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LE MARÉCHAL DE LUXEMBOURG

Luxembourg (Ch.-Fr.-Frédéric de Montmorency-Luxembourg, maréchal-duc de), né en 1702, mort en 1764. Créé maréchal par Louis XV, sans avoir jamais commandé en chef, il fut le troisième maréchal de son nom. Retiré dans sa terre de Montmorency, il y accueillit avec une extrême bienveillance J.-J. Rousseau, qui s'est plu dans ses écrits à faire l'éloge de son protecteur.

I

Villeroy, 1 mai 1759.

Je serai toujours enchanté, monsieur, que le hasard ou la beauté de la situation de Montmorency vous ait engagé à vous y retirer, parce que cela me procurera le plaisir de faire connaissance avec quelqu'un dont l'esprit, et encore plus les vertus, avaient gagné toute mon estime. Je désire de tout mon cœur qu'une connaissance plus intime puisse me mériter votre amitié, et j'en serai plus glorieux que de tous les rangs dont vous me parlez dans votre lettre. Le désir d'être plus près de vous, et la crainte de vous voir périr sous les ruines de votre logement, nous ont engagés, madame de Luxembourg et moi, à vous proposer de prendre un logement au petit château.

1 La lettre qu'on va lire est une réponse à celle de Rousseau du 30 avril 1759. Il se faisait un scrupule d'accepter l'offre que le maréchal lui avait faite d'habiter le petit château de Montmorency pendant qu'on réparait sa maison de Mont-Louis. Cette réponse détermina Rousseau à accepter la proposition du maréchal.

Quand vous nous connaîtrez davantage, vous ne douterez pas de la sincérité du désir que nous en avons. Venez-y donc, monsieur, et le plus promptement sera le mieux. Soyez certain que par là vous ne prenez aucun engagement avec moi, que celui de m'accorder votre amitié, si vous m'en croyez digne, quand vous me connaîtrez. Pour moi, monsieur, je prends avec vous celui de vous honorer autant que vos sentiments et vos vertus le méritent.

II

Paris, 4 juin 1759.

Je n'ai reçu, monsieur, qu'à mon retour de Saint-Hubert et de Choisy votre lettre du 27 du mois passé1. Je suis charmé que votre santé se trouve bien de votre séjour au petit château. Je désire avec empressement d'être au mois de juillet pour être témoin de la tranquillité et de la solitude qui vous y accompagnent. Je vous promets qu'elles ne seront point interrompues pendant mon séjour à Montmorency; vous n'y verrez que madame de Luxembourg et moi, et cela quand vous le voudrez. A l'égard de la compagnie qui pourra y venir, vous ne verrez que ceux que vous voudrez voir et ne serez importuné de personne. J'accepte avec grand plaisir la proposition que vous me faites de la société que nous pourrions lier ensemble. Quand vous me connaîtrez, vous verrez que je ne mérite ni ne peux souffrir les louanges. Ainsi, monsieur, tenons-nous-en à l'amitié. Si je puis obtenir la vôtre, j'en serai plus flatté que de tous les termes et de toutes les expressions dont vous pourriez vous servir avec moi.

Voyez la lettre de Rousseau du 27 mai 1759.

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que

Paris, 16 août 1759.

Pouvez-vous douter, monsieur, que je songe à vous, quoi

à la cour? Vous me feriez assurément injustice. Je puis vous assurer que je regrette le temps que j'ai passé avec vous, à tous les instants. Que ne puis-je habiter toujours Montmorency, tant que vous y êtes! Je ne désirerais rien; je vous aime, et je compte sur votre amitié. Mais je vous verrai ici, vous me l'avez dit, et, quelque désir que j'en eusse, je n'aurais jamais osé vous le proposer. L'amitié ne doit jamais exiger de complaisance. J'apprends dans le moment l'accident arrivé au pauvre Turc 1; n'en mourra-t-il point? Rien de ce qui a rapport à vous ne peut m'être indifférent; ce sont là les sentiments que vous m'avez inspirés, et dont rien ne pourra jamais me faire départir.

Mille choses, je vous prie, à mademoiselle Levasseur. Comment se trouve-t-elle dans votre habitation2? J'aurais bien désiré que vous eussiez préféré le petit château.

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IV

Paris, 1" septembre 1759.

Vous me faites connaître, monsieur, des défauts que je ne me savais pas. Je croyais ne point aimer les louanges, et je ue les ai jamais aimées; mais je sens que ce que vous me dites de flatteur me touche plus que je ne puis l'exprimer. Il est vrai que j'ai été enchanté de devoir au roi la grâce qu'il

1 Le chien de Rousseau.

2 La maison de Mont-Louis à Montmorency, où Rousseau était retourné.

vient d'accorder à mon fils1; vous y avez pris part, j'en suis sûr.

Voilà les voyages du roi finis, et je compte sur ce que vous nous avez promis pour le mois de septembre. Quel plaisir de revoir un ami aussi cher et sur lequel on peut com pter!

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Je ne vous ai point encore remercié de votre portrait*, parce que j'étais à Versailles; mais il me fait un plaisir infini et me donne beaucoup de distractions quand je lis le matin dans mon cabinet. Les réflexions sont agréables quand on pense que ce sont les traits d'un ami sur lequel on compte autant. Vous m'en donnez encore des preuves dans la lettre que je reçois ce matin au sujet de la santé de mon petit-fils; il se porte fort bien aujourd'hui, et sa fièvre n'a été que passagère et occasionnée, je crois, par des drogues que sa mère lui fait manger en cachette. Je suivrai, autant que je le pourrai, les conseils que vous me donnez sur son éducation. Je voudrais les suivre exactement en tout; mais il faudrait pouvoir y être toujours présent, et je ne le puis.

1 Le roi venait d'accorder au duc de Montmorency la survivance de la charge de capitaine des gardes-du-corps qu'avait son père. Rousseau en avait adressé ses félicitations au maréchal dans sa lettre d'août 1759.

2 Un des portraits de Rousseau faits par La Tour; destiné d'abord à madame d'Épinay, il était resté entre les mains de Rousseau à la suite de sa rupture avec cette dame. Le philosophe l'offrit au maréchal de Luxembourg, qui lui envoya, de son côté, une tabatière contenant son propre portrait et celui de la maréchale.

Le comte de Luxembourg, fils du duc de Montmorency. Il mourut peu après.

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