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dans le roi Aceste, issu, comme vous,

du sang

des

dieux : suivez ses conseils, et associez ce prince à vos projets. Après la perte que vous venez de faire d'une partie de vos vaisseaux, laissez-lui ceux qui les montoient, ceux que les difficultés de votre entreprise ont rebutés, les vieillards, les femmes fatiguées de la mer, enfin tous ceux qui n'ont ni assez de force ni assez de courage pour affronter de nouveaux dangers. Permettez-leur de s'établir en ces lieux, et d'y bâtir, avec le consentement d'Aceste, une ville qui portera son nom.

Ce discours du sage vieillard fit impression sur Énée, mais ne put calmer ses inquiétudes. La Nuit, revêtue de ses noirs vêtemens, et assise dans son char, parcouroit sa carrière, lorsque l'ame d'Anchise, descendue du ciel, apparut à son fils 45, et sembla lui parler ainsi : O mon fils, qui, lorsque je jouissois de la vie, m'étiez plus cher que la vie même, vous qui avez essuyé tant de malheurs depuis la destruction de Troie, apprenez que Jupiter commence à vous regarder d'un œil favorable. C'est lui qui a éteint l'in cendie de votre flotte, et c'est par son ordre que je viens vous trouver. Suivez les conseils salutaires du sage Nautès ne conduisez en Italie que l'élite de vos Troyens, que des soldats robustes et courageux, pour combattre contre une nation féroce et guerrière. Mais, avant de soutenir cette guerre, il faut que vous descendiez aux enfers. Venez me voir, mon fils, venez dans le séjour des morts. Ma demeure n'est point dans le Tartare, ni parmi les tristes ombres j'habite, avec les hommes vertueux, :

:

les

Est tibi Dardanius divinæ stirpis Acestes:

Hunc cape consiliis socium, et conjunge volentem.
Huic trade amissis superant qui navibus, et quos
Pertæsum magni incœpti rerumque tuarum est;
Longævosque senes, ac fessas æquore matres,
Et quicquid tecum invalidum metuensque pericli est,
Delige et his habeant terris sine monia fessi.
Urbem appellabunt permisso nomine Acestam.

Talibus incensus dictis senioris amici:
Tum vero in curas animum diducitur omnes.
Et Nox atra polum bigis subvecta tenebat :
Visa dehinc cœlo facies delapsa parentis
Anchise subito tales effundere voces:

Nate, mihi vita quondam, dum vita manebat,
Care magis, nate iliacis exercite fatis,
Imperio Jovis huc venio, qui classibus ignem
Depulit, et cœlo tandem miseratus ab alto est.
Consiliis pare quæ nunc pulcherrima Nantes
Dat senior lectos juvenes, fortissima corda,
Defer in Italiam. Gens dura atque aspera cultu
Debellanda tibi Latio est. Ditis tamen ante
Infernas accede domos, et Averna per alta
Congressus pete, nate, meos. Non me impia namque
Tartara habent, tristes umbræ; sed amona piorum

Concilia Elysiumque colo. Huc casta sibylla

Nigrarum multo pecudum te sanguine ducet.

Tum genus omne tuum, et quæ dentur moenia, disces.
Jamque vale torquet medios Nox humida cursus ;
Et me sævus equis Oriens afflavit anhelis.

Dixerat, et tenues fugit, ceu fumus, in auras.
Eneas, Quo deinde ruis? quo proripis? 'inquit;
Quem fugis? aut quis te nostris complexibus arcet?
Hæc memorans, cinerem et sopitos suscitat ignes;
Pergameumque larem, et canæ penetralia Vestæ,
Farre pio et plena supplex veneratur acerra.

Extemplo socios primumque arcessit Acesten;
Et Jovis imperium, et cari præcepta parentis,
Edocet, et quæ nunc animo sententia constet.
Haud mora congiliis, nec jussa recusat Acestes.
Transcribunt urbi matres, populumque volentem
Deponunt, animos nil magnæ laudis egentes.
Ipsi transtra novant, flammisque ambesa reponunt
Robora navigiis, aptant remosque rudentesque;
Exigui numero, sed bello vivida virtus.

Interea Æneas urbem designat aratro; Sortitusque domos, hoc Ilium, et hæc loca Trojam Esse jubet (gaudet regno Trojanus Acestes), Indicitque forum, et patribus dat jura vocatis. Tum vicina astris erycino in vertice sedes

champs délicieux de l'Élysée. Une chaste sibylle, après avoir immolé de noires victimes aux divinités infernales, vous y conduira. C'est là que vous apprendrez quels seront vos descendans, et de quelle ville vous devez être le fondateur. Adieu, mon fils: la Nuit aura bientôt achevé sa course. Je sens déja l'haleine des chevaux du Soleil: elle m'oblige de disparoître. Il disparut en effet comme une vapeur légère. Mon père, s'écrie Énée, où fuyez-vous? pourquoi me quittez-vous? qui vous force de vous dérober à mes embrassemens? En même temps il s'approche de son foyer, allume du feu, offie un gâteau sacré à Vesta et aux dieux pénates 6, et brûle des parfums en leur honneur.

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Aussitôt il assemble son conseil, et prie le roi d'y assister. Après avoir exposé l'ordre de Jupiter et l'avis de son père, il leur fait part de sa résolution. On l'approuve, et Aceste ne s'y oppose point. On destine, pour habiter la nouvelle ville, ceux que l'amour de la gloire touche foiblement, et sur-tout les femmes. Les autres, en petit nombre, mais gens de cœur, s'appliquent à réparer les ravages de la flamme. On rétablit les bancs, les rames et les cordages; on radoube le corps des navires, et on les met en état de soutenir la mer.

Cependant Énée fait tracer l'enceinte d'une ville avec le soc de la charrue 47, et tirer les maisons au sort. Cette ville, leur disoit-il, vous tiendra lieu d'Ilion, et ees champs seront pour vous ceux de Troie. Il y établit des lois, un tribunal et des mas gistrats. Aceste est ravi de régner sur une colonie

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troyenne. On élève ensuite un temple à Vénus sur le sommet du mont Éryx, on plante un bois sacré près du tombeau d'Anchise, et on y établit un prêtre pour son culte.

:

Neuf jours s'étoient écoulés dans les sacrifices et les festins, lorsque la mer parut favorable pour la navigation. Alors le rivage commença à retentir de gémissemens: on s'embrassoit sans cesse, en versant des larmes. Ceux qui avoient paru les plus rebutés de la mer, et à qui Neptune avoit semblé un dieu intraitable, les femmes même, brûlent de s'embarquer on n'est plus effi ayé ni des fatigues ni des dangers du voyage. Énée attendri prend soin de les consoler, et, les larmes aux yeux, les recommande au roi Aceste. Après avoir immolé trois jeunes taurcaux à Éryx, et une brebis aux tempêtes, il ordonne à tous de démarrer l'un après l'autre. Pendant ce temps-là, debout sur la proue de son vaisseau, la tête couronnée d'olivier, une coupe à la main, il jette dans la mer des entrailles de victimes, et y verse du vin. On part enfin un vent propice, soufflant en pouppe, enfle les voiles, et les rameurs à l'envi fendent les plaines liquides.

Cependant Vénus inquiète va trouver le dieu des mers, et lui parle de la sorte: Neptune, la violente colère de l'implacable Junon et son éternelle fureur me forcent de m'abaisser aux plus humbles pricres. Ni le temps, ni les hommages de mon fils, ne peuvent Padoucir : elle brave et les ordres de Jupiter et les arrêts du destin. C'est peu pour elle d'avoir détruit la ville des Phrygiens, et poursuivi ses malheureux

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