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par un iuge; et n'ont homme si familier, des intentions duquel ils entreprennent de pleinement respondre. Ie tiens moins hazardeux d'escrire les choses passees, que presentes: d'autant que l'escrivain n'a à rendre compte que d'une verité empruntee.

des hommes: l'honneur mesme et practique des ministres de la religion se tire de nostre mort et de nos vices; nul medecin ne prend plaisir à la santé de ses amis mesmes, dit l'ancien comique | grec; ny soldat, à la paix de sa ville: ainsi du reste. Et qui pis est, que chascun se sonde au dedans, il trouvera que nos souhaits interieurs, pour la pluspart, naissent et se nourrissent aux despens d'aultruy. Ce que considerant, venu en fantasie, comme nature ne se desment point en cela de sa generale police; car les physiciens tiennent que la naissance, nourrissement et augmentation de chasque chose, est l'alteration et corruption d'une aultre:

il m'est

Aulcuns me convient d'escrire les affaires de mon temps, estimants que ie les veoy d'une veue moins blecee de passion qu'un aultre, et de plus prez, pour l'accez que fortune m'a donné aux chefs de divers partis. Mais ils ne disent pas, Que pour la gloire de Salluste ie n'en prendroy pas la peine; ennemy iuré d'obligation, d'assiduité, de constance: Qu'il n'est rien si contraire à mon style, qu'une narration estendue; ie me recouppe si souvent, à faulte d'haleine; ie n'ay ny composition ny explication qui vaille; ignorant, au delà d'un enfant, des frases et vocables qui servent aux choses plus De la coustume, et de ne changer ayseement une communes; pourtant ay ie prins à dire ce que ie scay dire, accommodant la matiere à ma force; si i'en prenoy qui me guidast, ma mesure pourroit faillir à la sienne: Que ma liberté estant si libre, i'eusse publié des iugements, à mon gré mesme et selon raison, illegitimes et punissables.

Plutarque nous diroit volontiers, de ce qu'il en a faict, que c'est l'ouvrage d'aultruy que ses exemples soyent en tout et par tout veritables: qu'ils soyent utiles à la posterité, et presentez d'un lustre qui nous esclaire à la vertu, que c'est son ouvrage. Il n'est pas dangereux, comme en une drogue medicinale, en un conte ancien, qu'il soit ainsin ou ainsi.

CHAPITRE XXI.

Le proufit de l'un est dommage de l'aultre. Demades', Athenien, condemna un homme de sa ville qui faisoit mestier de vendre les choses necessaires aux enterrements, soubs tiltre de ce qu'il en demandoit trop de proufit, et que ce proufit ne luy pouvoit venir sans la mort de beaucoup de gents. Ce iugement semble estre mal prins; d'autant qu'il ne se faict aulcun proufit qu'au dommage d'aultruy, et qu'à ce compte il fauldroit condemner toute sorte de gaings. Le marchand ne faict bien ses affaires qu'à la desbauche de la ieunesse; le laboureur, à la cherté des bleds; l'architecte, à la ruyne des maisons; les officiers de la iustice, aux procez et querelles

• SÉNÈQUE, de Beneficiis, VI, d'où presque tout ce chapitre a été pris. C.

Nam quodcumque suis mutatum finibus exit,
Continuo hoc mors est illius, quod fuit ante.
CHAPITRE XXII.

loy receue.

Celuy me semble avoir tres bien conceu la force de la coustume, qui premier forgea ce conte3, qu'une femme de village ayant apprins de caresser et porter entre ses bras un veau dez l'heure de sa naissance, et continuant tousiours à ce faire, gaigna cela par l'accoustumance, que tout grand bœuf qu'il estoit, elle le portoit encores: car c'est à la verité une violente et traistresse maistresse d'eschole que la coustume. Elle establit en nous, peu à peu, à la desrobbee, le pied de son auctorité : mais par ce doulx et humble commencement, l'ayant rassis et planté avec l'ayde du temps, elle nous descouvre tantost un furieux et tyrannique visage, contre lequel nous n'avons plus la liberté de haulser seulement les yeulx. Nous luy veoyons forcer, touts les coups, les reigles de nature : Usus efficacissimus rerum omnium magister4. l'en croy l'antre de Platon en sa Republique 5; et les medecins, qui quittent si souvent à son auctorité les raisons de leur art; et ce roy qui

1 « Le précepte de ne jamais nuire à autrui emporte celui de tenir à la société humaine le moins qu'il est possible; car dans l'état social le bien de l'un fait nécessairement le mal de l'autre. » ROUSSEAU, Emile, liv. III.

2 Un corps ne peut sortir de sa nature sans que ce qu'il était cesse d'étre. LUCRÈCE, II, 752.

3 On trouve ce conte dans STOBÉE (Serm. XXIX), qui le cite d'après Favorinus. Voy. aussi QUINTILIEN, I, 9; PÉTRONE, c. 25, et les Adages d'Erasme. J. V. L.

4 En tout, l'usage est le meilleur maître. PLINE, Nat. hist. XXVI, 2.

5 PLATON, République, VII, édit. d'Alde, t. II, p. 90; édit. d'Henri Estienne, t. II, p. 514, A. Voyez les Pensées de Platon, seconde édition, pag. 88. J. V. L.

par son moyen rengea son estomach à se nourrir de poison; et la fille qu'Albert recite s'estre accoustumee à vivre d'araignees : et en ce monde des Indes nouvelles, on trouva des grands peuples, et en fort divers climats, qui en vivoient, en faisoient provision et les appastoient, comme aussi des saulterelles, formis, lezards, chauvesouris; et feut un crapaud vendu six escus en une necessité de vivres ; ils les cuysent et apprestent à diverses saulses : il en feut trouvé d'aultres ausquels nos chairs et nos viandes estoient mortelles et venimeuses. Consuetudinis magna vis est: pernoctant venalores in nive; in montibus uri se patiuntur; pugiles, cœstibus contusi, ne ingemiscunt quidem'.

Ces exemples estrangiers ne sont pas estranges, si nous considerons, ce que nous essayons ordinairement, combien l'accoustumance hebete nos sens. Il ne nous fault pas aller chercher ce qu'on dict des voysins des cataractes du Nil; et ce que les philosophes estiment de la musique celeste, que les corps de ces cercles, estants solides, polis, et venants à se lescher et frotter l'un à l'autre en roulant, ne peuvent faillir de produire une merveilleuse harmonie, aux couppures et muances de laquelle se manient les contours et changements des carolles des astres; mais qu'universellement les ouyes des creatures de çà bas, endormies, comme celles des Aegyptiens, par la continuation de ce son, ne le peuvent apperceveoir, pour grand qu'il soit les mareschaulx, meusniers, armuriers, ne sçauroient demeurer au bruit qui les frappe, s'il les perceoit comme nous.

Mon collet de fleurs 4 sert à mon nez: mais aprez que ie m'en suis vestu trois iours de suitte, il ne sert qu'aux nez assistants. Cecy est plus estrange, que nonobstant des longs intervalles et intermissions, l'accoustumance puisse ioindre et establir l'effect de son impression sur nos sens; comme essayent les voysins des clo

1 Rien de plus puissant que l'habitude. Passer les nuits au milieu des neiges, se brûler dans les montagnes au plus ardent soleil, voilà la vie des chasseurs. Ces athletes qui se meurtrissent à coups de ceste ne poussent pas même un gémissement. CIC. Tusc. quæst. II, 17.

2 C'est-à-dire nous éprouvons. Montaigne emploie souvent le le mot essayer dans ce sens-là. Comme essayent les voysins des clochiers, dit-il quelques lignes plus bas; c'est-à-dire, Comme éprouvent les voisins des clochers. C.

3 Tout ce passage, depuis l'exemple des cataractes du Nil, est imité de Cicéron, Songe de Scipion. Voy. les fragments du traité de la République, VI, II. J. V. L.

4 C'est peut-être ce qu'on nommait collet de senteur, espèce de pourpoint de peau parfumée, à petites basques et sans manches. C.

chiers. He loge chez moy en une tour où, à la diane et à la retraicte, une fort grosse cloche sonne touts les iours l'Ave Maria. Ce tintamarre estonne ma tour mesme : et aux premiers iours me semblant insupportable, en peu de temps m'apprivoisa de maniere que ie l'oy sans offense, et souvent sans m'en esveiller.

Platon tansa un enfant qui iouoit aux noix. Il luy respondit : « Tu me tanses de peu de chose. L'accoustumance, repliqua Platon, n'est pas chose de peu 1. » Ie treuve que nos plus grands vices prennent leur ply dez nostre plus tendre enfance, et que nostre principal gouvernement est entre les mains des nourrices. C'est passetemps aux meres de veoir un enfant tordre le col à un poulet, et s'esbattre à blecer un chien et un chat: et tel pere est si sot, de prendre à bon augure d'une ame martiale, quand il veoid son fils gourmer iniurieusement un païsan ou un laquay qui ne se deffend point ; et à gentillesse, quand il le veoid affiner son compaignon par quelque malicieuse desloyauté et tromperie. Ce sont pourtant les vrayes semences et racines de la cruauté, de la tyrannie, de la trahison : elles se germent là, et s'eslevent aprez gaillardement, et proufitent à force entre les mains de la coustume. Et est une tres dangereuse institution, d'excuser ces vilaines inclinations par la foiblesse de l'aage et legiereté du subiect: premierement, c'est nature qui parle, de qui la voix est lors plus pure et plus naïfve, qu'elle est plus graile et plus neufve: secondement, la laideur de la piperie ne depend pas de la difference des escus aux espingles; elle depend de soy. Ie treuve bien plus iuste de conclure ainsi : Pourquoy ne tromperoit il aux escus, puis qu'il trompe aux espingles?» que comme ils font : « Ce n'est qu'aux espingles; il n'auroit garde de le faire aux escus. » Il fault apprendre soigneusement aux enfants de haïr les vices de leur propre contexture; et leur en fault apprendre la naturelle difformité, à ce qu'ils les fuyent non en leur action seulement, mais sur tout en leur cœur ; que la pensee mesme leur en soit odieuse, quelque masque qu'ils portent.

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Ie sçay bien que pour m'estre duict, en ma puerilité, de marcher tousiours mon grand et plain chemin, et avoir eu à contrecœur de mesler ny tricotterie ny finesse à mes ieux enfantins

I DIOGÈNE LAERCE, III, 38. Mais Diogène ne dit pas que la personne que Platon tança, fùt un enfant, et qu'il jouat aux noix. Il dit qu'il jouait aux dés, ce qui rend la réponse de Platon bien plus importante. C.

(comme de vray il fault noter que les ieux des enfants ne sont pas ieux, et les fault iuger en eulx comme leurs plus serieuses actions), il n'est passetemps si legier où ie n'apporte, du dedans et d'une propension naturelle et sans estude, une extreme contradiction à tromper. le manie les chartes pour les doubles', et tiens compte, comme pour les doubles doublons; lors que le gaigner et le perdre, contre ma femme et ma fille, m'est indifferent, comme lors qu'il va de bon. En tout et par tout, il y a assez de mes yeulx à me tenir en office; il n'y en a point qui me veillent de si prez, ny que ie respecte plus.

Je viens de veoir chez moy un petit homme natif de Nantes, nay sans bras, qui a si bien façonné ses pieds au service que luy debvoient les mains, qu'ils en ont à la verité à demy oublié leur office naturel. Au demourant, il les nomme ses mains; il trenche, il charge un pistolet et le lasche, il enfile son aiguille, il coud, il escrit, il tire le bonnet, il se peigne, il ioue aux chartes et aux dez, et les remue avecques autant de dexterité que sçauroit faire quelqu'aultre l'argent que ie luy ay donné (car il gaigne sa vie à se faire veoir), il l'a emporté en son pied, comme nous faisons en nostre main. I'en veis un aultre, estant enfant, qui manioit une espee à deux mains, et une hallebarde, du ply du col, à faulte de mains; les iectoit en l'air, et les reprenoit; lanceoit une dague; et faisoit eraqueter un fouet aussi bien que charretier de France.

Mais on descouvre bien mieulx ses effects aux estranges impressions qu'elle faict en nos ames, où elle ne trouve pas tant de resistance. Que ne peult elle en nos iugements, et en nos creances? y à il opinion si bizarre, ie laisse à part la grossiere imposture des religions dequoy tant de grandes nations et tant de suffisants personnages se sont veus enyvrez (car cette partie estant hors de nos raisons humaines, il est plus excusable de s'y perdre, à qui n'y est extraordinairement esclairé par faveur divine), mais d'aultres opinions, y en a il de si estranges, qu'elle n'aye planté et estably par loix ez regions que bon luy a semblé? et est tres iuste cette ancienne exclamation: Non pudet physicum, id est, speculatorem venatoremque naturæ, ab animis consuetudine imbutis quærere testimonium veritatis?!

Le double était une petite monnaie de cuivre qui ne valait qu'un double denier. Un doublon était une monnaie d'Espagne de la valeur d'une double pistole. E. J.

2 Quelle honte à un physicien, qui doit poursuivre sans

l'estime qu'il ne tumbe en l'imagination humaine aulcune fantasie si forcenee, qui ne rencontre l'exemple de quelque usage publicque, et par consequent que nostre raison n'estaye et ne fonde. Il est des peuples où on tourne le dos à celuy qu'on salue, et ne regarde lon iamais celuy qu'on veult honnorer. Il en est où, quand le roy crache, la plus favorie des dames de sa court tend la main; et en auitre nation, les plus apparents, qui sont autour de luy, se baissent à terre pour amasser en du linge son ordure. Desrobbons icy la place d'un conte.

Un gentilhomme françois se mouchoit tousiours de sa main, chose tres ennemie de nostre usage: deffendant là dessus son faict (et estoit fameux en bons rencontres), il me demanda quel privilege avoit ce sale excrement, que nous allassions luy apprestant un beau linge delicat à le recevoir, et puis, qui plus est, à l'empaqueter et serrer soigneusement sur nous : que cela debvoit faire plus de mal au cœur, que de le veoir verser où que ce feust, comme nous faisons toutes nos aultres ordures. Ie trouvay qu'il ne parloit pas du tout sans raison : et m'avoit la coustume osté l'appercevance de cette estrangeté, laquelle pourtant nous trouvons si hideuse, quand elle est recitee d'un aultre païs. Les miracles sont selon l'ignorance en quoy nous sommes de la nature, non selon l'estre de la nature; l'assuefaction endort la veue de nostre iugement les barbares ne nous sont de rien plus merveilleux, que nous sommes à eulx, ny avecques plus d'occasion; comme chascun advoueroit, si chascun sçavoit, aprez s'estre promené par ces loingtains exemples, se coucher sur les propres, et les conferer sainement. La raison humaine est une teincture infuse environ de pareil poids à toutes nos opinions et mœurs, de quelque forme qu'elles soyent; infinie en matiere, infinie en diversité. Ie m'en retourne.

Il est des peuples où, sauf sa femme et ses enfants, aulcun ne parle au roy que par sarbatane. En une mesme nation, et les vierges monstrent à descouvert leurs parties honteuses, et les mariees les couvrent et cachent soigneusement. A quoy cette aultre coustume, qui est ailleurs, a quelque relation : la chasteté n'y est en prix que pour le service du mariage; car les filles se peuvent abandonner à leur poste, et, engroissees, se faire avorter par medicaments relâche les secrets de la nature, d'alléguer pour des preuves de la vérité, ce qui n'est que prévention et coutume! CIC. de Nat. deor. I, 30. Il y a dans le texte petere au lieu de quærere.

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propres, au veu d'un chascun. Et ailleurs, si c'est un marchand qui se marie, touts les marchands conviez à la nopce couchent avecques l'espousee avant luy; et plus il y en a, plus a elle d'honneur et de recommendation de fermeté et de capacité : si un officier se marie, il en va de mesme; de mesme si c'est un noble; et ainsi des aultres: sauf si c'est un laboureur ou quelqu'un du bas peuple; car lors c'est au seigneur à faire et si, on ne laisse pas d'y recommender estroictement la loyauté pendant le mariage. Il en est où il se veoid des bordeaux publics de masles, voire et des mariages: où les femmes vont à la guerre quand et leurs maris, et ont reng, non au combat seulement, mais aussi au commandement où non seulement les bagues se portent au nez, aux levres, aux ioues, et aux orteils des pieds; mais des verges d'or bien poisantes au travers des tettins et des fesses où en mangeant on s'essuye les doigts aux cuisses, et à la bourse des genitoires, et à la plante des pieds: où les enfants ne sont pas heritiers, ce sont les freres et nepveux, et ailleurs les nepveux seulement; sauf en la succession du prince: où pour reigler la communauté des biens, qui s'y observe, certains magistrats souverains ont charge universelle de la culture des terres et de la distribution des fruicts, selon le besoing d'un chascun où l'on pleure la mort des enfants, et festoye lon celle des vieillards: où ils couchent en des licts dix ou douze ensemble avec leurs femmes où les femmes qui perdent leurs maris par mort violente se peuvent remarier, les aultres non où l'on estime si mal de la condition des femmes, que l'on y tue les femelles qui y naissent, et achepte lon, des voysins, des femmes pour le besoing: où les maris peuvent repudier, sans alleguer aulcune cause; les femmes non, pour cause quelconque où les maris ont loy de les vendre si elles sont steriles: où ils font cuyre le corps du trespassé, et puis piler, iusques à ce qu'il se forme comme en bouillie; laquelle ils meslent à leur vin, et la boivent: où la plus desirable sepulture est d'estre mangé des chiens; ailleurs, des oyseaux : où l'on croit que les ames heureuses vivent, en toute liberté, en des champs plaisants fournis de toutes commoditez, et que ce sont elles qui font cet echo que nous oyons: où ils combattent en l'eau, et tirent seurement de leurs arcs en nageant: où pour signe de subiection, il fault haulser les espaules et baisser la teste; et deschausser ses souliers quand on entre au logis du roy : où

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les eunuques qui ont les femmes religieuses en garde, ont encores le nez et les levres à dire', pour ne pouvoir estre aymez; et les presbtres se crevent les yeulx, pour accointer les daimons et prendre les oracles: où chascun faict un dieu de ce qu'il luy plaist; le chasseur, d'un lyon ou d'un regnard; le pescheur, de certain poisson; et des idoles, de chasque action ou passion humaine; le soleil, la lune, et la terre, sont les dieux principaulx; la forme de iurer, c'est toucher la terre regardant le soleil; et y mange lon la chair et le poisson crud : où le grand serment, c'est iurer le nom de quelque homme trespassé qui a esté en bonne reputation au païs, touchant de la main sa tumbe : où les estrenes annuelles que le roy envoye aux princes ses vassaux, touts les ans, c'est du feu; lequel apporté, tout le vieil feu est esteinct : et de ce feu nouveau, le peuple dependant de ce prince, en doibt venir prendre chascun pour soy, sur peine de crime de leze maiesté: où, quand le roy, pour s'adonner du tout à la devotion, se retire de sa charge, ce qui advient souvent, son premier successeur est obligé d'en faire autant, et passe le droict du royaume au troisiesme successeur : où l'on diversifie la forme de la police', selon que les affaires semblent le requerir; on depose le roy, quand il semble bon; et luy substitue lon des anciens à prendre le gouvernail de l'estat ; et le laisse lon par fois aussi ez mains de la commune: où hommes et femmes sont circoncis, et pareillement baptisez : où le soldat qui, en un ou divers combats, est arrivé à presenter à son roy sept testes d'ennemis, est faict noble : où l'on vit soubs cette opinion si rare et insociable de la mortalité des ames: où les femmes s'accouchent sans plaincte et sans effroy : où les femmes, en l'une et l'aultre iambe, portent des greves3 de cuivre; et si un pouil les mord, sont tenues par debvoir de magnanimité de le remordre; et n'osent espouser, qu'elles n'ayent offert à leur roy, s'il le veut, leur pucellage: où l'on salue mettant le doigt à terre, et puis le haulsant vers le ciel où les hommes portent les charges sur la teste, les femmes sur les espaules; elles pissent debout, les hommes accroupis où ils envoyent de leur sang en signe d'amitié, et encensent, comme les dieux, les hommes qu'ils veulent honnorer : où non seu

De moins. C'est de là que venait l'ancien mot du palais, titre adiré, pièce adirée. 2 Du gouvernement.

3 Des bottines, ou armures de jambes.

la richesse estoit en tel mespris, que le plus chestif citoyen de la ville n'eust daigné baisser le bras pour amasser une bourse d'escus. Et sçavons des regions tres fertiles en toutes façons de vivres, où toutesfois les plus ordinaires mets et les plus savoureux, c'estoient du pain, du nasitort et de l'eau. Feit elle pas encores ce miracle en Cio, qu'il s'y passa sept cents ans, sans memoire que femme ny fille y eust faict faulte à son honneur1?

Et somme, à ma fantasie, il n'est rien qu'elle ne face, ou qu'elle ne puisse; et avecques raison l'appelle Pindarus, à ce qu'on m'a dict, « la royne et emperiere du monde'. » Celuy qu'on rencontra battant son pere, respondit que c'estoit la coustume de sa maison; que son pere avoit ainsi battu son ayeul; son ayeul, son bisayeul; et montrant son fils: « Cettuy cy me battra, quand il sera venu au terme de l'aage où ie suis. » Et le pere, que le fils tirassoit et sabouloit emmy la rue, luy commanda de s'arrester à certain huys, car luy n'avoit traisné son pere que iusques là; que c'estoit la borne des iniurieux traictements hereditaires que les enfants avoient en usage de faire aux peres, en leur famille. Par coustume, dit Aristote3, aussi souvent que par maladie, des femmes s'arrachent le poil, rongent leurs ongles, mangent des charbons et de la terre; et plus par coustume que par nature, les masles se meslent aux masles.

lement iusques au quatriesme degré, mais en | iusques à la mort, sans changer de visage; où aulcun plus esloingné, la parenté n'est soufferte aux mariages: où les enfants sont quatre ans à nourrice, et souvent douze; et là mesme il est estimé mortel de donner à l'enfant à tetter tout le premier iour: où les peres ont charge du chastiement des masles; et les meres, à part, des femelles ; et est le chastiement de les fumer pendus par les pieds: où on faict circoncire les femmes: où l'on mange toutes sortes d'herbes, sans aultre discretion que de refuser celles qui leur semblent avoir mauvaise senteur: où tout est ouvert; et les maisons, pour belles et riches qu'elles soyent, sans porte, sans fenestre, sans coffre qui ferme; et sont les larrons doublement punis qu'ailleurs où ils tuent les pouils avec les dents comme les magots, et trouvent horrible de les veoir escacher soubs les ongles où l'on ne couppe en toute la vieny poil ny ongle; ailleurs où l'on ne couppe que les ongles de la droicte, ceulx de la gauche se nourrissent par gentillesse : où ils nourrissent tout le poil du costé droict, tant qu'il peult croistre, et tiennent raz le poil de l'aultre costé; et en voysines provinces, celle icy nourrit le poil de devant, celle là le poil de derriere, et rasent l'opposite: où les peres prestent leurs enfants, les maris leurs femmes, à iouyr aux hostes, en payant : où on peult honnestement faire des enfants à sa mere, les peres se mesler à leurs filles et à leurs fils: où, aux assemblees des festins, ils s'entreprestent, sans distinction de parenté, les enfants les uns aux aultres icy on vit de chair humaine là c'est office de pieté de tuer son pere en certain aage : ailleurs les peres ordonnent, des enfants encores au ventre des meres, ceulx qu'ils veulent estre nourris et conservez, et ceulx qu'ils veulent estre abandonnez et tuez ailleurs les vieux maris prestent leurs femmes à la ieunesse pour s'en servir; et ailleurs elles sont communes sans peché; voire, en tel païs, portent pour marque d'honneur autant de belles houppes frangees au bord de leurs robbes, qu'elles ont accointé de masles. N'a pas faict la coustume encores une chose publicque de femmes à part? leur a elle pas mis les armes à la main? faict dresser des armees, et livrer des battailles? Et ce que toute la philosophie ne peult planter en la teste des plus sages, ne l'apprend elle pas de sa seule ordonnance au plus grossier vulgaire? car nous sçavons des nations entieres où non seulement la mort estoit mesprisee, mais festoyee; où les enfants de sept ans souffroient à estre fouettez

Les loix de la conscience, que nous disons naistre de nature, naissent de la coustume; chascun ayant en veneration interne les opinions et mœurs approuvees et receues autour de luy, ne s'en peult desprendre sans remors, ny s'y appliquer sans applaudissement. Quand ceulx de Crete vouloient, au temps passé, mauldire quelqu'un, ils prioient les dieux de l'engager en quelque mauvaise coustume 4. Mais le principal effect de sa puissance, c'est de nous saisir et empieter de telle sorte, qu'à peine soit il en nous de nous ravoir de sa prinse, et de rentrer en nous, pour discourir et raisonner de ses ordonnances. De vray, parce que nous les humons avec le laict de nostre

1 Ces nombreux exemples sont empruntés d'Hérodote, de Xénophon, de Plutarque, de Sextus Empiricus, de Valère Maxime et des ouvrages alors publiés sur l'Amérique et sur l'Asie. J. V. L.

2 C'est ce que Pindare a dit de la loi, Népos Távτwν Bαúç, HÉRODOTE, III, 38. Mais Hérodote, en citant ces paroles, donne aussi à vous le sens de coutume. J. V. L. 3 Morale à Nicomaque, VII, c. 6. C. 4 VALÈRE MAXIME, VII, 2, ext. 15. J. V. L.

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