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950

DIDON

dans la Tragédie de la Renaissance

Italienne et Française

Satin allen 11-17-42

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DIDON DANS LA TRAGÉDIE

de la Renaissance Italienne et Française

Les tragédies sur Didon que nous a léguées la Renaissance italienne et française sont au nombre de quatre : celle d'Alessandro Pazzi de' Medici, de Giovambattista Giraldi-Cinthio, de Lodovico Dolce et d'Estienne Jodelle. Il existait en outre, à ce qu'il paraît, une Didon de Guillaume de la Grange (1); mais elle n'est pas parvenue jusqu'à nous. Enfin Gabriel Le Breton (ou Guillaume Le Breton, comme le veut La Croix du Maine (2), (tome I, p. 136) écrivit une Didon qu'il ne publia pas et qui est également perdue. Ce sont donc les trois Didon italiennes et celle de Jodelle qui doivent fixer notre attention.

Le sujet est très intéressant à suivre à travers le XVI siècle, et jouit à cette époque d'une grande vogue. C'est un sujet qui est, je puis dire, bien caractéristique du XVI siècle. Les premiers tragiques italiens et français avaient bien compris qu'Aristote recommandait que l'on allât chercher des intrigues chez Homère. Or, Virgile étant à leur avis « le meilleur ouvrage d'Homère », ils voulurent dramatiser des épisodes de l'Enéide, où ils ne trouvèrent que le quatrième livre à leur goût. Et ils se mirent à écrire des tragédies sur la touchante histoire de Didon sans songer que les amours d'Enée et de Didon, tout en étant un des plus beaux thèmes élégiaques de la littérature, s'adaptent difficilement au théâ

(1) cf. ci-dessous, page 122.

(2) Il est probable que La Croix du Maine ne connut la Didon de G. Le Breton que par la mention que Fr. d'Amboise en fait dans sa préface de l'Adonis du même auteur (Paris, Langelier 1579, in-12°)

tre tragique. Il serait malaisé de construire une tragédie sur une intrigue amoureuse sans que celui qui joue le rôle principal fût un héros au point de vue des exigences dramatiques, tandis qu'Enée en Lybie n'est héroïque dans aucun sens du mot. Ses raisons pour quitter Carthage n'ont rien à voir dans l'histoire de Didon, et ce qui est pis, il n'a pas à subir les conséquences de sa faute. Quant à Didon, elle n'a que des regrets, qui sont fort beaux en poésie, mais. dépourvus d'action et ennuyeux sur la scène. Par conséquent, les quatre pièces que nous avons à examiner ne sont guère qu'un faisceau de gémissements, de discussions et de sentences. Enfin, nous reconnaissons dans ces tragédies tout ce qui caractérise la renaissance de la tragédie classique.

L'idée d'étudier les rapports qui pourraient exister entre les quatre tragédies en question et d'en chercher les sources n'est pas nouvelle. Charles de La Mothe, l'éditeur des œuvres de Jodelle, et Du Verdier après lui, disent que Jodelle a toujours suivi ses propres inventions, fuyant curieusement les imitations, sinon quand expressément il a voulu traduire en quelque tragédie tellement que si on trouve aucun trait qu'on puisse reconnaître aux anciens, ça été par rencontre, non par imitation, comme il sera aisé à juger en y regardant de près » (1).

Riccoboni est le premier à parler de rapports possibles entre les Italiens et Jodelle. « On pourrait peut-être soupçonner Jodelle », dit-il, « d'avoir imité les tragédies italiennes de Cléopâtre et de Didon, faites et imprimées longtemps avant lui, et lorsque le théâtre brillait en Italie; mais je puis assurer que ce n'est pas la même chose : j'ai eu la curiosité d'examiner les unes et les autres, et j'en ai reconnu la différence » (2).

Riccoboni a bien pu y reconnaître des différences, mais c'est un auteur dont il faut se méfier. En lisant plus loin, on constate qu'il est persuadé que les pièces de Jodelle et

(1) Du Verdier: Bibliothèque françoise tome III p. 502. Du Verdier a transcrit le témoignage de Charles de la Mothe (voir la préface de ce dernier; édition de 1574 des œuvres de Jodelle).

(2) Riccoboni (Louis): Réfléxions hist. et crit. sur les différens théâtres de l'Europe, Paris, Guérin, 1738, in-8° p. 108.

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