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NoN, je ne puis être parfaitement heureux. J'avois une femme, elle est morte. Je l'ai pleurée pour la forme, tandis que je me réjouissois en secret d'être délivré d'un tyran qui contrôloit toutes mes actions, et qui vouloit disposer de mon cœur, après vingt-deux ans de mariage. Je croyois que sa mort me laisseroit libre; je suis esclave de mes enfans, qui m'obligent à me contraindre, et à garder des bienséances sur lesquelles je n'oserois passer, sans me faire tympaniser par la ville. J'ai un fils plus grand que moi quelle mortification pour un père qui n'est pas dans le goût de renoncer au monde ! J'ai une fille aimable et bien faite, elle ne veut point se faire religieuse. Il faut donc la marier. La fâcheuse nécessité pour un père qui aime son bien plus que sa fille! Quel parti dois-je prendre? Il faut que je tâche de les amuser encore quelque

temps, pour me donner celui d'arranger mes affaires

à ma fantaisie.

SCÈNE II.

ORONTE, NÉRINE.

NÉRINE.

QU'EST-CE que cela veut dire, Monsieur? Je viens de voir là-bas je ne sais combien de gens qui s'enivrent. Quels gosiers ! ils ont déjà vidé plus de trente bouteilles, et ils se plaignent qu'on les laisse mourir de soif. Qui sont donc ces gens-là ?

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Surtout quand ils boivent aux dépens d'autrui. J'aurois dû les reconnoître à cela. Mais, Monsieur, par quelle fantaisie, s'il vous plaît, faites-vous venir chez vous cette troupe bachique ? Est-ce que vous donnez le bal ce soir?

ORONTE.

Oui, mon enfant, je veux donner une espèce de bal chez moi, ou plutôt un petit concert mêlé de danses. C'est pour cela que j'ai fait venir ces danseurs et ces musiciens.

NÉRINE.

Envoyez donc dire qu'on leur ôte le vin; car s'ils continuent comme ils ont commencé, vous serez obligé de les faire emporter chez eux.

ORONT E.

Va, ne te mets pas en peine; plus ils boivent, mieux ils s'accordent.

NÉRINE.

A la bonne heure. Et comment avez-vous pu vous résoudre à faire chez vous un semblable appareil, vous qui étiez ennemi juré de ces sortes de divertissemens?

ORONTE.

J'ai mes raisons pour cela; et on les saura peut-être avant qu'il soit peu. D'ailleurs, comme ma fille sort d'une longue maladie, j'ai cru qu'un petit divertissement comme celui-là contribueroit beaucoup à sa convalescence.

NÉRINE.

Il est vrai que la musique et la danse ont quelque chose de récréatif; mais je ne crois pas que ce soit là précisément ce qu'il faudroit à mademoiselle votre fille, pour rétablir entièrement sa santé.

ORONTE.

Oh! je te vois venir. Tu veux dire qu'il lui faudroit un mari.

NÉRINE.

Sans doute. Un mari est un baume spécifique, qui rétablit les forces d'une fille languissante.

ORONT E.

Je connois la mienne; elle est trop vertueuse....

NÉRINE.

Et, pour être vertueuse, est-ce qu'on souhaite moins un époux ? Au contraire, c'est la vertu d'une fille qui cause son empressement pour le mariage. Celles qui ne sont pas scrupuleuses, s'en passent bien plus aisément. Je vais vous prouver cela.

ORONTE.

Je n'ai que faire de tes preuves.

NÉRINE.

Supposez, par exemple, que vous ayez un long chemin à faire pendant les chaleurs de l'été....

Eh bien ?

ORONTE.

NÉRINE.

Et qu'il vous soit expressément défendu de boire, jusqu'à ce que vous soyez arrivé au gîte, où l'on vous attend avec d'agréables rafraîchissemens....

Belle supposition!

ORONTE.

NÉRINE.

N'est-il pas vrai que, si, malgré ce qui vous est prescrit, vous entrez dans quelque cabaret sur la route, vous aurez moins d'empressement d'arriver, que si vous aviez scrupuleusement observé la défense?

ORONTE.

J'en demeure d'accord.

NÉRINE.

Voilà justement le portrait d'une fille qui s'est émancipée. Isabelle, au contraire, est le voyageur qui observe la loi qu'on lui a imposée, mais que son exacti

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