaient tous les deux.
La veille du combat, loin du fracas des armes,

1. Muiron était colonel d'artillerie.

L'hymen au front voilé leur prodiguait ses charmes;
Dans ces momens d'ivresse il semblait que le dieu
Leur dit secrètement : C'est le dernier adieu.
Au signal du clairon, Muiron cherche la gloire;
Il part, combat et meurt. On chanta la victoire.
Son épouse accourait; les guerriers, l'œil baissé,
L'accueillaient en passant d'un silence glacé.
Vers les bords de l'Adige, en tremblant elle arrive;
Elle appelle, elle voit sur la sanglante rive
Muiron, les yeux couverts des ombres du trépas,
Et pour la recevoir ouvrant encor les bras.
Elle ne parle point, mais chancelle, soupire;
Sur l'époux bien-aimé lentement elle expire.
Ce jour qu'il ne voit plus importune ses yeux;
Et d'un dernier regard elle accuse les cieux.
Sans parens, sans appui, sans lait, sans nourriture,
L'enfant restait: la mort, outrageant la nature,
Sur la tendre victime étendit son courroux.
L'epouse, dans la tombe, avait suivi l'époux;
L'enfant ne suça point le lait de l'étrangère:
Dans la tombe, à son tour, l'enfant suivit la mère.

2

Ainsi, quand le Belier vient reverdir les champs,
En un bosquet paré de filles du printemps,
Belles l'une par l'autre, on voit s'unir deux roses,
Sur une même tige, un même jour écloses.
Entre elles deux jaillit le timide bouton,

D'une amour mutuelle aimable rejeton.

La grêle à coups pressés abat les fleurs naissantes;
Et, s'unissant encor, les roses languissantes
Inclinent tristement leur front pâle et flétri;
Près d'elles tombe et meurt le rejeton chéri,
Que du plus doux zéphyr un souffle fit éclore,
Mais qu'un de ses baisers n'entr'ouvrait pas encore.

VARIANTES

DE L'ÉLÉGIE:

LA MORT DU COLONEL MUIRON.

Cette pièce de vers, épisode d'un poème sur la guerre d'Italie, fut insérée dans la Décade philosophique du 30 ventôse an VII. Elle commençait ainsi :

Plus d'un nom que la gloire eût un jour révélé,
Plus d'un destin futur, en naissant immolé,
Expire enseveli sous la tombe jalouse, etc.

Page 191, vers 6.

Au lieu de ce vers

Que du plus doux zéphyr un souffle fit éclore.

il y avait,

Qu'un souffle du zéphyr le matin fit éclore.

DE CAMPAGNE.

ÉLÉGIE ANGLAISE DE GRAY,

TRADUITE EN VERS FRANÇAIS.

1805.

mmum

PRÉFACE.

Il existe déja dans la langue française plusieurs traductions en vers de cette élégie célèbre; mais celles qui ont été publiées semblent plutôt des paraphrases que des traductions. Nous avons de plus quelques morceaux de poésie dont elle a évidemment donné l'idée; il en est même qui, sans égaler l'ouvrage du poète anglais pour la plénitude des pensées et l'énergique précision du style, sont du moins fort remarquables par l'élégance et l'harmonie.

En donnant au public cette version nouvelle, composée il y a plusieurs années, je fais imprimer les vers anglais à côté des vers français. On pourra voir d'un coup d'œil ce que j'ai cru de13

OEuvres anciennes. III.

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