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faut donner à ronger des fruits un peu durs (c'est à dire des coups) pour les ranimer si elles tombent en faiblesse. » Ces deux vers nous appartiennent de droit, ils constatent une coutume antique bonne à connaître. Or quel était ce fruit vanté par les matrones en pareil cas? Les savants affirment qu'il s'agit ici de la grenade, Mala granata, c'est à dire le fruit du Punica granatum, L., il reste à savoir si les dames, en ce moment critique, se contentaient de mordre le péricarpe sec, astringent de cette Myrtinée, ou si elles allaient au delà, cherchant une sensation de fraîcheur acide dans la pulpe qui enveloppe les graines. Nous inclinons vers ce dernier parti, eu égard à la température élevée de la Béotie et à la fatigue de la parturition. Un rafraîchissement semblable paraît tout à fait utile en pareil cas.

Mais puisqu'il s'agit de grossesse et d'accouchement, qu'on nous permette une citation d'un intérêt majeur. Amphitryon et Sosie sont près d'entrer au logis; Alcmène les attend, ils la voient, et le valet dit à son maître :

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Ad aquam præbendam commodum adveni domum, Decumo post mense, ut rationem te dictare intelligo. Je vois, d'après ton compte, que j'arrive tout à point, le dixième mois, pour tirer de l'eau. L'esclave s'inquiète du surcroît de travail qui va lui arriver: Si situlam cepero, puteo animam intertraxero; si je prends le seau, il me faudra arracher l'âme du puits;-ce qui prouve que l'eau était très nécessaire dans ces circonstances, qu'il en fallait beaucoup ou que mons Sosie était un grand paresseux, s'effrayant de la besogne accrue. Mais cela nous intéresse peu, tandis que decumo post mense a une tout autre importance. On en retrouve d'ailleurs un second exemple dans Cistellaria, la Cassette. Le dieu Auxilium dit d'une jeune fille violée par un homme ivre :

Decumo post mense exacto, heic peperit filiam.

Et nous en pourrions facilement citer d'autres, tant cette locution est familière; nam illa me in alvo menseis gestavit decem, dit le parasite Gèlasime, dans Stichus. Les Romains comptaient dix mois pour la grossesse, et cela peut nous paraître bizarre. Qui ne se rappelle ce beau vers de Virgile (Ecl. IV):

Matri longa decem tulerunt fastidia menses.

Et comment expliquer ce chiffre? Les dames disent volontiers: Je

suis à la fin de mon neuvième mois! Et si elles n'accouchent que quand celui-ci est terminé, elles auraient le droit de dire que l'accouchement n'arrive qu'à dix mois, ou plutôt dans le dixième mois, et c'est peut-être le vrai sens des écrivains latins. AuluGelle, dans ses Nuits attiques, a longuement disserté sur ces expressions, mais je vous fais grâce de ces choses si érudites. On a pensé que cette différence d'appréciation venait de ce que les anciens parlaient de mois lunaires et non de mois solaires, ce qui n'expliquerait pas encore cette e reur de calcul. Quand les femmes ne comptent plus, quand elles croient avoir dépassé le terme probable de leur grossesse, elles peuvent dire avec raison qu'elles accouchent dans leur dixième mois, et je m'en tiens à cette manière de calculer.

Quoi qu'il en soit, Alcmène accouche, et voici comment Bromia, l'esclave de la dame, raconte cet événement :

Postquam parturire hodie uxor obcœpit tua,
Ubi utero exorti dolores, ut solent puerperæ,
Invocat Deos immortales, ut sibi auxilium ferant,
Manibus puris, capite operto.

Les mains purifiées, la tête voilée, tels sont les préliminaires de cet acte important, et qui constituent une assimilation singulière avec les cérémonies des sacrifices. Donner la vie à un enfant, c'était une action solennelle; le grand prêtre, comme la femme, se voilait la face. Mais Jupiter tonne, le ciel est en feu, la maison se remplit d'éclairs, et au milieu de cette scène émouvante :

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Neque gementem, neque plorantem nostrum quisquam
Ita profecto sine dolore peperit.

Et notez que Alcumena geminos peperit filios, sans effort et sans douleur, accouchement divin, miraculeux, mais qui s'explique par l'intervention du maître de l'Olympe. C'était une dérogation suprême à cet arrêt d'un autre souverain, paries in dolore; mais les païens de Rome et de la Grèce avaient une théogonie qui rendait faciles toutes ces merveilles. Le prodige n'est pas terminé, Bromia ajoute :

Postquam peperit, pueros lavere jussit nos: obcœpimus.

Sed puer ille, quem ego lavi, ut magn'st. et multum valet!
Neque eum quisquam conligari quivit incunabulis.

Dieux! que celui que j'ai lavé est grand et robuste! Jamais il n'a

été possible de l'envelopper dans les langes! -- Amphitryon s'en étonne, et la suivante continue son récit :

Magi' jam, faxo, mira dices: postquam in cunas conditu'st,
Devolant angueis jubati deorsum in inpluvium duo

Maxumi.....

Tu vas être bien plus émerveillé! Lorsque nous eûmes placé l'enfant dans son berceau, voici que du haut des airs volent dans la cour deux serpents énormes..... Et tout le reste du premier haut fait d'Hercule, car cet enfant phénomène était Hercule lui-même, et il étrangla ces deux serpents ailés aux crêtes menaçantes.

Et maintenant, si vous voulez savoir quelque chose sur l'auteur de l'Amphitryon, je vous dirai que Marcus Accius Plautus est né à Sarsine, en Ombrie, au commencement du cinquième siècle de Rome, l'an 224 avant Jésus-Christ, ou peut-être à la fin du quatrième siècle, car, entre M. Naudet et quelques autres biographes, il y a une différence notable à ce sujet. Nous ne savons pas mieux à quel âge il mourut les uns disent à quarante ans, d'autres à quarante-trois, et enfin Cicéron le cite comme un des hommes qui ont eu l'heureux privilége de conserver leur intelligence dans un âge avancé. Mais qu'importe? il doit nous suffire de trouver dans les pièces qui nous restent de lui, sinon la trace des notions scientifiques, au moins celle des coutumes médicales, des préjugés qui régnaient de son temps; enfin tout ce qui constitue le rudiment d'un art à son berceau. Au siècle où vivait Plaute, il n'y avait pas, dit-on, de médecins à Rome; les premiers qui vinrent s'y établir étaient Grecs d'origine, et il fallut arriver jusqu'à Auguste et ses successeurs pour voir la science dignement représentée auprès des empereurs et du peuple romain.

Cependant une société déjà perfectionnée, un monde en voie de progrès (si toutefois on peut appeler ainsi l'amour du luxe substitué aux austérités républicaines, le goût des plaisirs sensuels effaçant peu à peu les mœurs des antiques Sabins), ne pouvaient se passer de médecins, et je trouve dans une pièce de Plaute, Aulularia, la Marmite (ainsi nommée parce que l'avare Euclion y cache son trésor), un passage qui prouve clairement que déjà, vers l'an 560 de Rome, il y avait dans cette capitale des gens de l'art fonctionnant avec régularité, c'est à dire donnant une consultation et recevant des honoraires.

Mégadore, amoureux de la fille d'Euclion, veut faire le repas. des fiançailles chez son futur beau-père, avare fieffé, et lui envoie son cuisinier. Euclion, qui ne voit partout que voleurs, reçoit fort mal l'artiste en bonne chère; celui-ci se plaint d'être maltraité et il s'écrie:

Numo sum conductus, plus jam medico mercede est opus.

On me donne un didrachme, il m'en faudra davantage pour payer le médecin ! C'est la première fois qu'il m'arrive de rencontrer la stipulation exacte du prix d'une visite médicale. Voyons donc ce que signifie cette expression singulière: Numo sum conductus. Que doit-on entendre par là? D'abord, numo est pour nummo, argent, pièce de monnaie; numo conductus sum, je suis loué, engagé pour une somme de.... Ici se rencontre la difficulté; mais les interprètes habiles, et M. J. Naudet est des plus habiles, trouvent que cette expression générique veut dire un didrachme, car Plaute, dans une autre pièce, Truculentus, fait dire à un de ses personnages: J'ai prélevé sur une mine cinq numi, c'est la part d'Hercule! Donc, poursuit le savant traducteur, cinq numi équivalent au dixième d'une mine ou de cent drachmes, ou un seul, à un didrachme. On sait que cette valeur représente 1 franc 50 centimes de notre monnaie, et Congrion, le cuisinier, affirme que cela ne suffira pas pour payer le médecin. Supposons donc que notre confrère demande un peu plus, quelque chose comme trois drachmes, deux francs de notre monnaie; mais en tenant compte de la valeur relative de l'argent, on voit que les honoraires des praticiens de ce temps reculé étaient assez considérables. Je veux croire qu'ils arrivaient à la fortune, du moins ai-je trouvé dans une comédie intitulée les Captifs, un médecin du nom de Ménarque, qui a des esclaves, qui est riche, et je suis bien aise de le constater en passant. M'objecterait-on que Plaute a traduit la plupart de ses pièces du théâtre grec, qu'il prête à ses personnages des paroles et des pensées grecques, et que j'ai tort d'en tirer des conclusions en faveur de la civilisation romaine? Ceux qui liront l'œuvre de Plaute ne s'y méprendront pas ses comédies sont le miroir fidèle des coutumes, des mœurs et du langage du monde au milieu duquel il vivait. Molière a suivi le même procédé; Racine a donné à la Phèdre d'Euripide des passions modernes; chaque auteur qui s'inspire de l'œuvre de ses devan

ciers ne renonce pas à sa propre individualité, et si André Chénier a pu dire :

Sur des sujets nouveaux faisons des vers antiques,

les poètes comiques font justement le contraire, ce qui n'en vaut que mieux.

Nous aurions bien le droit d'adresser ici quelques reproches à M. Naudet, le savant traducteur de Plaute. Dans les notes si érudites dont il a enrichi son travail se rencontrent, semées d'une main un peu trop libérale, certaines épigrammes contre les médecins et même contre la médecine. Sans nous constituer le champion de la science et de ceux qui l'appliquent, nous pouvons exprimer le regret de voir, dans une œuvre aussi remarquable, des attaques que l'on passe à Molière, parce que de son temps. elles étaient suffisamment motivées, mais que rien ne justifie aujourd'hui. Il y a toujours eu des ridicules, chacun a eu le droit de s'en moquer; nous convenons volontiers que l'art de guérir, sous certains rapports, prête à ces plaisanteries si charmantes dans le Malade imaginaire, mais en quoi la Faculté actuelle auraitelle mérité de pareils reproches? Térence a dit dans le prologue de l'Eunuque :

Nullum est jam dictum, quod non dictum sit prius.

Rappelons ce vers à M. Naudet, il nous servira de réponse à ses coups d'épingle, et peut-être suffira-t-il pour lui faire regretter des malices qui ont le grand inconvénient de ne pas être absolument neuves. D'ailleurs on peut croire que le docte M. Naudet n'est pas si méchant qu'il en a l'air. On ne dit guère de mal que des gens dont on a besoin, étrange contradiction de nos esprits jaloux; les hommes qui médisent du beau sexe sont ceux qui résistent le moins à son empire.

Plaute maltraite un peu les femmes, et cependant il leur fait jouer souvent un beau rôle dans ses pièces. A côté des courtisanes qui se moquent du sexe fort, qui le pillent et le bernent, on trouve des matrones pleines de vertus, donnant les plus sages conseils à des hommes faibles. Une certaine Eunomia, la sœur de Mégadore, dit d'elle-même ceci :

Nam multum loquaceis merito omneis habemus,
Nec mutam profecto repertam ullam esse

Hodie dicunt mulierem ullo in seculo.

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