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pas à nostre forme de manger; ny le nostre, à boire à la souysse. Un Allemand me feit plaisir, à Auguste', de combattre l'incommodité de nos fouyers, par ce mesme argument dequoy nous nous servons ordinairement à condemner leurs poësles: car, à la verité, cette chaleur croupie, et puis la senteur de cette matiere reschauffee dequoy ils sont composez, enteste la pluspart de ceulx qui n'y sont pas experimentez; moy, non : mais au demourant, estant cette chaleur eguale, constante et universelle, sans lueur, sans fumee, sans le vent que l'ouverture de nos cheminees nous apporte, elle a bien, par ailleurs, dequoy se comparer à la nostre. Que n'imitons nous l'architecture romaine? car on dict qu'anciennement le feu ne se faisoit en leurs maisons que par le dehors et au pied d'icelles; d'où s'inspiroit la chaleur à tout le logis, par des tuyaux practiquez dans l'espez du mur, lesquels alloient embrassant les lieux qui en debvoient estre eschauffez: ce que l'ay veu clairement signifié, ie ne sçay où, en Seneque. Cettuy cy m'oyant louer les commoditez et beaultez de sa ville, qui le merite certes, commencea à me plaindre dequoy i'avois à m'en esloingner: et des premiers inconvenients qu'il m'allegua, ce feut la poisanteur de teste que m'apporteroient les cheminees ailleurs. Il avoit ouy faire cette plaincte à quelqu'un, et nous l'attachoit, estant privé, par l'usage, de l'appercevoir chez luy. Toute chaleur qui vient du feu m'affoiblit et m'appesantit; si disoit Evenus, que le meilleur condiment 3 de la vie estoit le feu ie prens plustost toute aultre façon d'eschapper au froid.

:

Nous craignons les vins au bas 4; en Portugal, cette fumee est en delices, et est le bruvage des princes. En somme, chasque nation a plusieurs coustumes et usances qui sont non seulement incogneues, mais farouches et miraculeuses à quelque aultre nation. Que ferons nous à ce peuple qui ne faict recepte que de tesmoignages imprimez, qui ne croid les hommes s'ils ne sont en livre, ny la verité, si elle n'est d'aage competent? Nous mettons en dignité nos sottises, quand nous les met

'A Augsbourg, Augusta Vindelicorum. Montaigne (Voyag. tom. I, pag. 114) passa par cette ville en allant en Italie, dans le mois d'octobre 1580. Il ne parle point dans son Journal de cet entretien avec un Allemand sur les poêles et les cheminées. J. V. L.

2 Quædam nostra demum prodisse memoria scimus, ut... impressos parietibus tubos, per quos circumfunderetur cafor, qui ima simul et summa foveret æqualiter. Epist. 90. 3 Assaisonnement, ragoût. Le mot d'Événus se trouve dans PLUTARQUE, Questions platoniques, c. 8. C.

4 On dit que le vin est au bas, quand le tonneau est presque vide. Dictionnaire de l'Académie.

tons au moule : il y a bien pour luy aultre poids, de dire, « le l'ay leu; » que si vous dites, « le l'ay ouy dire.» Mais moy, qui ne mescroy non plus la bouche que la main des hommes; et qui sçay qu'on escrit autant indiscrettement qu'on parle; et qui estime ce siecle comme un aultre passé, i'allegue aussi volontiers un mien amy que Aulugelle et que Macrobe, et ce que l'ay veu que ce qu'ils ont escript : et comme ils tiennent, de la vertu, qu'elle n'est pas plus grande, pour estre plus longue; i'estime de mesme de la verité, que pour estre plus vieille, elle n'est pas plus sage. le dis souvent que c'est pure sottise qui nous faict courir aprez les exemples estrangiers et scholastiques leur fertilité est pareille, à cette heure, à celle du temps d'Homere et de Platon. Mais n'est ce pas que nous cherchons plus l'honneur de l'allegation, que la verité du discours? comme si c'estoit plus, d'emprunter de la boutique de Vascosan ou de Plantin nos preuves, que de ce qui se veoid en nostre village : ou bien, certes, que nous n'avons pas l'esprit d'espelucher et faire valoir ce qui se passe devant nous, et le iuger assez vifvement, pour le tirer en exemple? car si nous disons que l'auctorité nous manque pour donner foy à nostre tesmoignage, nous le disons hors de propos; d'autant qu'à mon advis, des plus ordinaires choses et plus communes et cogneues, si nous sçavions trouver leur iour, se peuvent former les plus grands miracles de nature, et les plus merveilleux exemples, notamment sur le subiect des actions humaines.

Or sur mon subiect, laissant les exemples que ie sçay par les livres, et ce que dict Aristote2 d'Andron, Argien, qu'il traversoit sans boire les arides sablons de la Libye; un gentilhomme, qui s'est acquitté dignement de plusieurs charges, disoit, où l'estoy, qu'il estoit allé de Madrid à Lisbonne, en plein esté, sans boire. Il se porte vigoreusement pour son aage, et n'a rien d'extraordinaire en l'usage de sa vie, que cecy, d'estre deux ou trois mois, voire un an, ce m'a il dit, sans boire. Il sent de l'alteration; mais il la laisse passer, et tient que c'est un appetit qui s'alanguit ayseement de soy mesme; et boit plus par caprice que pour le besoing ou pour le plaisir.

En voycy d'un aultre. Il n'y a pas long temps que ie rencontray l'un des plus sçavants hommes de France, entre ceulx de non mediocre for

Edit. de 1588, fol. 479 : « comme s'il estoit plus noble. » 2 DIOG. LAERCE, dans la l ́re de Pyrrhon, IV, 81. On peut voir les propres paroles d'Aristote, dans les observations de Ménage sur cet endroit de Diogène Laêrce, pag. 434. C.

I

tune, estudiant au coing d'une salle qu'on luy | (pourtant, disent les sages', nous fault il planter à la meilleure, qu'elle nous facilitera incontinent), mais aussi au changement et à la variation, qui est le plus noble et le plus utile de ses apprentissages. La meilleure de mes complexions corporelles, c'est d'estre flexible et peu opiniastre : i'ay des inclinations plus propres et ordinaires, et plus agreables, que d'aultres; mais avecques bien peu d'effort, ie m'en destourne, et me coule ayseement à la façon contraire. Un ieune homme doibt troubler ses reigles, pour esveiller sa vigueur, la garder de moisir et s'appoltronir: et n'est train de vie si sot et si debile, que celuy qui se conduict par ordonnance et discipline; Ad primum lapidem vectari quum placet, hora Sumitur ex libro; si prurit frictus ocelli Angulus, inspecta genesi, collyria quærit :

avoit rembarré de tapisserie, et autour de luy un tabut de ses valets, plein de licence. Il me dict, et Seneque quasi autant de soy, qu'il faisoit son proufit de ce tintamarre; comme si, battu de ce bruict, il se ramenast et resserrast plus en soy pour la contemplation, et que cette tempeste de voix repercutast ses pensees au dedans : estant escholier à Padoue, il eut son estude si long temps logé à la batterie des coches et du tumulte de la place, qu'il se forma non seulement au mespris, mais à l'usage du bruict, pour le service de ses estudes. Socrates respondit à Alcibiades s'estonnant comme il pouvoit porter le continuel tintamarre de la teste de sa femme : « Comme ceulx qui sont accoustumez à l'ordinaire bruict des roues à puiser l'eau3. » Ie suis bien au contraire; i'ay l'esprit tendre et facile à prendre l'essor: quand il est empesché à part soy, le moindre bourdonnement de mouche l'assassine.

Seneque, en sa ieunesse, ayant mordu chauldement à l'exemple de Sextius, de ne manger chose qui eust prins mort, s'en passoit dans un an, avecques plaisir comme il dict 4; et s'en deporta, seulement pour n'estre souspeçonné d'emprunter cette reigle d'aulcunes religions nouvelles qui la semoient : il print quand et quand, des preceptes d'Attalus, de ne se coucher plus sur des loudiers 5 qui enfondrent; et employa iusques à la vieillesse ceulx qui ne cedent point au corps. Ce que l'usage de son temps luy faict compter à rudesse, le nostre nous le faict tenir à mollesse.

il se reiectera souvent aux excez mesme, s'il m'en croid aultrement, la moindre desbauche le ruyne; il se rend incommode et desagreable en conversation. La plus contraire qualité à un honneste homme, c'est la delicatesse et obligation. à certaine façon particuliere; et elle est particuliere, si elle n'est ployable et soupple. Il y a de la honte de laisser à faire par impuissance, ou de n'oser, ce qu'on veoid faire à ses compaignons : que telles gents gardent leur cuisine. Par tout ailleurs, il est indecent; mais à un homme de guerre, il est vicieux et insupportable; lequel, comme disoit Philopomen3, se doibt accoustumer à toute diversité et inegualité de vie.

Quoy que i'aye esté dressé, autant qu'on a peu, à la liberté et à l'indifference, si est ce que, par nonchalance m'estant, en vieillissant, plus arresté sur certaines formes (mon aage est hors d'institution, et n'a desormais dequoy regarder ailleurs qu'à se maintenir ), la coustume a desia, sans y penser, imprimé si bien en moy son charactere en certaines choses, que i'appelle excez, de m'en despartir et sans m'essayer, ne puis ny dormir sur iour, ny faire collation entre les repas, ny desieusner, ny m'aller coucher sans grand intervalle, comme de trois bonnes heures, aprez le soupper, ny faire des enfants qu'avant

Regardez la difference du vivre de mes valets à bras, à la mienne; les Scythes et les Indes n'ont rien plus esloingné de ma force et de ma forme. le scay avoir retiré de l'aumosne, des enfants, pour m'en servir, qui bientost aprez m'ont quitté et ma cuisine et leur livree, seulement pour se rendre à leur premiere vie et en trouvay un amassant depuis des moules emmy la voirie, pour son disner, que par priere, ny par menace, ie ne sceus distraire de la saveur et doulceur qu'il trouvoit en l'indigence. Les gueux ont leurs magnificences et leurs voluptez, comme les riches, et dict on, leurs dignitez et ordres politiques. Ce sont effects de l'accoustumance : elle nous peult duire, non seulement à telle forme qu'il luy plaist thagoriciens : « Choisis la voye qui est la meilleure, l'accous

1 Vacarme, tracas. Tabuter, inquietare, molestare. NICOT.

2 Dans sa Lettre 56. C.

3 DIOG. LAERCE, II, 36. C.

4 SÉNÈQUE, Epist. 108. C.

5 Sur des couvertures ou matelas qui fondent ou s'enfoncent. Lodier (formé probablement du latin lodix), couverte de lit cotonnée et piquée. MONET,

Pythagore, dans STOBÉE, serm. 29. Voici comment la maxime est rapportée par Plutarque, qui l'attribue aux py

tumance te la rendra agreable et plaisante. » De l'exil, chap. 7 de la traduction d'Amyot. C.

2 Veut-il se faire porter à un mille, l'heure du départ est prise dans son livre d'astrologie; l'œil lui démange-t-il pour se l'être frotté, point de remède avant d'avoir consulté son horoscope. Juv. VI, 576.

3 Ou plutôt, comme on disait à Philopamen. Voyez sa Vie dans PLUTARQUE, chap. 1 de la trad. d'Amyot. C.

nostre imagination, et nous change? Ceulx qui cedent tout à coup à ces pentes, attirent l'entiere ruyne sur eulx; et plains plusieurs gentilshommes qui, par la sottise de leurs medecins, se sont mis en chartre touts ieunes et entiers : encores vauldroit il mieulx souffrir un rheume, que de perdre pour iamais, par desaccoustumance, le commerce de la vie commune, en action de si grand usage. Fascheuse science, qui nous descrie les plus doulces heures du iour! Estendons nostre possession iusques aux derniers moyens : le plus souvent on s'y durcit en s'opiniastrant, et corrige lon sa complexion, comme feit Cesar le haut mal, à force de le mespriser et corrompre1. On se doibt addonner aux meilleures reigles, mais non pas s'y asservir; si ce n'est à celles, s'il y en a quelqu'une, ausquelles l'obligation et servitude soit utile.

2

Et les roys et les philosophes fientent, et les dames aussi : les vies publicques se doibvent à la cerimonie 2; la mienne, obscure et privee, iouît de toute dispense naturelle; soldat et gascon, sont qualitez aussi un peu subiectes à l'indiscretion : parquoy ie diray cecy de cette action, Qu'il est besoing de la renvoyer à certaines heures prescriptes et nocturnes, et s'y forcer par coustume et assubiectir, comme i'ay faict; mais non s'assubiectir, comme i'ay faict en vieillissant, au soing de particuliere commodité de lieu et de siege pour

le sommeil, ny les faire debout, ny porter ma | sueur, ny m'abbruver d'eau pure ou de vin pur, ny me tenir nue teste long temps, ny me faire tondre aprez disner; et me passerois autant mal ayseement de mes gants que de ma chemise, et de me laver à l'issue de table et à mon lever, et de ciel et rideaux à mon lict, comme de choses bien necessaires. Ie disneroy sans nappe; mais à l'allemande, sans serviette blanche, tres incommodement; ie les souille plus qu'eulx et les Italiens ne font, et m'ayde peu de cuillier et de fourchette. Ie plains qu'on n'aye suyvy un train que i'ay veu commencer, à l'exemple des roys; qu'on nous changeast de serviette selon les services, comme d'assiette. Nous tenons de ce laborieux soldat, Marius, que, vieillissant, il devint delicat en son boire, et ne le prenoit qu'en une sienne couppe particuliere moy ie me laisse aller de mesme à certaine forme de verres 2, et ne bois pas volontiers en verre commun; non plus que d'une main commune : tout metal m'y desplaist au prix d'une matiere claire et transparente que mes yeulx y tastent aussi, selon leur capacité. Ie dois plusieurs telles mollesses à l'usage. Nature m'a aussi, d'aultre part, apporté les siennes : comme, De ne soustenir plus deux pleins repas en un iour, sans surcharger mon estomach; ny l'abstinence pure de l'un des repas, sans me remplir de vents, asseicher ma bouche, estonner mon appetit: De m'offenser d'un long serein; car depuis quel-ce service, et le rendre empeschant par longueur ques annees, aux courvees de la guerre quand toute la nuict y court, comme il advient communement, aprez cinq ou six heures l'estomach me commence à troubler, avecques vehemente douleur de teste; et n'arrive point au iour sans vomir. Comme les aultres s'en vont desieusner, ie m'en vois dormir; et au partir de là, aussi gay qu'auparavant. l'avoy tousiours apprins que le serein ne s'espandoit qu'à la naissance de la nuict: mais hantant ces annees passees familierement, et long temps, un seigneur imbu de cette creance, Que le serein est plus aspre et dangereux sur l'inclination du soleil, une heure ou deux avant son coucher, lequel il evite soigneusement, et mesprise celuy de la nuict; il a cuidé m'imprimer, non tant son discours3, que son sentiment. Quoy, que le doubte mesme, et l'inquisition, frappe I PLUTARQUE, Comment il fault refrener la cholere, c. 13. C. a On lit dans l'édition de 1588, fol. 480 verso: « Les tasses me desplaisent, et l'argent au prix du verre, et d'estre servy a boire d'une main inaccoustumee et estrangiere, et en verre commun; et me laisse aller au chois de certaine forme de verres. Ie dois plusieurs telles mollesses, etc. »

3 Non pas tant son opinion que sa sensation. La recherche. E. J.

et mollesse : toutesfois, aux plus sales offices, est il pas aulcunement excusable de requerir plus de soing et de netteté? Natura homo mundum el elegans animal est 3. De toutes les actions naturelles, c'est celle que ie souffre plus mal volontiers m'estre interrompue. l'ay veu beaucoup de gents de guerre incommodez du desreiglement de leur ventre: tandis que le mien et moy nous ne faillons iamais au poinct de nostre assignation, qui est au sault du lict, si quelque violente occupation ou maladie ne nous trouble.

le ne iuge doneques point, comme ie disoy, où les malades se puissent mettre mieulx en seureté, qu'en se tenant coy dans le train de vie ou ils se sont eslevez et nourris : le changement, quel qu'il soit, estonne et blece. Allez croire que les chastaignes nuisent à un Perigourdin ou à un Lucquois, et le laict et le formage aux gents de

Voyez sa Vie dans PLUTARQ. c. 5 de la version d'Amyof C.

2 Edition de 1588, fol. 481: « Les aultres ont pour leur part la discretion et la suffisance, moy l'ingenuité et la liberté: les vies publicques, etc. »

3 L'homme est, de sa nature, un animal propre et délicat SENEQUE, Epist. 92.

la montaigne. On leur va ordonnant une non seu- | presté, autant licentieusement et inconsidereelement nouvelle, mais contraire forme de vie : ment qu'aultre, au desir qui me tenoit saisy; mutation qu'un sain ne pourroit souffrir. OrdonEt militavi non sine gloria '; nez de l'eau à un Breton de soixante dix ans ; enfermez dans une estuve un homme de marine; deffendez le promener à un laquay basque. Ils les privent de mouvement, et enfin d'air et de lumiere.

An vivere tanti est?

Cogimur a suetis animum suspendere rebus,
Atque, ut vivamus, vivere desinimus.....
Hos superesse reor, quibus et spirabilis aer,

Et lux, qua regimur, redditur ipsa gravis1?

S'ils ne font aultre bien, ils font au moins cecy, qu'ils preparent de bonne heure les patients à la mort, leur sappants peu à peu et retrenchants l'usage de la vie.

Et sain et malade, ie me suis volontiers laissé aller aux appetits qui me pressoient. Ie donne grande auctorité à mes desirs et propensions : ie n'ayme point à guarir le mal par le mal; ie hay les remedes qui importunent plus que la maladie. D'estre subiect à la cholique, et subiect à m'abstenir du plaisir de manger des huistres, ce sont deux maulx pour un : le mal nous pince d'un costé; la reigle, de l'aultre. Puis qu'on est au hazard de se mescompter, hazardons nous plustost à la suitte du plaisir. Le monde faict au rebours, et ne pense rien utile, qui ne soit penible; la facilité luy est suspecte. Mon appetit, en plusieurs choses, s'est assez heureusement accommodé par soy mesme et rengé à la santé de mon estomach; l'acrimonie et la poincte des saulses m'agreerent estant ieune; mon estomach s'en ennuyant depuis, le goust l'a incontinent suyvy: le vin nuit aux malades; c'est la premiere chose dequoy ma bouche se desgouste, et d'un desgoust invincible. Quoy que ie receoive desagreablement, me nuit; et rien ne me nuit, que ie face avecques faim et alaigresse. Ie n'ay iamais receu nuisance d'action qui m'eust esté bien plaisante: et si, ay faict ceder à mon plaisir, bien largement, toute conclusion medecinale: et me suis, ieune,

Quem circumcursans huc atque huc sæpe Cupido
Fulgebat crocina splendidus in tunica2,

La vie est-elle d'un si grand prix ?... On nous oblige à nous priver des choses auxquelles nous sommes accoutumés, et pour prolonger notre vie, nous cessons de vivre...... En effet, mettrai-je au nombre des vivants ceux à qui l'on rend incommode l'air qu'ils respirent, la lumière qui les éclaire? PSEUDOGALLUS, Eleg. I, 155, 247. On n'y trouve point ces mots, An vivere tanti est?

2 Lorsque l'Amour, couvert d'une robe éclatante, voltigeait gans cesse autour de moi. CATULLE, Carm. LXVI, 133,

plus toutesfois en continuation et en duree, qu'en saillie;

Sex me vix memini sustinuisse vices".

Il y a du malheur certes, et du miracle, à confesser en quelle foiblesse d'ans3 ie me rencontray premierement en sa subiection. Ce feut bien rencontre; car ce feut long temps avant l'aage de chois et de cognoissance : il ne me souvient point de moy de si loing, et peult on marier ma fortune à celle de Quartilla, qui n'avoit point memoire de son fillage :

Inde tragus, celeresque pili, mirandaque matri
Barba meæ 5.

Les medecins ployent, ordinairement avecques utilité, leurs reigles à la violence des envies aspres qui surviennent aux malades : ce grand desir ne se peult imaginer si estrangier et vicieux, que nature ne s'y applique. Et puis, combien est ce de contenter la fantasie! A mon opinion, cette piece là importe de tout; au moins au delà de toute aultre. Les plus griefs et ordinaires maulx sont ceulx que la fantasie nous charge : ce mot espaignol me plaist à plusieurs visages, Defienda me Dios de mi. Ie plains, estant malade, dequoy ie n'ay quelque desir qui me donne ce contentement de l'assouvir; à peine m'en destourneroit la medecine : autant en fois ie sain; ie ne veoy gueres plus qu'esperer et vouloir. C'est pitié d'estre alanguy et affoibly iusques au souhaitter.

L'art de medecine n'est pas si resolue que nous soyons sans auctorité, quoy que nous facions: elle change selon les climats, et selon les lunes; selon Fernel, et selon l'Escale 7. Si vostre mede

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cin ne treuve bon que vous dormez, que vous usez de vin ou de telle viande, ne vous chaille; ie vous en trouveray un aultre qui ne sera pas de son advis : la diversité des arguments et opinions medecinales embrasse toute sorte de formes. Ie veis un miserable malade crever et se pasmer d'alteration, pour se guarir; et estre mocqué depuis par un aultre medecin, condemnant ce conseil comme nuisible: avoit il pas bien employé sa peine? Il est mort freschement, de la pierre, un homme de ce mestier, qui s'estoit servy d'extreme abstinence à combattre son mal: ses compaignons disent qu'au rebours ce ieusne l'avoit asseiché, et lui avoit cuict le sable dans les roignons.

la recevoir, selon le bransle qu'elle prend ; comme entre ceulx qui iouent à la paulme, celuy qui soustient, se desmarche et s'appreste, selon qu'il veoid remuer celuy qui luy iecte le coup, et selon la forme du coup.

L'experience m'a encores apprins cecy, Que nous nous perdons d'impatience. Les maulx ont leur vie et leurs bornes, leurs maladies et leur santé. La constitution des maladies est formee au patron de la constitution des animaulx ; elles ont leur fortune limitee dez leur naissance, et leurs iours: qui essaye de les abbreger imperieusement, par force, au travers de leur course, il les alonge et multiplie; et les harcelle, au lieu de les appaiser. Ie suis de l'advis de Crantor, « Qu'il ne fault

l'ay apperceu qu'aux bleceures et aux maladies, le parler m'esmeut et me nuit, autant que de-ny obstineement s'opposer aux maulx, et à l'essordre que ie face. La voix me couste et me lasse: car ie l'ay haulte et efforcee; si que quand ie suis venu à entretenir l'aureille des grands d'affaires de poids, ie les ay mis souvent en soing de moderer ma voix.

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tourdie, ny leur succomber de mollesse; mais qu'il leur fault ceder naturellement, selon leur condition et la nostre. » On doibt donner passage aux maladies : et ie treuve qu'elles arrestent moins chez moy, qui les laisse faire; et en ay perdu, de celles qu'on estime plus opiniastres et tenaces, de leur propre decadence, sans ayde et sans art, et contre ses reigles. Laissons faire un peu à nature: elle entend mieulx ses affaires que nous.

Ce conte merite de me divertir : Quelqu'un 1, en certaine eschole grecque, parloit hault, comme moy; le maistre des cerimonies luy manda qu'il parlast plus bas : « Qu'il m'envoye, feit il, le ton auquel il veult que ie parle. » L'aultre luy repliqua,« Mais un tel en mourut. » Si ferez vous; sinon de Qu'il prinst son ton des aureilles de celuy à qui ce mal là, d'un aultre; et combien n'ont pas laissé il parloit. » C'estoit bien dict, pourveu qu'il s'en- d'en mourir, ayants trois medecins à leur cul2! tende, «< Parlez selon ce que vous avez à faire à L'exemple est un mirouer vague, universel, et vostre auditeur; » car si c'est à dire, « Suffise à tout sens. Si c'est une medecine voluptueuse, acvous qu'il vous oye, ou Reiglez vous par luy,»ceptez la ; c'est tousiours autant de bien present: ie ne treuve pas que ce feust raison. Le ton etie ne m'arresteray ny au nom, ny à la couleur, mouvement de la voix a quelque expression et si elle est delicieuse et appetissante; le plaisir est signification de mon sens ; c'est à moy à le con- des principales especes du proufit. l'ay laissé enduire pour me representer : il y a voix pour ins- vieillir et mourir en moy, de mort naturelle, des truire, voix pour flatter, ou pour tanser; ie veulx rheumes, defluxions goutteuses, relaxations, batque ma voix non seulement arrive à luy, mais à tements de cœur, micraines, et aultres accidents, l'adventure, qu'elle le frappe, et qu'elle le perce. que i'ay perdus quand ie m'estois à demy formé Quand ie mastine mon laquay d'un ton aigre à les nourrir : on les coniure mieulx par courtoiet poignant, il seroit bon qu'il veinst à me dire: sie que par braverie. Il fault souffrir doulcement Mon maistre, parlez plus doulx, ie vous oy les loix de nostre condition: nous sommes pour bien. » Est quædam vox ad auditum accommo- vieillir, pour affoiblir, pour estre malades, en data, non magnitudine, sed proprietate. La despit de toute medecine. C'est la premiere leçon parole est moitié à celuy qui parle, moitié à ce- que les Mexicains font à leurs enfants, quand luy qui l'escoute; cettuy cy se doibt preparer à au partir du ventre des meres, il les vont saluant ainsin : « Enfant, tu es venu au monde pour endurer; endure, souffre, et tais toy. » C'est iniustice, de se douloir qu'il soit advenu à quelqu'un ce qui peult advenir à chascun indignare,

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Sans - Malice, médecin de François Ier, se fit appeler en grec Akakia (àxzxía). Plus tard, Van der Beken s'appela

Torrentius; Voorbroek, Perizonius, etc. Sous Louis XIV, deux jésuites changèrent leur nom, qui leur semblait ridicule : le P. Annat se nommait le P. Canard (Anas), et le P. Commire, le P. Commère. J. V. L.

* C'était Carnéade. Voy. la Vie de ce philosophe dans DioGÈNE LAERCE, IV, 63. C.

Il y a une sorte de voix qui est faite pour l'oreille, non pas tant par son étendue que par sa propriété. QUINTILIEN, XI, 3.

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