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ESSAIS

DE MONTAIGNE.

L'AUCTEUR AU LECTEUR.

CAT

C'est icy un livre de bonne foy, lecteur. Il t'advertit dez l'entree, que ie ne m'y suis proposé aulcune fin, que domestique et privee: ie n'y ay eu nulle consideration de ton service, ny de ma gloire; mes forces ne sont pas capables d'un tel dessein. Ie l'ay voué à la commodité particuliere de mes parents et amis : à ce que m'ayants perdu (ce qu'ils ont à faire bientost), ils y puissent retrouver quelques traicts de mes conditions et humeurs, et que par ce moyen ils nourrissent plus entiere et plus vifve la cognoissance qu'ils ont eue de moy. Si c'eust esté pour rechercher la faveur du monde, ie me feusse paré de beautez empruntees: ie veulx qu'on m'y veoye en ma façon simple, naturelle et ordinaire, sans estude et artifice; car c'est moy que ie peinds. Mes defaults s'y liront au vif, mes imperfections et ma forme naïfve, autant que la reverence publicque me l'a permis. Que si i'eusse esté parmy ces nations qu'on dict vivre encores soubs la doulce liberté des premieres loix de nature, ie t'asseure que ie m'y feusse tres volontiers peinct tout entier et tout nud. Ainsi, lecteur, ie suis moy mesme la matiere de mon livre : ce n'est pas raison que tu employes ton loisir en un subiect si frivole et si vain; adieu donc. De Montaigne, ce 12 de iuin 1580.

LIVRE PREMIER.

CHAPITRE PREMIER.

Par divers moyens on arrive à pareille fin.

La plus commune façon d'amollir les cœurs de ceulx qu'on a offensez, lors qu'ayants la vengeance en main, ils nous tiennent à leur mercy, c'est de les esmouvoir, par soubmission, à commiseration et à pitié : toutesfois la braverie, la constance et la resolution, moyens touts contraires, ont quelquesfois servy à ce mesme effect. Edouard', prince de Galles, celuy qui regenta

Que les Anglais nomment communément the Black prince, le prince Noir, fils d'Edouard III, roi d'Angleterre et père de l'infortuné Richard II. Le trait suivant se trouve dans Froissart, vol. I, chap. 289, pag. 368 et 369. G.

MONTAIGNE.

PQ1641 ΑΙ 1854

si long temps nostre Guienne, personnage duquel les conditions et la fortune ont beaucoup de notables parties de grandeur, ayant esté bien fort offensé par les Limosins, et prenant leur ville par force, ne peut estre arresté par les cris du peuple et des femmes et enfants abbandonnez à la boucherie, luy criants mercy, et se iectants à ses pieds; iusqu'à ce que passant tousiours oultre dans la ville, il apperceut trois gentilshommes françois qui, d'une hardiesse incroyable, soustenoient seuls l'effort de son armee victorieuse. La consideration et le respect d'une si notable cholere; et commencea par ces trois à faire mivertu reboucha premierement la poincte de sa sericorde à touts les aultres habitants de la ville.

Scanderberch, prince de l'Epire, suyvant un soldat des siens pour le tuer, ce soldat ayant essayé par toute espece d'humilitez et de supplications de l'appaiser, se resolut à toute extremité de l'attendre l'espee au poing: cette sienne resolution arresta sus bout la furie de son maistre, qui pour luy avoir veu prendre un si honnorable party, le receut en grace. Cet exemple pourra souffrir aultre interpretation de ceulx qui n'auront leu la prodigieuse force et vaillance de ce prince là.

2

L'empereur Conrad troisiesme ayant assiegé Guelphe, duc de Bavieres', ne voulut condescendre à plus doulces conditions, quelques viles et lasches satisfactions qu'on luy offrist, que de permettre seulement aux gentilsfemmes qui estoient assiegees avecques le duc, de sortir, leur honneur sauve, à pied, avecques ce qu'elles pourroient emporter sur elles. Et elles, d'un cœur magnanime, s'adviserent de charger sur leurs espaules leurs maris, leurs enfants, et le duc mesme. L'empereur print si grand plaisir à veoir la gentillesse de leur courage, qu'il en pleura d'ayse,

En 1140, dans Weinsberg, ville de la haute Bavière. Voy. Calvisius, Opus chronologicum. C. Aux femmes de gentilshommes.

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et amortit toute cette aigreur d'inimitié mortelle | luy.» Aprez il le feit despouiller et saisir à des

et capitale qu'il avoit portee à ce duc; et dez lors en avant traicta humainement luy et les siens. L'un et l'aultre de ces deux moyens m'emporteroit ayseement; car i'ay une merveilleuse lascheté vers la misericorde et mansuetude. Tant y a, qu'à mon advis ie seroy pour me rendre plus naturellement à la compassion qu'à l'estimation: si est la pitié passion vicieuse aux stoïcques; ils veulent qu'on secoure les affligez, mais non pas qu'on flechisse et compatisse avecques eulx. Or ces exemples me semblent plus à propos, d'autant qu'on veoit ces ames, assaillies et essayees par ces deux moyens, en soustenir l'un sans s'esbranler, et courber soubs l'autre. Il se peult dire, que de rompre son cœur à la commiseration, c'est l'effect de la facilité, debonnaireté et mollesse; d'où il advient que les natures plus foibles, comme celles des femmes, des enfants et du vulgaire, y sont plus subiectes; mais ayant eu à desdaing les larmes et les pleurs, de se rendre à la seule reverence de la saincte image de la vertu, que c'est l'effect d'une ame forte et imployable, ayant en affection et en honneur une vigueur masle et obstinee. Toutesfois, ez ames moins genereuses, l'estonnement et l'admiration peuvent faire naistre un pareil effect: tesmoing le peuple thebain, lequel ayant mis en iustice d'accusation capitale ses capitaines, pour avoir continué leur charge oultre le temps qui leur avoit esté prescript et preordonné, absolut à toute peine ' Pelopidas, qui plioit soubs le faix de telles obiections, et n'employoit à se garantir que requestes et supplications; et au contraire Epaminondas, qui veint à raconter magnifiquement les choses par luy faictes, et à les reprocher au peuple d'une façon fiere et arrogante, il n'eut pas le cœur de prendre seulement les balotes en main; et se departit l'assemblee, louant grandement la haultesse du courage de ce personnage 3.

Dionysius le vieil, aprez des longueurs et difficultez extremes, ayant prins la ville de Regge, et en icelle le capitaine Phyton, grand homme de bien, qui l'avoit si obstineement deffendue, voulut en tirer un tragique exemple de vengeance. Il luy diet premierement, comme le iour avant il avoit faict noyer son fils, et touts ceulx de sa parenté à quoy Phyton respondit seulement, qu'ils en estoient d'un iour plus heureux que Avec beaucoup de peine.

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2 Petites balles, ou bulletins, employés pour aller aux voix, dans les jugements ou les élections.

3 PLUTARQUE, Comment on peult se louer soy mesme, chap. 5. C.

bourreaux, et le traisner par la ville, en le fouettant tres ignominieusement et cruellement, et en oultre le chargeant de felonnes paroles et contumelieuses: mais il eut le courage tousiours constant, sans se perdre; et d'un visage ferme, alloit au contraire ramentevant'à haulte voix l'honnorable et glorieuse cause de sa mort, pour n'avoir voulu rendre son païs entre les mains d'un tyran; le menaceant d'une prochaine punition des dieux. Dionysius lisant dans les yeulx de la commune de son armee, qu'au lieu de s'animer des bravades de cet ennemy vaincu, au mespris de leur chef et de son triumphe, elle alloit s'amollissant par l'estonnement d'une si rare vertu, et marchandoit de se mutiner et mesme d'arracher Phyton d'entre les mains de ses sergeants, feit cesser ce martyre, et à cachettes l'envoya noyer en la mer2.

en

Certes c'est un subiect merveilleusement vain, divers, et ondoyant, que l'homme : il est malaysé d'y fonder iugement constant et uniforme. Voylà Pompeius qui pardonna à toute la ville des Mamertins, contre laquelle il estoit fort animé, consideration de la vertu et magnanimité du citoyen Zenon 3, qui se chargeoit seul de la faulte publicque, et ne requeroit aultre grace que d'en porter seul la peine: et l'hoste de Sylla, ayant usé, en la ville de Peruse 4, de semblable vertu, n'y gaigna rien ny pour soy ny pour les aultres.

Et directement contre mes premiers exemples, le plus hardy des hommes et si gracieux aux vaincus, Alexandre, forceant, aprez beaucoup de grandes difficultez, la ville de Gaza, rencontra Betis qui y commandoit, de la valeur duquel il avoit pendant ce siege senti des preuves merveilleuses, lors seul, abandonné des siens, ses armes despecees, tout couvert de sang et de playes, combattant encores au milieu de plusieurs Macedoniens qui le chamailloient de toutes parts; et luy dict, tout picqué d'une si chere victoire (car, entre aultres dommages, il avoit receu deux fresches bleceures sur sa personne): « Tu ne mourras pas comme tu as voulu, Betis; fais estat qu'il te fault souffrir

1 Rappelant, rememorant.

2 DIODORE DE SICILE, XIV, 26. C. (Coste cite toujours, pour Diodore de Sicile, les chapitres de la traduction d'Amyot.) 3 PLUTARQUE le nomme Sthénon dans l'Instruction pour ceulx qui manient affaires d'estat, chap. 17; Sthennius dans les Apophthegmes; et Sthenis, de la ville d'Himère, dans la Vie de Pompée, chap. 3. C.

4 PLUTARQUE, d'où ceci a été tiré, dit Préneste, ville du Latium. (Instruction pour ceulx qui manient affaires d'estat, el ap. 17.) Peruse ou Perouse est dans la Toscane. C.

baptisé de son nom la malignité : car c'est une qualité tousiours nuisible, tousiours folle; et comme tousiours couarde et basse, les stoïciens en deffendent le sentiment à leur sage.

toutes les sortes de torments qui se pourront | ornement! Les Italiens ont plus sortablement inventer contre un captif. » L'aultre, d'une mine non seulement asseuree, mais rogue et altiere, se teint sans mot dire à ces menaces. Lors Alexandre voyant son fier et obstiné silence: A il flechy un genouil? luy est il eschappé quelque voix suppliante? Vrayement, ie vainc-d'Aegypte, ayant esté desfaict et prins par Cam

queray ce silence; et si ie n'en puis arracher parole, i'en arracheray au moins du gemissement: » et tournant sa cholere en rage, commanda qu'on luy perceast les talons; et le feit ainsi traisner tout vif, deschirer et desmembrer au cul d'une charrette 1. Seroit ce que la force de courage luy feust si naturelle et commune, que, pour ne l'admirer point, il la respectast moins? ou qu'il l'estimast si proprement sienne, qu'en cette haulteur il ne peust souffrir de la veoir en un aultre, sans le despit d'une passion envieuse? ou que l'impetuosité naturelle de sa cholere feust incapable d'opposition? De vray, si elle eust receu bride, il est à croire qu'en la prinse et desolation de la ville de Thebes, elle l'eust receue, à veoir cruellement mettre au fil de l'espee tant de vaillants hommes perdus et n'ayants plus moyen de deffense publicque; car il en feut tué bien six mille, desquels nul ne feut veu ny fuyant, ny demandant mercy; au rebours, cherchants qui çà qui là, par les rues, à affronter les ennemis victorieux; les provoquants à les faire mourir d'une mort honnorable. Nul ne feut veu si abbattu de bleceures, qui n'essayast en son dernier souspir de se venger encores, et à tout les armes du desespoir, consoler sa mort en la mort de quelque ennemy. Si ne trouva l'affliction de leur vertu aulcune pitié, et ne suffisit la longueur d'un iour à assouvir sa vengeance: ce carnage dura iusques à la derniere goutte de sang espandable, et ne s'arresta qu'aux personnes desarmees, vieillards, femmes et enfants, pour en tirer trente mille esclaves 3.

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Mais le conte dict que Psammenitus, roy

byses, roy de Perse, veoyant passer devant luy sa fille prisonniere habillee en servante, qu'on envoyoit puiser de l'eau, touts ses amis pleurants et lamentants autour de luy, se teint coy, sans mot dire, les yeulx fichez en terre; et veoyant encores tantost qu'on menoit son fils à la mort, se mainteint en cette mesme contenance; mais qu'ayant apperceu un de ses domestiques3 conduict entre les captifs, il se meit à battre sa teste, et mener un dueil extreme.

Cecy se pourroit apparier à ce qu'on veit dernierement d'un prince des nostres, qui ayant ouy à Trente, où il estoit, nouvelles de la mort de son frere aisné, mais un frere en qui consistoit l'appuy et l'honneur de toute sa maison, et bientost aprez d'un puisné sa seconde esperance, et ayant soustenu ces deux charges d'une constance exemplaire; comme, quelques iours aprez, un de ses gents veint à mourir, il se laissa emporter à ce dernier accident, et quittant sa resolution, s'abandonna au dueil et aux regrets, en maniere qu'aulcuns en prinrent argument qu'il n'avoit esté touché au vif que de cette derniere secousse; mais, à la verité, ce feut qu'estant d'ailleurs plein et comblé de tristesse, la moindre surcharge brisa les barrieres de la patience. Il s'en pourroit, dis ie, autant iuger de notre histoire, n'estoit qu'elle adiouste, que Cambyses s'enquerant à Psammenitus, pourquoy ne s'estant esmeu au malheur de son fils et de sa fille, il portoit si impatiemment celuy d'un de ses amis : « C'est, respondit il, que ce seul dernier desplaisir se peult signifier par larmes, les deux premiers surpassants de bien loing tout moyen de se pouvoir exprimer. »>

A l'adventure reviendroit à ce propos l'invention de cet ancien peintre 4, lequel ayant à representer, au sacrifice d'Iphigenia, le dueil des assistants selon les degrez de l'interest que

I Tristezza signifie souvent malignité, méchanceté. 2 HERODOTE, III, 14. J. V. L.

3 Domestique ne signifie pas ici serviteur, mais ami de la maison, ami intime, sens qu'on donnait encore à ce mot sous le règne de Louis XIV. Hérodote dit que cet homme était un vieillard qui mangeait ordinairement à la table du roi. J. V. L. 4 CICERON, Orator, c. 22; PLINE, XXXV, 10; VALÈRE MAXIME, VIII, II ext. 6 QUINTILJEN, II,13, etc. J. V. I..

1.

chascun apportoit à la mort de cette belle fille innocente, ayant espuisé les derniers efforts de son art, quand ce veint au pere de la vierge, il le peignit le visage couvert, comme si nulle contenance ne pouvoit rapporter ce degré de dueil. Voilà pourquoy les poëtes feignent cette miserable mere Niobé, ayant perdu premierement sept fils, et puis de suite autant de filles, surchargee de pertes, avoir esté enfin transmuee en rochier,

Diriguisse malis ',

pour exprimer cette morne, muette et sourde stupidité qui nous transit, lors que les accidents nous accablent surpassants nostre portee. De vray, l'effort d'un desplaisir, pour estre extreme, doibt estonner toute l'ame et luy empescher la liberté de ses actions: comme il nous advient, à la chaulde alarme d'une bien mauvaise nouvelle, de nous sentir saisis, transis, et comme perclus de touts mouvements; de façon que l'ame se relaschant aprez aux larmes et aux plainctes, semble se desprendre, se desmesler, et se mettre plus au large et à son ayse:

Et via vix tandem voci laxata dolore est 2.

En la guerre que le roy Ferdinand mena contre la veufve du roy Iean de Hongrie, autour de Bude, un gendarme feut particulierement remarqué de chascun, pour avoir excessifvement bien faict de sa personne en certaine meslee, et, incogneu, haultement loué et plainct, y estant demouré, mais de nul tant que de Raïsciac, seigneur allemand, esprins d'une si rare vertu. Le corps estant rapporté, cettuy cy, d'une commune curiosité, s'approcha pour veoir qui c'estoit; et les armes ostees au trespassé, il recogneut son fils. Cela augmenta la compassion aux assistants: luy seul, sans rien dire, sans ciller les yeulx, se teint debout, contemplant fixement le corps de son fils; iusques à ce que la vehemence de la tristesse ayant accablé ses esprits vitaux, le porta roide mort par terre.

Chi può dir com' egli arde, è in picciol fuoco 3, disent les amoureux qui veulent representer une passion insupportable :

Misero quod omnes

Eripit sensus mihi : nam simul te,

1 Pétrifiée par la douleur. OvIDE, Métam. VI, 304. Il y a

dans le texte d'Ovide, Diriguitque malis.

2 La douleur ouvre enfin le passage à sa voix.
VIRG. Eneid. XI, 151.

3 C'est aimer peu que de pouvoir dire combien l'on aime. PÉTRARQUE, dernier vers du sonnet 137.

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Aussi n'est ce pas en la vifve et plus cuysante chaleur de l'accez, que nous sommes propres à desployer nos plainctes et nos persuasions; l'ame est lors aggravee de profondes pensees, et le corps abbattu et languissant d'amour et de là s'engendre par fois la defaillance fortuite qui surprend les amoureux si hors de saison, et cette glace qui les saisit, par la force d'une ardeur extreme, au giron mesme de la iouissance. Toutes passions qui se laissent gouster et digerer ne sont que mediocres :

Curæ leves loquuntur, ingentes stupent 3.

La surprinse d'un plaisir inesperé nous estonne de mesme:

Ut me conspexit venientem, et Troïa circum Arma amens vidit : magnis exterrita monstris, Diriguit visu in medio; calor ossa reliquit; Labitur, et longo vix tandem tempore fatur 3. Oultre la femme romaine qui mourut surprinse d'ayse de veoir son fils revenu de la route de Cannes, Sophocles et Denys le tyran qui trespasserent d'ayse', et Talva qui mourut en Corsegue, lisant les nouvelles des honneurs que le senat de Rome luy avoit decernez; nous tenons en nostre siecle, que le pape Leon dixiesme ayant esté adverty de la prinse de Milan, qu'il avoit extremement souhaitee, entra en tel excez de ioye, que la fiebvre l'en print, et en mourut 7. Et pour un plus notable tesmoignage de

CATULLE, Carm. LI, 5. Ces vers sont une imitation d'une ode de Sapho que Boileau a traduite. Delille a fait quelques changements à cette traduction, pour reproduire la forme de l'ode saphique :

2

De veine en veine une subtile flamme
Court dans mon sein sitôt que je te vois ;
Et dans le trouble où s'égare mon âme,
Je demeure sans voix.

Je n'entends plus; un voile est sur ma vue;
Je rêve, et tombe en de douces langueurs ;
Et sans haleine, interdite, éperdue,

Je tremble, je me meurs!

Légères, elles s'expriment; extrêmes, elles se taisent. SÉNÈQUE, Hipp. acte II, scène 3, v. 607.

3 Dès qu'elle m'aperçoit, dès qu'elle reconnait les armes troyennes, hors d'elle-même, frappée comme d'une vision effrayante, elle demeure immobile, son sang se glace, elle tombe, et ce n'est que longtemps après qu'elle parvient à retrouver la voix. VIRG. Eneide, III, 306.

4 De la déroute de Cannes. PLINE, VII, 64. 5 ID. VII, 53.

6 Ou mieux Thalna. VALÈRE MAXIME, IX, 12. l'ile de Corse, du latin Corsica.

- Corsegue,

7 GUICCIARDIN, Hist. d'Italie, liv. XIV. Le pape Leon feut

Timbecillité humaine, il a esté remarqué par les anciens', que Diodorus le dialecticien mourut sur le champ, esprins d'une extreme passion de honte pour, en son eschole et en public, ne se | pouvoir desvelopper d'un argument qu'on luy avoit faict. Ie suis peu en prinse de ces violentes passions: i'ai l'apprehension naturellement dure; et l'encrouste et espessis touts les iours par discours.

CHAPITRE III.

Nos affections s'emportent au delà de nous.

Ceulx qui accusent les hommes d'aller tousiours beant aprez les choses futures, et nous apprennent à nous saisir des biens présents et nous rasseoir en ceulx là, comme n'ayants aulcune prinse sur ce qui est à venir, voire assez moins que nous n'avons sur ce qui est passé, touchent la plus commune des humaines erreurs, s'ils osent appeller erreur chose à quoy nature mesme nous achemine pour le service de la continuation de son ouvrage; nous imprimant, comme assez d'aultres, cette imagination faulse, plus ialouse de nostre action que de nostre science.

Nous ne sommes iamais chez nous; nous sommes tousiours au delà : la crainte, le desir, l'esperance, nous eslancent vers l'advenir, et nous desrobbent le sentiment et la consideration de ce qui est, pour nous amuser à ce qui sera, voire quand nous ne serons plus. Calamitosus est animus futuri anxius3.

Ce grand precepte est souvent allegué en Platon: Fay ton faict, et te cognoy.» Chascun « de ces deux membres enveloppe generalement tout nostre debvoir, et semblablement enveloppe son compaignon. Qui auroit à faire son faict, verroit que sa premiere leçon, c'est cognoistre ce qu'il est, et ce qui luy est propre : et qui se cognoist, ne prend plus le faict estrangier pour le sien; s'ayme et se cultive avant toute aultre chose; refuse les occupations superflues et les pensees et propositions inutiles. Comme la folie,

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quand on luy octroyera ce qu'elle desire, ne sera pas contente; aussi est la sagesse contente de ce qui est present, ne se desplaist iamais de soy. Epicurus dispense son sage de la prevoyance et soucy de l'advenir.

Entre les loix qui regardent les trespassez, celle icy me semble autant solide, qui oblige les actions des princes à estre examinees aprez leur mort'. Ils sont compaignons, sinon maistres des loix : ce que la iustice n'a peu sur leurs testes, c'est raison qu'elle le puisse sur leur reputation, et biens de leurs successeurs; choses que souvent nous preferons à la vie. C'est une usance qui apporte des commoditez singulieres aux nations où elle est observee, et desirable à touts bons princes qui ont à se plaindre de ce qu'on traicte la memoire des meschants comme la leur. Nous debvons la subiection et obeïssance egualement à touts roys', car elle regarde leur office; mais l'estimation, non plus que l'affee. tion, nous ne la debvons qu'à leur vertu. Donnons à l'ordre politique de les souffrir patiemment, indignes; de celer leurs vices; d'ayder de nostre recommendation leurs actions indiffe rentes, pendant que leur autorité a besoing de nostre appuy: mais nostre commerce finy, ce n'est pas raison de refuser à la iustice et à nostre liberté l'expression de nos vrays ressontiments; et nommeement de refuser aux bons subiects la gloire d'avoir reveremment et fidellement servy un maistre, les imperfections duquel leur estoient si bien cogneues; frustrant la posterité d'un si utile exemple. Et ceulx qui, par respect de quelque obligation privee, espousent iniquement la memoire d'un prince meslouable, font iustice particuliere aux depens de la justice publicque. Titus Livius dict vray, « que le langage des hommes nourris soubs la royauté, est tousiours plein de vaines ostentations et fauls tesmoignages3: » chascun eslevant indifferemment son roy à l'extreme ligne de valeur et grandeur souveraine. On peult reprouver la magnanimité de ces deux soldats qui respondirent à Neron, à sa barbe, l'un enquis de luy pourquoy il luy vouloit mal: « Ie t'aymoy quand tu le

I DIODORE DE SICILE, I, 6. C.

2 A moins qu'ils ne commandent le crime; car le vicomte d'Orthez eut le droit de répondre à Charles IX : « Sire, j'ai communiqué le commandement de V. M. à ses fidèles habitants et gens de guerre de la garnison (de Bayonne); je n'y ai trouvé que bons citoyens et fermes soldats, mais pas un bourreau. C'est pourquoi eux et moi supplions très-humblement V. M. vouloir employer en choses possibles, quelque hasan deuses qu'elles soient, nos bras et nos vies. » J. V. L.

3 TITE-LIVE, XXXV, 48. C.

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