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prife, eft un reffort dangereux. Le légiflateur doit refpecter, jusqu'à un certain point, les préjugés, les paffions, les abus. Il doit imiter Solon, qui avoit donné aux Athéniens, non les meilleures lois en elles-mêmes, mais les meilleures qu'ils puffent avoir: le caractere gai de ces peuples demandoit des lois plus faciles; le caractere dur des Lacédémoniens, des lois plus féveres. Les lois font un mau-vais moyen pour changer les manieres & les ufages; c'eft par les récompenfes & l'exemple qu'il faut tâcher d'y parvenir. Il est pourtant vrai, en même temps, que les lois d'un peuple, quand on n'af fecte pas d'y choquer groffiérement & directement fes mœurs, doivent influer infenfiblement fur elles, foit pour les affermir, foit pour les changer.

Après avoir approfondi de cette maniere la nature & l'efprit des lois par rapport aux différentes efpeces de pays & de peuples, l'auteur revient de nouveau à confidérer les états, les uns par rapport aux autres. D'abord, en les comparant entr'eux d'une maniere générale, il n'avoit pu les envifager que par rapport au mal qu'ils peuvent fe faire; ici, il les envifage par rapport aux fecours mutuels qu'ils peuvent fe donner: or ces fecours font principalement fondés fur le com-

merce. Si l'efprit de commerce produit naturellement un efprit d'intérêt oppofé à la fublimité des vertus morales, il rend auffi un peuple naturellement jufte, & en éloigne l'oifiveté & le brigandage. Les nations libres, qui vivent fous des gouvernemens modérés, doivent s'y livrer plus que les nations efclaves. Jamais une nation ne doit exclure de fon commerce une autre nation, fans de grandes raisons. Au refte, la liberté en ce genre n'est pas une faculté abfolue accordée aux négocians de faire ce qu'ils veulent, faculté qui leur feroit fouvent préjudiciable; elle confifte à ne gêner les négocians qu'en faveur du commerce. Dans la monarchie, la nobleffe ne doit point s'y adonner, encore moins le prince. Enfin, il est des nations auxquelles le commerce eft désavantageux Ce ne font pas celles qui n'ont befoin de rien, mais celles qui ont befoin de tout paradoxe que l'auteur rend fenfible par l'exemple de la Pologne, qui manque de tout, excepté de blé, & qui, par le commerce qu'elle en fait, prive les payfans de leur nourriture, pour fatisfaire au luxe des feigneurs. M. de Montefquieu, à l'occafion des lois que le commerce exige, fait l'hiftoire de ces différentes révolutions; & cette partie de fon livre n'eft ni la moins intéreffante, ni la moins

curieufe. Il compare l'appauvriffement de l'Espagne, par la découverte de l'Amérique, au fort de ce prince imbécille de la fable prêt à mourir de faim, pour avoir demandé aux dieux, que tout ce qu'il toucheroit fe convertit en or. L'ufage de la monnoie étant une partie confidérable de l'objet du commerce, & fon príncipal inftrument, il a cru devoir en conféquence traiter des opérations fur la monnoie, du change, du payement des dettes publiques, du prêt à intérêt, dont il fixe les lois & les limites, & qu'il ne confond nullement avec les excès fi juftement condamnés de l'ufure.

La population & le nombre des habitans ont avec le commerce un rapport immédiat ; & les mariages ayant pour objet la population, M. de Montefquieu approfondit ici cette importante matiere. Ce qui favorise le plus la propagation est la continence publique: l'expérience prouve que les conjonctions illicites y contribuent peu, & même y nuifent. On a établi avec juftice, pour les mariages, le confentement des peres: cependant on y doit mettre des reftrictions; car la loi doit, en général, favorifer les mariages. La loi qui défend le mariage des meres avec les fils, eft (indépendamment des préceptes de la religion) une très-bonne

loi çivile; car, fans parler de plufieurs autres raifons, les contractans étant d'âge très-différent, ces fortes de mariages peuvent rarement avoir la propagation pour objet. La loi qui défend le mariage du pere avec la fille, eft fondée sur les mêmes motifs: cependant ( à ne parler que civilement) elle n'eft pas fi indifpenfablement néceffaire que l'autre à l'objet de la population, puifque la vertu d'engendrer finit beaucoup plus tard dans les hommes; auffi l'ufage contraire a-t-il eu lieu chez cer tains peuples, que la lumiere du chriftianifme n'a point éclairés. Comme la nature porte d'elle-même au mariage, c'eft un mauvais gouvernement que celui où on aura befoin d'y encourager. La liber té, la fureté, la modération des impôts, la profcription du luxe, font les vrais prin cipes & les vrais foutiens de la population: cependant on peut avec fuccès faire des lois pour encourager les mariages, quand, malgré la corruption, il refte encore des refforts dans le peuple qui l'attachent à fa patrie. Rien n'eft plus beau que les lois d'Augufte pour favorifer la propagation de l'efpece. Par malheur, il fit ces lois dans la décadence, ou plutôt dans la chute de la république ; & les citoyens découragés devoient prévoir qu'ils ne mettroient plus au monde que des efclaves; auffi l'exécu

tion de ces lois fut-elle bien foible durant tout le temps des empereurs païens. Conftantin enfin les abolit en se faisant chrétien; comme fi le chriftianifme avoit pour but de dépeupler la fociété, en confeillant à un petit nombre la perfection du célibat.

L'établiffement des hôpitaux, felon l'efsprit dans lequel il eft fait, peut nuire à la population, ou la favorifer. Il peut, & il doit même y avoir des hôpitaux dans un état dont la plupart des citoyens n'ont que leur induftrie pour reffource, parce que cette induftrie peut quelquefois être malheureufe; mais les fecours, que ces hôpitaux donnent, ne doivent être que paffagers, pour ne point encourager la mendicité & la fainéantife. Il faut commencer par rendre le peuple riche, & bâtir enfuite des hôpitaux pour les befoins imprévus & preffans. Malheureux les pays où la multitude des hôpitaux & des monafteres, qui ne font que des hôpitaux perpétuels, fait que tout le monde eft à fon aife, excepté ceux qui travaillent!

M. de Montefquieu n'a encore parlé que des lois humaines. Il paffe maintenant à celles de la religion, qui, dans prefque tous les états font un objet fi effentiel du gouvernement. Par-tout il fait l'éloge du chriftianifme; il en montre les avantages & la grandeur; il cherche à le

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