Page images
PDF
EPUB

25

lui disoit Évandre, que nous devons regarder comme le premier fondateur de Rome. Alors ces lieux étoient peuplés d'hommes sauvages, sans mœurs, sans lois, durs comme les chênes dont ils étoient nés "5. Ignorant l'art de cultiver la terre, ils ne savoient ni amasser ni ménager des provisions pour les besoins de la vie : ils ne vivoient que de leur chasse, que des fruits sauvages qu'ils cueilloient, et leurs repas étoient sans apprêt. Saturne, détrôné par son fils Jupiter 26, pour şe dérober à sa poursuite, s'enfuit de l'olympe, et vint se réfugier dans ces lieux. Il rassembla les hommes féroces épars sur nos montagnes; il leur donna des lois, et voulut qu'un pays où il s'étoit caché, et qui avoit été pour lui un sûr asyle, portât le nom de Latium. On dit que son règne fut l'âge d'or, ses paisibles sujets étant gouvernés avec douceur : mais cet âge dégénéra insensiblement ", et les hommes s'abandonnèrent à la fureur des combats et à la soif des richesses. Alors les Ausoniens, et ensuite les Sicaniens 28, envahirent ce pays, qui changea plusieurs fois de nom et de rois. Enfin Thybris, guerrier d'une taille énorme ", le conquit, et les Italiens donnèrent son nom à ce fleuve, qui portoit auparavant celui d'Albula. Pour moi, banni de ma patrie 3°, et errant sur les mers, la fortune toute-puissante et l'inévitable destin m'ont jeté sur ces côtes, et ont fixé mon séjour en ces lieux, suivant les avis respectables de la nymphe Carmente ma mère " et les ordres absolus d'Apollon.

27

30

Ainsi parloit Évandre en s'avançant vers la ville. Il fit alors remarquer à Énée l'autel érigé en l'honneur

VIII, de Carmente, et le lieu où est aujourd'hui située la porte que les Romains ont depuis nommée carmentale, en mémoire de cette antique prophétesse, qui la première annonça la gloire des descendans d'Énée et celle du mont Palatin. Puis il lui montra la forêt où Romulus devoit dans la suite établir un asyle, et lui fit voir au pied d'un rocher le fameux Lupercal, consacré au dieu Pan 3a, suivant le culte des Arcadiens, qui adoroient ce dieu sur le mont Lycée. Il n'oublia pas de lui faire tourner ses regards du côté du bois Argilète : il prit à témoin le tombeau de l'Argien 33 qui y étoit inhumé, protestant qu'il n'étoit point coupable de la mort de son hôte. Évandre conduisit ensuite Énée vers le mont Tarpeius 34, où s'élève aujourd'hui le magnifique Capitole, et qui n'étoit alors couvert que de ronces et d'épines. Cependant c'étoit dès ce temps-là un lieu sacré qui inspiroit le respect et la crainte aux habitans de la campagne. Un dieu, dit Évandre, quel qu'il soit, un dieu réside sur cette montagne. Les Arcadiens croient y avoir vu Jupiter frapper sur sa noire égide 3, et rassembler les nuages. Vous voyez, ajouta-t-il, les débris de deux anciennes forteresses, l'une bâtie par Janus, l'autre par Saturne: celle-ci portoit le nom de Saturnie, et celle-là de Janicule.

35

En parlant ainsi, ils approchoient de la maison du roi, où il n'y avoit ni richesse ni ornement. Ils avoient devant les yeux le lieu champêtre où est aujourd'hui la grande place de Rome, et le quartier magnifique des Carènes 36. C'étoit alors une prairie couverte de troupeaux mugissans. Lorsqu'ils furent arrivés: Voilà,

Quam memorant, nymphæ priscum Carmentis honorem,

Vatis fatidicæ, cecinit quæ prima futuros
Eneadas magnos, et nobile Pallanteum.

Hinc lucum ingentem, quem Romulus acer asylum
Rettulit, et gelida monstrat sub rupe Lupercal,
Parrhasio dictum Panos de more Lycæi.
Nec non et sacri monstrat nemus Argileti,
Testaturque locum, et lethum docet hospitis Argi.
Hinc ad tarpeiam sedem et Capitolia ducit,
Aurea nunc, olim sylvestribus horrida dumis.
Jam tum relligio pavidos terrebat agrestes
Dira loci; jam tum sylvam saxumque tremebant.
Hoc nemus, hunc, inquit, frondoso vertice collem,
Quis deus, incertum est, habitat deus : Arcades ipsum
Credunt se vidisse Jovem, cum sæpe nigrantem
Ægida concuteret dextra, nimbosque cieret.
Hæc duo præterea disjectis oppida muris,

Relliquias veterumque vides monumenta virorum :
Hanc Janus pater, hanc Saturnus condidit arcem;
Janiculum huic, illi fuerat Saturnia nomen.
Talibus inter se dictis ad tecta subibant

Pauperis Evandri, passimque armenta videbant
Romanoque foro et lautis mugire Carinis.

Ut ventum ad sedes: Hæc, inquit, limina victor

Alcides subiit; hæc illum regia cepit.

Aude, hospes, contemnere opes, et te quoque dignum
Finge deo; rebusque veni non asper egenis.
Dixit; et angusti subter fastigia tecti
Ingentem Ænean duxit, stratisque locavit
Effultum foliis et pelle libystidis ursæ.

Nox ruit, et fuscis tellurem amplectitur alis. At Venus haud animo nequicquam exterrita mater; Laurentumque minis et duro mota tumultu, Vulcanum alloquitur, thalamoque hæc conjugis aureo Incipit, et dictis divinum adspirat amorem : Dum bello argolici vastabant Pergama reges Debita, casurasque inimicis ignibus arces, Non ullum auxilium miseris, non arma rogavi Artis opisque tuæ ; nec te, carissime conjux, Incassumve tuos volui exercere labores ; Quamvis et Priami deberem plurima natis, Et durum Æneæ flevissem sæpe laborem. Nunc Jovis imperiis Rutulorum constitit oris : Ergo eadem supplex venio, et sanctum mihi numen Arma rogo genitrix nato. Te filia Nerei,

Te potuit lacrymis tithonia flectere conjux.

Aspice qui coeant populi, quæ moenia clausis

dit Évandre, la maison où j'ai autrefois reçu le grand Alcide tel est le palais où il a logé. Osez, comme lui, dédaigner le faste et le luxe; pardonnez-nous notre pauvreté, et ne soyez pas plus difficile qu'un dieu. A ces mots il introduit le prince troyen dans sa maison, et le fait asscoir sur des feuillages couverts d'une peau de panthère de Libye "7.

37

Cependant la nuit arrive, et enveloppe la terre de ses sombres ailes. Vénus, que les menaces des Latins et les mouvemens de toute l'Hespérie alarment, a recours à Vulcain. Couchée dans un lit d'or à côté de son époux 38, elle lui tient ce langage, qui réveille sa tendresse : Mon cher époux, dans le temps que les rois de la Grèce assiégeoient Ilion, et lançoient des feux ennemis sur cette ville destinée à être réduite en cendres, je ne vous ai point importuné pour les malheureux Troyens; je n'ai point eu recours à votre art, et je n'ai point imploré votre secours : malgré l'intérêt que je prenois à la famille de Priam, malgré les larmes que je versois pour mon fils Énée, sans cesse exposé dans les combats, je n'exigeai point de vous une peine inutile. Par l'ordre de Jupiter, il est aujourd'hui sur les frontières des Rutules. Souffrez que je vous fasse une prière, que j'implore votre puissance, que j'ai toujours révérée, et qu'une mère vous demande des armes pour son fils. La fille de Nérée et l'épouse de Tithon ont bien pu vous toucher par leurs larmes *. Voyez la ligue formée contre moi; voyez combien de peuples, renfermés encore

* Thétis demanda à Vulcain des armes pour Achille, et l'Aurore pour Memnon.

« PreviousContinue »