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lieu, ils prétendent que medium iter signifie la haute mer. Pourquoi donc Virgile dit-il plus bas, ut pelagus tenuere Tates, " dès que les navires furent en haute mer » ? ils n'y étoient donc pas auparavant. Ce sont ces erreurs qui ont dicté au P. Catrou cette traduction du commencement du cinquième livre : « Cependant Éuée, déterminé à suivre sa « route, voguoit en mer; et tandis que sa flotte, malgré les aquilons qui troubloient l'onde, s'efforçoit d'avancer, il jeta ses regards sur Carthage ». L'abbé de Saint-Remy dit que la flotte voguoit à pleines voiles. Où est le bon sens de faire voguer une flotte à pleines voiles, quand le vent est directement contraire? Segrais traduit bonnement:

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Déja, sûr de sa route, et volant par les mers,
Énée au gré des vents fendoit les flots amers,
Quand il voit de Didon les murailles naissantes
Des flammes du bûcher par-tout resplendissantes..

Quelle inattention, jointe à la platitude! Annibal Caro a fait le même contre-sens dans sa traduction en vers italiens:

In tanto Enea spinto dal vento in alto
Veleggiava a dilungo.

Voici comment Dryden a traduit cet endroit en vers anglois, que je vais rendre littéralement. « Cependant le Troyen,

déterminé à son voyage, fend sa route liquide à travers la « mer agitée. Alors, regardant derrière lui, il voit, avec a un cruel étonnement, des flammes s'élever du rivage pu

nique. La cause lui est inconnue; mais son esprit perçant « devine par ce feu le sort de Didon : il connoît les ames « orageuses des femmes, etc. ». Je vais rendre de la même manière les vers d'Annibal Caro; ce parallèle pourra faire plaisir au lecteur. « Cependant Enée, poussé par le vent, « faisoit voile sur la mer, et s'éloignoit. La force de l'amour ☛ lui fit tourner les yeux vers Carthage. Déja le bûcher de « la malheureuse Didon étoit tout en feu, et les flammes jetoient de loin une grande lumière. Énée n'en savoit point

«

« la cause; mais la crainte d'un amour violé, et la connois« sance qu'il a de ce que peut et ose une femme en fureur, jointes au triste présage du feu, le plongèrent dans la << tristesse et l'abattement, ainsi que tous les autres Troyens « de sa suite. Ma traduction est différente en plusieurs choses de toutes celles-là, dont l'angloise est la meilleure. Il s'agit à présent de la justifier.

1o. On doit faire attention que Carthage étoit située au fond d'un golfe: il falloit sortir de ce golfe avant que d'étre en haute mer. Medium iter signifie done ici que la flotte faisoit route par le milieu de ce golfe, en s'éloignant également des sables qui étoient des deux côtés. Certus veut dire qu'Enée étoit affermi dans son dessein. Fluctusque atros aquilone secabat : le mot de secabat exprime l'action des rameurs, qui coupent les flots. Virgile appelle les flots atros, parce que, lorsqu'ils sont agités, ils paroissent noirs; la rais a physique de cette différence de couleur est aisée à trouver. Ainsi aquilone est gouverné par atros: ce qui signifie à la lettre, rendus noirs par l'aquilon, c'est-à-dire, agités par le vent de nord. 2°. A peine les galères sont-elles sorties du golfe (ut pelagus tenuere rates), qu'elles sont battues en flanc par un autre vent qui souffle de l'ouest ; ce qui fait deux vents (mutati transversa fremunt): en sorte que le pilote, ayant à lutter contre ces deux vents, ne peut réussir dans sa manœuvre de la manière qu'il vouloit. Que fait-il? il prend le parti de relâcher à un port de Sicile, en faisant usage du vent d'ouest. Tout cela bien conçu, il n'y a plus de difficulté. Au reste, Virgile ne s'arrête point ici à décrire la tempête, parce que les Troyens n'en essuient que le commencement, et qu'ils vont aussitót relâcher au port de Drepane (aujourd'hui Trapani). Il se contente de dire:

Olli cæruleus supra caput adstitit imber,

Noctem hiememque ferens; et inhorruit unda tenebris.

Ce dernier vers, où Virgile peint un nuage épais, portant dans son sein la nuit et l'orage, exprime mieux et plus for

tement la chose dont il s'agit, que l'hyperbole ridicule de Brebeuf dans sa traduction de la Pharsale:

Où les flots coup sur coup élaccés dans les airs

Vout presque dans la nue éteindre les éclairs.

Il se livre avec tous les Troyens aux plus tristes conjectures. Ces mots,

Triste per augurium Teucrorum pectora ducunt,

ne signifient pas que ces flammes furent d'un mauvais augure pour les Troyens, mais qu'ils en tirèrent de tristes conjectures. Le P. Catrou l'a entendu comme moi; mais il l'a rendu un peu foiblement. « Énée ne sut pas, dit-il, la cause « de l'incendie; mais comme il n'ignoroit pas à quelle rage « on est réduit après un amour trahi, et de quel excès est «< capable une femme en fureur, lui et ses Troyens augu« rèrent mal du spectacle qu'ils voyoient. >>

Il ordonne d'amener les voiles. Terme de marine, et qui ne signifie pas tout-à-fait la même chose que les plier. Il y a dans le texte, colligere arma jubet. Tout ce qui sert d'agrès à un navire s'appelle en latin arma nautica, ou navis

armamenta.

* Si je me souviens bien des astres que j'ai observés. Palinure, qui avoit été en Sicile, avoit observé à quelle hauteur du pôle étoit situé le port de Drepane; et depuis ayant fait ses observations en Afrique, il jugeoit de la distance de ce port. Cependant il ne pouvoit juger que par extimation, le temps étant couvert, et la boussole étant alors inconnue.

6 Nous sommes peu éloignés de la côte d'Éryx et des ports de Sicile. Éryx, selon la fable, étoit fils de Vénus et de Butès, et avoit régné sur un canton de la Sicile, où étoit la ville de Drepane (aujourd'hui Trapani). C'étoit là qu'Anchise étoit mort, comme on l'a vu à la fin du troisième livre.

Il y avoit sur cette côte, du temps de Virgile, un temple consacré à Vénus érycienne. Selon la vérité historique, Eryx n'étoit pas fils de la déesse Vénus, mais de Butès et d'une Sicilienne nommée Lycaste, à qui sa beauté mérita le nom de Vénus, ainsi qu'à plusieurs autres femmes dont parlent Diodore de Sicile et Denys d'Halicarnasse. Servius dit qu'Eryx fut tué par un Hercule, qui n'étoit pas le fameux Hercule fils d'Alemène.

En un instant toutes les proues sont tournées, et le vent devenu favorable enfle les voiles. C'est que le vent d'ouest étoit bon pour aller à la voile du golfe de Carthage au port de Drepane.

8 Couvert de la peau d'une panthère de Libye, et armé de dards. Il y a dans le texte, libystidis ursa. Mais y a-t-il des ours en Afrique? Plusieurs auteurs le nient. Hérodote dit cependant, en parlant de la Libye (in Melp.), qu'il y a des lions, des éléphans et des ours. Solin dit même, ch. XXIX, qu'ils sont plus grands qu'ailleurs. Juste Lipse, qui prouve que c'est une erreur, assure que les Romains donnoient le nom d'ursi aux panthères. Comme il est certain qu'il n'y a point d'ours en Afrique, j'ai traduit ursæ par panthère, etc. Cette peau et ces dards que portoit le roi Aceste, lui donnoient un air sauvage et grossier, horridus. Il fournit des rafraîchissemens aux Troyens. L'abbé de Saint-Remy traduit ces mots, gaza lætus agresti, par ceux-ci, il étala pour eux sa magnificence champêtre. Ces deux derniers mots se trouvent ici ensemble pour la première fois, et leur union est un peu singulière. Gaza agrestis signifie toutes sortes de mets que la campagne fournit sans magnificence, et ils sont compris dans le terme général de rafraîchissemens.

9 Ce prince, fils du fleuve Crinise et d'une Troyenne. Egeste, fille d'Hippotès, Troyen, fut vendue à des marchands qui la transportèrent en Sicile. Un jeune homme nommé

Crinisus en devint amoureux, et elle eut de lui un fils nommé Aceste, qui depuis régna dans l'isle. Voyez Servius sur cet endroit, si vous êtes curieux de savoir les différentes opinions touchant la généalogie d'Aceste. Il y a un fleuve en Sicile qu'on appeloit autrefois Crinisus.

10

Quand je serois égaré dans les sables de Gétulie. Le mot d'ersul fait bien sentir que le mot syrtibus ne signifie ici que les sables de l'Afrique, et non.les Syrtes. Les deux Syrtes n'étoient point proche de la Gétulie, située plus avant dans les terres, au-delà des Mauritanies et du mont Atlas. Les Syrtes étoient près des côtes de la Libye: la grande Syrte étoit dans une grande baie, entre la Tripolitane et la Cyrénaïque; la petite Syrte vers la baie de Carthage, près de lisle des Lotophages.

"Que les dieur de Troie, et ceux qu'honore le prince qui nous a reçus dans ses états, président à votre festin sacré. Si j'eusse voulu traduire le texte à la lettre, j'eusse dit: <«<< Dressez des lits pour nos dieux pénates et pour ceux

d'Aceste notre hôte » : mais le lecteur n'y auroit rien compris. Il faut savoir que dans les festins sacrés il y avoit toujours une table et des lits pour les dieux, ce qui s'appeloit lectisternium.

72

Soyez aujourd'hui religieusement attentifs au sacrifice. C'est par ces termes généraux que j'ai rendu ore favete omnes; formule ordinaire qui se prononçoit par le prêtre au com mencement des sacrifices, et par laquelle on ordonnoit aux assistans d'observer durant la cérémonie un respectueux silence, d'être attentifs à l'action. On disoit aussi, favete linguis, c'est-à-dire, taisez-vous, silence; écoutez. Sénèque dit au livre de vita beata, chap. XXVI: Hoc verbum non, ut plerique existimant, a favore trahitur; sed imperatur silentium, ut rite peragi po sit sacrum, nulla voce mala obstrepente.

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