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M. D'ÉPINAY

Épinay (de la Live d'), fils de M. de la Live de Bellegarde, fermier général, chez qui Jean-Jacques fut introduit par M. Dupin de Francueil en 1746.

I

28 octobre 17581.

J'ai reçu, monsieur, le livre que vous avez eu la bonté de m'envoyer 2. Je le lis avec le plus grand plaisir : c'est le sentiment que j'ai toujours éprouvé à la lecture de tous les ouvrages qui sont sortis de votre plume. Recevez-en tous mes remercîments. J'aurais été vous les faire moi-même si mes affaires m'eussent permis de demeurer quelque temps dans votre voisinage; mais j'ai très-peu habité la Chevrette cette année. M. et madame Dupin viennent m'y demander à dîner dimanche prochain; je compte que MM. de Saint-Lambert, de Francueil et madame d'Houdetot seront de la partie. Vous me feriez un vrai plaisir, monsieur, si vous vouliez être des nôtres; toutes les personnes que j'aurai chez moi vous dési

1 Cette lettre est citée dans le X livre des Confessions. Dénuée d'intérêt au premier abord, elle en reçoit des circonstances qui la provoquèrent. Le diner offert par M. d'Épinay devait amener une réconciliation entre Rousseau d'une part et Saint-Lambert et madame d'Houdetot de l'autre. Rousseau accepta le dîner et renoua avec ses anciens amis. On trouvera de plus amples détails sur ce dîner de la Chevrette dans le X livre des Confessions.

2 La Lettre à d'Alembert sur les Spectacles.

rent, et seront charmées de partager avec moi le plaisir de passer avec vous une partie de la journée.

J'ai l'honneur d'être, avec la plus parfaite considération, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.

II

15 mai 1765.

Vous ne me saurez sûrement pas mauvais gré, monsieur, d'avoir cédé à l'empressement qu'ont eu tous vos amis et les vrais amateurs de la bonne musique, d'entendre, au Concert spirituel, le joli motet que vous avez fait pour la chapelle de la Chevrette. Il doit y être chanté par mademoiselle Fel, demain, jour de l'Ascension. J'ai eu soin de faire faire les répétitions que l'ouvrage mérite, et je crois qu'il sera bien exécuté. Je saisis avec bien du plaisir cette occasion de me rappeler à votre souvenir, et de vous réitérer les assurances du sincère attachement avec lequel je serai toute ma vie, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.

MADAME D'HOUDETOT

Houdetot (Sophie de la Live de Bellegarde, comtesse d'), fille d'un fermier général, née vers 1730, morte en 1813, avait épousé en 1748 un gentilhomme de Normandie, officier distingué. Elle était la belle-sœur de madame d'Épinay. Madame d'Houdetot fut une des femmes les plus remarquables du dix-huitième siècle par ses grâces, son esprit et ses qualités personnelles; elle doit surtout sa réputation à la vive passion qu'elle inspira à J.-J. Rousseau, ainsi qu'à sa liaison avec Saint-Lambert. Elle a laissé quelques Pensées.

I

Été 1756 1.

Je vous renvoie, mon cher citoyen, les nippes que vous avez bien voulu me prêter. J'ai trouvé en m'en allant un chemin bien meilleur, et je vous fais part de la joie que j'en ai, parce qu'il m'assure la possibilité de vous voir encore. J'ai bien regret de vous avoir vu si peu. Restez dans vos bois, puisque vous vous y plaisez, mais permettez-nous de nous plaindre que vous vous y plaisiez tant.

Adieu, mon cher citoyen. Remerciez, je vous prie, mademoiselle Levasseur de tous les soins qu'elle a pris de moi.

1 Cette lettre se rapporte à une visite que madame d'Houdetot venait de faire d'Eaubonne, où elle passait l'été, à l'Ermitage. Dans le IX livre des Confessions, Rousseau parle de cette visite comme de la première que lui fit madame d'Houdetot, et il raconte qu'ayant été surprise par une pluie violente, elle fut obligée d'échanger ses vêtements contre d'autres que lui prêta Thérèse. Voilà pourquoi elle renvoie à Rousseau ses nippes.

II

3 mars 1757.

J'apprends que vous êtes plus dangereusement malade, mon cher citoyen; mon amitié pour vous vous répond de mon inquiétude et de ma peine. Au nom de Dieu, ne rejetez pas les secours qui pourraient vous être nécessaires. J'envoie exprès savoir de vos nouvelles, faites-m'en donner. J'ai envoyé chez votre ami1; vous le verrez sans doute s'il peut aller. Adieu, mon cher citoyen, ménagez-vous pour vous retrouver encore avec vos amis. J'ai lu vos copies avec un extrême plaisir; je suis de ceux qui peuvent sentir ce qu'elles valent. Mais ce n'est pas le moment d'en parler. Dites au commissionnaire ce que je puis vous devoir. Adieu. J'attends votre réponse avec crainte et inquiétude. Si vous aviez quelques papiers que vous fussiez en peine qui demeurassent chez vous, faites-les remettre au curé de Deuil avec une enveloppe à mon adresse, et le pricz de les garder jusqu'à ce que vous ou moi les envoyions chercher. Je voudrais sur tous les points tranquilliser votre esprit dont le tourment peut vous rendre plus malade. Adieu. Un mot de votre état.

Soyez assuré que le curé est honnête homme et fera ce que vous lui direz.

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J'envoie, mon cher citoyen, savoir de vos nouvelles. J'avais su avec bien de la joie, par votre dernier billet, que vous étiez moins souffrant et plus tranquille que je ne croyais; je

1 Diderot.

souhaite que cela ait continué et vous prie de m'en assurer. Je me porte très-bien et je suis occupée de mille sentiments agréables auprès de celui qui en est l'objet. Je parle souvent de vous et toujours avec intérêt et amitié. J'attends pour lire à mon ami1 cette Julie qui me plaît tant, que j'aie la première partie; il la faut lire de suite. Ne mesurez pas cependant votre travail à ce sujet sur mon impatience, mais sur vos forces. Je ne vous envoye point votre argent, puisque vous ne le voulez pas; quand vous le voudrez, vous me le direz. Adieu, mon cher citoyen. Si vous avez besoin de quelque chose, donnez-moi vos commissions; comptez surtout sur mon amitié et n'en doutez jamais.

IV

Été 1757.

3

Si vous n'avez rien de mieux à faire, mon cher citoyen, vous devriez venir diner mardi avec moi; je serai exactement seule, ma belle-sœur même ayant affaire ce jour-là à Paris. J'avais intention de vous proposer de nous rassembler chez madame d'Épinay ou de l'engager à venir chez moi, mais elle ne sera pas de retour ce jour-là. J'espère que vous aurez appris une route plus courte. Je vous montrerai les environs. Si M. Deleyre est chez vous et qu'il veuille venir, vous me ferez plaisir de l'amener. Adieu, mon cher citoyen.

1 Saint-Lambert.

2 Rousseau copiait déjà pour madame d'Houdetot le commencement de la Nouvelle Héloïse; ce roman ne reçut tout son développement que dans le cours de l'année suivante.

3 Madame de Blainville, qui habitait avec elle.

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