Page images
PDF
EPUB

nesse; et fault souvent chocquer les reigles de la medecine :

Vitamque sub dio, et trepidis agat

In rebus'.

point des sottises et fables qui se diront en sa presence: car c'est une incivile importunité de chocquer tout ce qui n'est pas de nostre appetit. Qu'il se contente de se corriger soy mesme; et ne semble pas reprocher à aultruy tout ce qu'il refuse à faire,

Ce n'est pas assez de luy roidir l'ame; il luy fault aussi roidir les muscles: elle est trop pres-ny contraster aux mœurs publicques: licet sapere see, si elle n'est secondee; et a trop à faire de, seule, fournir à deux offices. Ie sçay combien ahanne la mienne en compaignie d'un corps si tendre, si sensible, qui se laisse si fort aller sur elle; et apperceoy souvent, en ma leçon 3, qu'en leurs escripts mes maistres font valoir, pour magnanimité et force de courage, des exemples qui tiennent volontiers plus de l'espessissure de la peau et dureté des os.

l'ay veu des hommes, des femmes et des enfants ainsi nayz, qu'une bastonade leur est moins qu'à moy une chiquenaude; qui ne remuent ny langue ny sourcil aux coups qu'on leur donne quand les athletes contrefont les philosophes en patience, c'est plustost vigueur de nerfs que de cœur. Or l'accoustumance à porter le travail est accoustumance à porter la douleur : labor callum obducit dolori 4. Il le fault rompre à la peine et aspreté des exercices, pour le dresser à la peine et aspreté de la dislocation, de la cholique, du cautere, et de la geaule aussi et de la torture; car de ces dernieres icy, encores peult il estre en prinse, qui regardent les bons, selon le temps, comme les meschants: nous en sommes à l'espreuve; quiconque combat les loix, menace les plus gents de bien d'escourgees et de la chorde.

Et puis, l'auctorité du gouverneur, qui doibt estre souveraine sur luy, s'interrompt et s'empesche par la presence des parents: ioinct que ce respect que la famille luy porte, la cognoissance des moyens et grandeurs de sa maison, ce ne sont pas, à mon opinion, legieres incommoditez en cet aage.

En cette eschole du commerce des hommes, i'ay souvent remarqué ce vice, qu'au lieu de prendre cognoissance d'aultruy, nous ne travaillons qu'à la donner de nous; et sommes plus en peine de debiter nostre marchandise que d'en acquerir de nouvelle : le silence et la modestie sont qualitez tres commodes à la conversation. On dressera cet enfant à estre espargnant et mesnagier de sa suffisance, quand il l'aura acquise ; à ne se formalizer

'Qu'il n'ait de toit que le ciel, qu'il vive au milieu des alarmes. HOR. Od. III, 2, 5.

2 Souffre, fatigue. C.

3 Dans mes lectures. C.

4 Le travail vous endurcit à la douleur. CICER. Tusc. quæst. II, 15

sine pompa, sine invidia1. Fuye ces images regenteuses et inciviles, et cette puerile ambition de vouloir paroistre plus fin, pour estre aultre; et comme si ce feust marchandise mal aysee que reprehensions et nouvelletez, vouloir tirer de là nom de quelque peculiere valeur. Comme il n'affiert qu'aux grands poëtes d'user des licences de l'art, aussi n'est il supportable qu'aux grandes ames et illustres de se privilegier au dessus de la coustume. Si quid Socrates aut Aristippus contra morem et consuetudinem fecerunt, idem sibi ne arbitretur licere: magnis enim illi et divinis bonis hanc licentiam assequebantur. On luy apprendra de n'entrer en discours et contestation, que là où il verra un champion digne de sa luicte; et là mesme, à n'employer pas touts les tours qui luy peuvent servir, mais ceulx là seulement qui luy peuvent le plus servir. Qu'on le rende delicat au chois et triage de ses raisons, et aymant la pertinence, et par consequent la briefveté. Qu'on l'instruise sur tout à se rendre et à quitter les armes à la verité tout aussitost qu'il l'appercevra; soit qu'elle naisse ez mains de son adversaire, soit qu'elle naisse en luy mesme par quelque radvisement: car il ne sera pas mis en chaise pour dire un roolle prescript; il n'est engagé à aulcune cause, que parce qu'il l'appreuve; ny ne sera du mestier où se vend à purs deniers comptants la liberté de se pouvoir repentir et recognoistre : neque, ut omnia, quæ præscripta et imperata sint, defendat, necessitate ulla cogitur3.

Si son gouverneur tient de mon humeur, il luy formera la volonté à estre tres loyal serviteur de son prince, et tres affectionné et tres courageux; mais il luy refroidira l'envie de s'y attacher aultrement que par un debvoir publicque. Oultre plusieurs aultres inconvenients qui blecent nostre liberté par ces obligations particulieres, le iugement d'un homme gagé et achepté, ou il est moins entier et moins libre, ou il est taché et d'impru

103.

On peut être sage sans éclat, sans orgueil. SÉNÈQUE, Epist.

2 Si Aristippe ou Socrate n'ont pas toujours respecté les coutumes et les mœurs de leur pays, ce serait une erreur de croire que vous puissiez les imiter. Leur mérite transcendant et presque divin autorisait cette liberté. Cic. de Offic. I, 41.

3 Nulle nécessité ne l'oblige de défendre tout ce qu'on voudrait impérieusement lui prescrire. Cic. Acad. II, 3.

dence et d'ingratitude. Un pur courtisan ne peult avoir ny loy ny volonté de dire et penser que favorablement d'un maistre qui, parmi tant de milliers d'aultres subiects, l'a choisy pour le nourrir et eslever de sa main; cette faveur et utilité corrompent, non sans quelque raison, sa franchise, et l'esblouïssent: pourtant veoid on coustumierement le langage de ces gents là divers à tout aultre langage en un estat, et de peu de foy en telle matiere.

Que sa conscience et sa vertu reluisent en son parler, et n'ayent que la raison pour conduicte. Qu'on luy face entendre que de confesser la faulte qu'il descouvrira en son propre discours, encores qu'elle ne soit apperceue que par luy, c'est un effect de iugement et de sincerité, qui sont les principales parties qu'il cherche; que l'opiniastrer et contester sont qualitez communes, plus apparentes aux plus basses ames; que se radviser et se corriger, abandonner un mauvais party sur le cours de son ardeur, ce sont qualitez rares, fortes et philosophiques. On l'advertira, estant en compaignie, d'avoir les yeulx par tout; car ie treuve que les premiers sieges sont communement saisis par les hommes moins capables, et que les grandeurs de fortune ne se treuvent gueres meslees à la suffisance : i'ai veu, ce pendant qu'on s'entretenoit au hault bout d'une table de la beaulté d'une tapisserie ou du goust de la malvoisie, se perdre beaucoup de beaux traicts à l'aultre bout. Il sondera la portee d'un chascun : un bouvier, un masson, un passant, il fault tout mettre en besongne, et emprunter de chascun selon sa marchandise, car tout sert en mesnage; la sottise mesme et foiblesse d'aultruy luy sera instruction: à contrerooller les graces et façons d'un chascun, il s'engendrera envie des bonnes, et mespris des mauvaises.

Qu'on luy mette en fantasie une honneste curiosité de s'enquerir de toutes choses : tout ce qu'il y aura de singulier autour de luy, il le verra; un bastiment, une fontaine, un homme, le lieu d'une battaille ancienne, le passage de Cesar ou de Charlemaigne;

Quæ tellus sit lenta gelu, quæ putris ab æstu;
Ventus in Italiam quis bene vela ferat';

il s'enquerra des mœurs, des moyens et des alliances de ce prince, et de celuy là: ce sont choses tres plaisantes à apprendre, et tres utiles à sçavoir.

1 Quelle contrée est engourdie par le froid, ou brûlée par le soleil; quel vent propice pousse les vaisseaux en Italie. PROPERCE, IV, 3, 39.

En cette practique des hommes, i'entens y comprendre, et principalement, ceulx qui ne vivent qu'en la memoire des livres : il practiquera, par le moyen des histoires, ces grandes ames des meilleurs siecles. C'est un vain estude, qui veult; mais qui veult aussi, c'est un estade de fruict inestimable, et le seul estude, comme dict Platon ', que les Lacedemoniens eussent reservé à leur part. Quel proufit ne fera il, en cette part là, à la lecture des Vies de nostre Plutarque? Mais que mon guide se soutienne où vise sa charge; et qu'il n'imprime pas tant à son disciple la date de la ruyne de Carthage, que les mœurs de Hannibalet de Scipion; ny tant où mourut Marcellus, que pourquoy il feut indigne de son debvoir qu'il mourust là. Qu'il ne luy apprenne pas tant les histoires, qu'à en iuger. C'est à mon gré, entre toutes, la matiere à laquelle nos esprits s'appliquent de plus diverse mesure : i'ay leu en Tite Live cent choses que tel n'y a pas leu; Plutarque y en a leu cent, oultre ce que i'y ay sceu lire, et à l'adventure oultre ce que l'aucteur y avoit mis à d'aulcuns, c'est un pur estude grammairien; à d'aultres, l'anatomie de la philosophie, par laquelle les plus abstruses parties de nostre nature se penetrent. Il y a dans Plutarque beaucoup de discours estendus tres dignes d'estre sceus; car, à mon gré, c'est le maistre ouvrier de telle besongne; mais il y en a mille qu'il n'a que touchez simplement : il guigne seulement du doigt par où nous irons, s'il nous plaist; et se contente quelquesfois de ne donner qu'une attaincte dans le plus vif d'un propos. Il les fault arracher de là, et mettre en place marchande : comme ce sien mot2, « Que les habitants d'Asie servoient à un seul, pour ne sçavoir prononcer une seule syllabe, qui est Non, » donna peut estre la matiere et l'occasion à la Boëtie de sa SERVITUDE VOLONTAIRE. Cela mesme de luy veoir trier une legiere action en la vie d'un homme, ou un mot, qui semble ne porter pas cela, c'est un discours. C'est dommage que les gents d'entendement ayment tant la briefveté : sans doubte leur reputation en vault mieulx; mais nous en valons moins. Plutarque ayme mieulx que nous le vantions de son iugement, que de son sçavoir; il ayme mieulx nous laisser desir de soy, que satieté : il sçavoit qu'ez choses bonnes mesme on peult trop dire; et qu'Alexandridas reprocha iustement à celuy qui tenoit aux ephores des bons propos, mais trop longs: « O estrangier, tu dis

1 Hippias major, édit. d'Henri Estienne, t. III, pag. 249. C 2 Dans son traité de la Mauvaise honte ch. 7, de la traduction d'Amyot. C.

ს.

ce qu'il fault aultrement qu'il ne fault. » Ceulx | sainement des nostres, et apprennent nostre

qui ont le corps graile, le grossissent d'embourrures; ceulx qui ont la matiere exile, l'enflent de paroles.

2

I

iugement à recognoistre son imperfection et sa
naturelle foiblesse; qui n'est pas un legier ap-
prentissage tant de remuements d'estat et
changements de fortune publicque nous instrui-
sent à ne faire pas grand miracle de la nostre :
tant de noms,
tant de victoires et conquestes en-
sepvelies sous l'oubliance, rendent ridicule l'es-
perance d'eternizer nostre nom par la prinse de
dix argoulets et d'un poullier qui n'est cogneu
que de sa cheute: l'orgueil et la fierté de tant
de pompes estrangieres, la maiesté si enflee de
tant de courts et de grandeurs, nous fermit et
asseure la veue à soustenir l'esclat des nostres sans
ciller les yeulx : tant de milliasses d'hommes en-
terrez avant nous, nous encouragent à ne crain-
dre d'aller trouver si bonne compaignie en l'aul-
tre monde; ainsi du reste. Nostre vie, disoit
Pythagoras 2, retire3 à la grande et populeuse
assemblee des ieux Olympiques : les uns s'y exer-
cent le corps, pour en acquerir la gloire des
ieux; d'aultres y portent des marchandises à
vendre, pour le gaing; il en est, et qui ne sont
pas les pires, lesquels n'y cherchent aultre fruict
que de regarder comment et pourquoy chasque
chose se faict, et estre spectateurs de la vie des
aultres hommes, pour en iuger et reigler la
leur.

2

Il se tire une merveilleuse clarté, pour le iugement humain, de la frequentation du monde: nous sommes touts contraincts et amoncellez en nous, et avons la veue raccourcie à la longueur de nostre nez. On demandoit à Socrates d'où il estoit il ne respondit pas, d'Athenes; mais, du monde luy qui avoit l'imagination plus pleine et plus estendue, embrassoit l'univers comme sa ville, iectoit ses cognoissances, sa societé et ses affections à tout le genre humain; non pas comme nous, qui ne regardons que soubs nous 3. Quand les vignes gelent en mon village, mon prebstre en argumente l'ire de Dieu sur la race humaine, et iuge que la pepie en tienne desia les Cannibales. A veoir nos guerres civiles, qui ne crie que cette machine se bouleverse, et que le iour du iugement nous prend au collet? sans s'adviser que plusieurs pires choses se sont veues, et que les dix mille parts du monde ne laissent pas de galler le bon temps ce pendant: moy, selon leur licence et impunité, admire de les veoir si doulces et molles. A qui il gresle sur la teste, tout l'hemisphere semble estre en tempeste et orage; et disoit le Savoïard, « que si ce sot roy de France eust sceu bien conduire sa fortune, il estoit homme pour devenir maistre d'hostel de son duc : » son imagination ne concevoit aultre plus eslevee grandeur que celle de son maistre. Nous sommes insensiblement touts en cette erreur : erreur de grande suitte et preiuUtile nummus habet; patriæ carisque propinquis dice. Mais qui se presente comme dans un taQuantum elargiri deceat : quem te Deus esse bleau cette grande image de nostre mere nature Jussit, et humana qua parte locatus es in re; en son entiere maiesté; qui lit en son visage une Quid sumus, aut quidnam victuri gignimur.... 4 si generale et constante varieté; qui se remarque que c'est que sçavoir et ignorer, qui doibt estre là dedans, et non soy, mais tout un royaume, le but de l'estude; que c'est que vaillance, temcomme un traict d'une poincte tres delicate, perance et iustice; ce qu'il y a à dire entre l'amceluy là seul estime les choses selon leur iuste bition et l'avarice, la servitude et la subiection, grandcur. la licence et la liberté; à quelles marques on Ce grand monde, que les uns multiplient en- cognoist le vray et solide contentement; iusques cores comme especes soubs un genre, c'est le mirouer où il nous fault regarder, pour nous cognoistre de bon biais. Somme, ie veulx que ce soit le livre de mon escholier. Tant d'humeurs, de sectes, de iugements, d'opinions, de loix et de coustumes, nous apprennent à iuger

I PLUTARQUE, Apophthegmes des Lacédémoniens. C.

2 CICERON, Tusc. V, 37; PLUTARQUE, de l'Exil, ch. 4. C. 3 L'édition de 1588, fol. 58, porte qu'à nos pieds, leçon que Montaigne a effacée dans l'exemplaire corrigé de sa main. N.

Aux exemples se pourront proprement assortir touts les plus proufitables discours de la philosophie, à laquelle se doibvent toucher les actions humaines comme à leur reigle. On luy dira,

Quid fas optare; quid asper

Les argou

De dix chétifs soldats et d'un poulailler.· lets étaient des arquebusiers à cheval; et comme ils n'étaient pas considérables en comparaison des autres cavaliers, on a dit un argoulet pour un homme de néant. MÉNAGE.

2 CICERON, Tuscul. V, 3. ROUSSEAU, dans l'Emile, liv. IV, parait transcrire ce passage d'après les Essais. J. V. L.

3 Retirer à, ressembler. NICOT.

4 Ce qu'on peut désirer; à quoi doit servir l'argent; ce qu'on doit faire pour sa patrie et sa famille; ce que Dieu a voulu que l'homme fut sur la terre, et quel rang il lui a assigné dans le monde; ce que nous sommes, et dans quel dessein il nous a donné l'être. PERS. III, 69.

où il fault craindre la mort, la douleur et la honte;

Et quo quemque modo fugiatque feratque laborem '; quels ressorts nous meuvent, et le moyen de tant de divers bransles en nous : car il me semble que les premiers discours dequoy on luy doibt abbruver l'entendement, ce doibvent estre ceulx qui reiglent ses mœurs et son sens, qui luy apprendront à se cognoistre, et à sçavoir bien mourir et bien vivre. Entre les arts liberaux, commenceons par l'art qui nous faict libres elles servent toutes voirement en quelque maniere à l'instruction de nostre vie et à son usage, comme toutes aultres choses y servent en quelque maniere aussi; mais choisissons celle qui y sert directement et professoirement. Si nous sçavions restreindre les appartenances de nostre vie à leurs iustes et naturels limites, nous trouverions que la meilleure part des sciences qui sont en usage, est hors de nostre usage: et en celles mesmes qui le sont, qu'il y a des estendues et enfonceures tres inutiles que nous ferions mieulx de laisser là; et suyvant l'institution de Socrates 3, borner le cours de nostre estude en celles où fault l'utilité.

Sapere aude,

Incipe: vivendi recte qui prorogat horam, Rusticus exspectat, dum defluat amnis; at ille Labitur, et labetur in omne volubilis ævum 4.

ayant la mort ou la servitude tousiours presente aux yeulx?» car lors les roys de Perse preparoient la guerre contre son païs. Chascun doibt dire ainsin : « Estant battu d'ambition, d'avarice, de temerité, de superstition, et ayant au dedans tels aultres ennemis de la vie, iray ic songer au bransle du monde? »

Aprez qu'on luy aura apprins ce qui sert à le faire plus sage et meilleur, on l'entretiendra que c'est que logique, physique, geometrie, rhetorique; et la science qu'il choisira, ayant desia le iugement formé, il en viendra bientost à bout. Sa leçon se fera tantost par devis, tantost par livre : tantost son gouverneur luy fournira de l'aucteur mesme, propre à cette fin de son institution; tantost il luy en donnera la moelle et la substance toute maschee; et si de soy mesme il n'est assez familier des livres pour y trouver tant de beaux discours qui y sont, pour l'effect de son desseing, on lui pourra ioindre quelque homme de lettres qui à chaque besoing fournisse les munitions qu'il fauldra, pour les distribuer et dispenser à son nourrisson. Et que cette leçon ne soit plus aysee et naturelle que celle de Gaza', qui y peult faire doubte? Ce sont là preceptes espineux et mal plaisants, et des mots vains et descharnez, où il n'y a point de prinse, rien qui vous esveille l'esprit en cette cy l'ame treuve où mordre et où se paistre. Ce

C'est une grande simplesse d'apprendre à nos fruict est plus grand sans comparaison, et si sera enfants,

Quid moveant Pisces, animosaque signa Leonis,
Lotus et Hesperia quid Capricornus aqua 5;

la science des astres et le mouvement de la huic-
tiesme sphere, avant que les leurs propres :
Τί Πλειάδεσσι κάμοί;

Τί δ' ἄστρασι Βοώτεω 6; Anaximenes escrivant à Pythagoras 7 : « De quel sens puis ie m'amuser au secret des estoiles,

Et comment nous devons éviter ou supporter les peines. VIRG. Énéid. III, 459.

2 On a déjà vu que Montaigne emploie le mot art au feminin;

mais après avoir dit les arts libéraux, il est surprenant qu'il Fait voulu faire féminin. Il est certain qu'on trouve ici elles dans

les plus anciennes éditions. La pensée est de SENEQUE, Epist.

88. C.

3 DIOCÈNE LAERCE, Vie de Socrate, II, 21. C.

4 Ose être vertueux; commence : différer de régler sa conduite, c'est imiter la simplicité du voyageur qui trouvant un

fleuve sur son chemin, attend qu'il soit écoulé; le fleuve coule, et coulera éternellement. HOR. Epist. II, 1, 40.

5 Quelle est l'influence des Poissons, du Lion enflammé, et du Capricorne qui se plonge dans la mer occidentale. PROPERCE, IV, 1, 89.

6 Que m'importent les Pléiades, ou les étoiles du Bouvier? ANACR. Od. XVII, 10.

7 DIOCÈNE LAERCE, II, 4. C.

plustost meury.

C'est grand cas que les choses en soient là en nostre siecle, que la philosophie soit, iusques aux gents d'entendement, un nom vain et fantastique, qui se treuve de nul usage et de nu! prix, par opinion et par effect. Ie croy que ces ergotismes en sont cause, qui ont saisy ses avenues. On a grand tort de la peindre inaccessible cilleux et terrible : qui me l'a masquee de ce aux enfants, et d'un visage renfrongné, sourfauls visage, pasle et hideux? Il n'est rien plus gay, plus gaillard, plus enioué, et à peu que ie ne die folastre; elle ne presche que feste et bon temps: une mine triste et transie monstre que ce n'est pas là son giste. Demetrius le grammairien rencontrant dans le temple de Delphes une trouppe de philosophes assis ensemble, il leur dict: « Ou ie me trompe, ou, à vous veoir la

Savant du quinzième siècle, né à Thessalonique, qui passa en Italie avec plusieurs autres savants de la Grèce. It est auteur d'une grammaire grecque, un peu obscure pour les commençants. C.

2 PLUTARQUE, des Oracles qui ont cessé, c. 5. C.

contenance si paisible et si gaye, vous n'estes pas en grand discours entre vous. » A quoy l'un d'eulx, Heracleon le Megarien, respondit : « C'est à faire a ceulx qui cherchent si le futur du verbe ẞ

a double 2, ou qui cherchent la dérivation des comparatifs zaio et B2, et des superlatifs yeipiarov et Bikarov 3, qu'il fault rider le front, s'entretenants de leur science: mais quant aux discours de la philosophie, ils ont accoustumé d'esgayer et resiouyr ceulx qui les traictent, non les renfrongner et contrister. »

Deprendas animi tormenta latentis in ægro Corpore; deprendas et gaudia : sumit utrumque Inde habitum facies 4. L'ame qui loge la philosophie doibt, par sa santé, rendre sain encores le corps : elle doibt faire luire iusques au dehors son repos et son ayse; doibt former à son moule le port exterieur, et l'armer, par consequent, d'une gratieuse fierté, d'un maintien actif et alaigre, et d'une contenance contente et debonnaire. La plus expresse marque de la sagesse, c'est une esiouïssance constante; son estat est, comme des choses au dessus de la lune, tousiours serein : c'est baroco et baralipton 5 qui rendent leurs supposts ainsi crottez et enfumez; ce n'est pas elle ils ne la cognoissent que par ouyr dire. Comment! elle faict estat de sereiner les tempestes de l'ame, et d'apprendre la faim et les fiebvres à rire, non par quelques epicycles imaginaires, mais par raisons naturelles et palpables: elle a pour son but la vertu, qui n'est pas, comme diet l'eschole, plantee à la teste d'un mont couppé, rabotteux et inaccessible: ceulx qui l'ont approchee la tiennent, au rebours, logee dans une belle plaine fertile et fleurissante, d'où elle veoid bien soubs soy toutes choses; mais si peult on y ar

1 Bio, lancer, dont le futur fait ẞz. E. J.

2 C'est-à-dire, qui cherchent d'où dérivent les comparatifs yɛipov et Béxtiov, pejus et melius, comparatifs neutres, l'un de zépes, mancus, et non pas de xxxò;, mauvais; l'autre vrai positif qui sert de comparatif à ¿yz0śc. E. J.

3 Xaiptorov et BéTotoy, pessimum et optimum, superlatifs neutres dérivés des mêmes primitifs. C'est ainsi qu'en latin

pejor et pessimus, melior et optimus, servent de comparatifs

et de superlatifs, les deux premiers à malus, les deux autres a bonus, et n'en dérivent pas. E. J.

4 Les tourments d'un esprit inquiet percent à l'extérieur aussi bien que la joie; le visage réfléchit ces diverses affections de l'âme. JUVENAL, IX, 18.

5 Deux termes de l'ancienne logique scolastique :
Barbara, celarent, darii, ferio, baralipton,
Celantes, dabitis, fapesmo, frisesomorum,
Cesare, camestres, festino, baroco, darapti,
Felapton, disamis, datisi, bocardo, ferison.

Ces dix-neuf mots factices exprimaient les dix-neuf formes du syllogisme. J. V. L.

river, qui en sçait l'addresse, par des routes ombrageuses, gazonnees et doux fleurantes, plaisamment, et d'une pente facile et polie, comme est celle des voultes celestes. Pour n'avoir hanté cette vertu supreme, belle, triumphante, amoureuse, delicieuse pareillement et courageuse, ennemie professe et irreconciliable d'aigreur, de desplaisir, de crainte et de contraincte, ayant pour guide nature, fortune et volupté pour compaignes; ils sont allez, selon leur foiblesse, feindre cette sotte image, triste, querelleuse, despite, menaceuse, mineuse, et la placer sur un rochier à l'escart, emmy des ronces; fantosme à estonner les gents.

Mon gouverneur, qui cognoist debvoir remplir la volonté de son disciple autant ou plus d'affection que de reverence envers la vertu, luy sçaura dire que les poëtes suyvent les humeurs communes, et luy faire toucher au doigt que les dieux ont mis plustost la sueur aux advenues des cabinets de Venus, que de Pallas. Et quand il commencera de se sentir, luy presentant Bradamante ou Angelique 2, pour maistresse à iouyr; et d'une beaulté naïfve, actifve, genereuse, non hommasse, mais virile, au prix d'une beaulté molle, affettee, delicate, artificielle; l'une travestie en garson, coiffee d'un morion luisant; l'aultre vestue en garse 3, coiffee d'un attiffet emperlé : il iugera masle son amour mesme, s'il choisit tout diversement à cet effeminé pasteur de Phrygie.

Il luy fera cette nouvelle leçon : Que le prix et haulteur de la vraye vertu est en la facilité, utilité et plaisir de son exercice; si esloingné de difficulté, que les enfants y peuvent comme les hommes, les simples comme les subtils. Le reiglement c'est son util, non pas la force. Socrates, son premier mignon, quitte à escient sa force, pour glisser en la naïfveté et aysance de son progrez. C'est la mere nourrice des plaisirs humains en les rendant iustes, elle les rend seurs et purs; les moderant, elle les tient en haleine et en appetit; retranchant ceulx qu'elle refuse, elle nous aiguise envers ceulx qu'elle nous laisse; et nous laisse abondamment touts ceulx que veult nature, et iusques à la satieté, sinon iusques à la lasseté, maternellement : si d'adventure nous ne voulons dire que le regime qui arreste le beuveur avant l'yvresse, le mangeur avant la crudité, le paillard avant la pelade,

I HÉSIODE, Épy. xai ňu. v. 287. J. V. L.

2 Deux héroïnes du poëme de l'Arioste. C. 3 En jeune fille. E. J.

« PreviousContinue »