sente. A sa vue, il s'élève un bruit confus dans le cirque. C'étoit ce Darès qui seul osa autrefois combattre contre Pâris, et qui, dans les jeux funèbres célébrés près du tombeau d'Hector, vainquit et tua Butès, ce redoutable athlète d'une taille énorme, qui se vantoit d'être de la race. d'Amycus, roi de Bébrycie. Darès lève donc le premier sa tête altière, et s'offie au combat. Il montre ses larges épaules, et déploie tour-à-tour ses bras nerveux, dont il frappe l'air. On lui cherche un rival : mais, dans une assemblée si nombreuse, il n'est personne qui ose se mesurer avec lui. Alors Darès se croit vainqueur : il s'avance vers Énée; et saisissant le taureau par une corne, Seigneur, dit-il, puisque personne n'ose combattre contre moi, pourquoi faut-il que j'attende? jusqu'à quand demeurerai-je ici? Ordonnez que j'emmène ce taureau, qui est le prix de la victoire. Tous les Troyens, prenant son parti, murmuroient, et vouJoient qu'on lui donnât le prix qui avoit été promis. Cependant le roi Aceste apperçoit près de lui Entelle tranquillement assis sur le gazon. Entelle, dit-il, toi qui as autrefois acquis tant de gloire dans cette sorte de combat, souffriras-tu qu'à tes yeux on enlève un si glorieux prix sans qu'il soit disputé? Où est donc eet athlète si renommé dans la Sicile, ce fameux élève du divin Éryx? Que sont devenus tant de trophées suspendus aux portes de ta maison? Je n'ai point encore perdu l'amour de la gloire, répondit Entelle; et la peur ne s'est point emparée de mon ame: mais là froide vieillesse a glacé mon sang, appesanti mon corps, et diminué mes forces. Si j'avois la vigoureuse jeunesse de cet insolent, je combattrois seulement pour l'honneur, et non pour la récompense promise, qui me touche peu. En achevant ces mots, il jette sur l'arène deux cestes d'un poids énorme, dont Éryx avoit coutume d'armer ses bras pour ce genre de combat. La vue de ces deux effrovables cestes, formés de sept cuirs, garnis de plomb et de fer, surprit tous les spectateurs. Darès en est plus étonné que les autres, et refuse de s'exposer au combat contre de telles armes. Énée se les fait apporter : il les soulève, et les considère de tous côtés. Quel auroit donc été votre étonnement, dit alors le vieux Entelle, si vous aviez vu les cestes d'Hercule combattant contre Éryx sur ce même rivage? Éryx votre frère se servoit de ces gantelets, que vous voyez encore teints du sang et souillés de la cervelle de ses rivaux. Ce fut avec de telles armes qu'il combattit contre Alcide. C'étoient aussi les miennes, lorsqu'un sang vif coulant dans mes veines entretenoit mes forces, et lorsque la vieillesse ennemie n'avoit point encore blanchi mes cheveux. Mais si Darès recule à la vue de ces deux cestes redoutables, et si le roi et Énée autorisent son refus, nous combattrons avec d'autres armes. Darès, cesse de trembler; je te fais grace des cestes d'Éryx: mais quitte aussi tes gantelets troyens, et combattons à armes égales. A ces mots, le vieux athlète met bas ses vêtemens: il découvre à nud ses membres nerveux, ses grands os, et ses bras terribles. Entelle s'étant rendu au milieu de l'arène, Énée fait apporter des cestes égaux, Exsultat fidens, si nunc foret illa juventas; Haud equidem pretio inductus pulchroque juvenco Hæc fatus, duplicem ex humeris rejecit amictum; Tum satus Anchisa cestus pater extulit æquos, Et paribus palmas amborum innexuit armis, Ostendit dextram insurgens Entellus, et alte Ipse gravis graviterque ad terram pondere vasto et les met lui-même aux bras des deux combattans. Aussitôt l'un et l'autre s'apprêtent au combat : ils se dressent sur leurs pieds, et d'un air intrépide ils commencent tous deux à lever le bras pour se frapper. Chacun tâche d'abord de garantir sa tête du coup qui le menace. Bientôt ils s'approchent, et entrelacent leurs bras. L'un, plus léger, plus agilė, a l'avantage de la jeunesse : l'autre est plus massif, plus robuste; mais il a moins d'haleine, et ses genoux chancellent. Après avoir long-temps paré les coups de part et d'autre, ils s'en portent enfin de terribles à la tête et à la poitrine 3: on voit leurs mains redoutables chercher les tempes et les oreilles; les joues retentissent sous la pesanteur de leurs bras. Entelle cependant se tient ferme sur ses pieds: il suit de l'œil et de tout le corps les mouvemens de son ennemi, et tâche d'esquiver ses coups. Darès semble un guerrier qui assiège une ville fortifiée, ou un château situé sur un roc; il parcourt toute la place, et en cherche les endroits foibles : mais il ne livre que de vains assauts. Entelle se dresse, et lève un bras qui eût étendu son adversaire à ses pieds, si celui-ci n'eût prévu l'attaque: il fait un saut en arrière, et se dérobe au coup fatal. Le bras d'Entelle ayant porté à faux, il tombe lourdement, tel qu'un vieux pin déraciné dans les forêts d'Ida ou d'Érymanthe. La jeunesse troyenne et sicilienne prend part à cet accident, et il s'élève des cris de toutes parts. Aceste, touché du malheur du vieux athlète son ami, accourt le premier, et lui |