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les défordres que l'on a éprouvés dans tous les temps.

La loi de Mahomet confond l'ufurè avec le prêt à intérêt. L'ufure augmente dans les pays Mahometans à proportion de la févérité de la défense: le prêteur s'indemnife du péril de la

contravention.

Dans ces pays d'orient, la plupart des hommes n'ont rien d'affuré; il n'y a prefque point de rapport entre la poffeffion actuelle d'une fomme, & l'efperance de la r'avoir après l'avoir prêtée : l'ufure y augmente donc à proportion du péril de l'insolvabilité.

CHAPITRE XX.
Des ufures maritimes.

LA
A grandeur de l'usure maritime est fondée
fur deux chofes; le péril de la mer, qui fait
qu'on ne s'expofe à prêter fon argent que pour
en avoir beaucoup davantage; & la facilité que
le commerce donne à l'emprunteur, de faire
promptement de grandes affaires, & en grand
nombre: au lieu que les ufures de terre n'étant
fondées fur aucune de ces deux raisons, font
ou profcrites par les légiflateurs, ou, ce qui est
plus fenfé, réduites à de juftes bornes.

CHA

CHAPITRE

XXI.

Da pret par contrat, & de l'ufure chez les Romains.

OUTRE le prêt fait pour le commerce, il y a encore une espèce de prêt fait par un contrat civil, d'où résulte un intérêt ou usure.

Le peuple, chez les Romains, augmentant tous les jours fa puiffance, les magiftrats cherchèrent à le flatter, & à lui faire faire les loix qui lui étoient les plus agréables. Il retrancha les capitaux; il diminua les intérêts; il défendit d'en prendre ; il ôta les contraintes par corps enfin l'abolition des dettes fut mise en question toutes les fois qu'un tribun voulut fe rendre populaire.

Ces continuels changemens, foit par des loix, foit par des plébifcites, naturalifèrent à Rome l'ufure; car les créanciers voyant le peuple leur débiteur, leur légiflateur & leur juge, n'eurent plus de confiance dans les contrats, Le peuple, comme un débiteur décrédité, ne tentoit à lui prêter que par de gros profits: d'autant plus que, fi les loix ne venoient que de temps en temps, les plaintes du peuple étoient continuelles & intimidoient toujours les créanciers. Cela fit que tous les moyens honnêtes de prêter & d'emprunter furent abolis à Rome; & qu'une usure affreuse, toujours Cc 2 fou

foudroyée (a) & toujours renaiffante, s'y établit. Le mal venoit de ce que les chofes n'avoient pas été ménagées. Les loix extrêmes dans le bien font naître le mal extrême. Il fallut payer pour le prêt de l'argent, & pour le danger des peines de la loi. (a) Tacite, annal. liv. VI.

CHAPITRE

XXII.

Continuation du même fujet.

Les premiers Romains n'eurent point de loix

pour régler le taux de (a) l'ufure. Dans les démêlés qui fe formèrent là-deffus entre les plé béiens & les patriciens, dans la fédition (b) même du mont Sacré, on n'allégua, d'un côté, que la foi; &, de l'autre, que la dureté des

contrats.

On fuivoit donc les conventions particulières; & je crois que les' plus ordinaires étoient de douze pour cent par an. Ma raison est que, dans le langage (c) ancien chez les Romains, l'in

(a) Ufure & intérêt fignifioient la même chofe

chez les Romains.

(b) Voyez Denys d'Halic. qui l'a fi bien décrite.

(c) Ufura femiffes, trientes, quadrantes. Voyez là-deffus les divers traités du digefte & du code de ufuris; & fur-tout la loi XVII, avec fa note, au ff. de ufuris.

l'intérêt à fix pour cént étoit appellé la moitié de l'ufure, l'intérêt à trois pour cent 'le quart de l'ufure: l'ufure totale étoit donc l'intérêt à douze pour cent,

Que fi l'on demande comment de fi groffes ufures avoient pu s'établir chez un peuple qui étoit prefque fans commerce; je dirai que ce peuple, très-fouvent obligé d'aller fans folde à la guerre, avoit très-fouvent befoin d'emprunter ; & que, faifant fans ceffe des expé ditions heureuses, il avoit très-fouvent la facilité de payer. Et cela fe fent bien dans le récit. des démêlés qui s'élevèrent à cet égard: on n'y difconvient point de l'avarice de ceux qui prêtoient'; mais on dit que ceux qui fe plaignoient, auroient pu payer s'ils avoient eu une conduite réglée (a).

On faifoit donc des loix qui n'influoient que fur la fituation actuelle: on ordonnoit, par exemple, que ceux qui s'enrôleroient pour la guerre que l'on avoit à foutenir, ne feroient point pourfuivis par leurs créanciers; que ceux qui étoient dans les fers feroient délivrés; que les plus indigens feroient menés dans les colonies: quelquefois on ouvroit le tréfor public. Le peuple s'appaifoit par le foulagement des maux préfens; & comme il ne demandoit rien pour la fuite, le fénat n'avoit garde de le prévenir. Dans

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(a) Voyez les difcours d'Appius. là-deffus, dans Denys d'Halicarnaffe.

Dans le temps que le fénat défendoit avec tant de conftance la caufe des ufures, l'amour. de la pauvreté, de la frugalité, de la médiocri◄ té, étoit extrême chez les Romains; mais telle étoit la conftitution, que les principaux citoyens portoient toutes les charges de l'état, & que le bas peuple ne payoit rien. Quel moyen de pri ver ceux-là du droit de poursuivre leurs débi teurs, & de leur demander d'acquitter leurs charges, & de fubvenir aux befoins preffans de la république?

Tacite (a) dit que la loi des douze tables fixa l'intérêt à un pour cent par an. Il eft vifible qu'il s'eft trompé; & qu'il a pris pour la loi des douze tables une autre loi dont je vais parler. Si la loi des douze tables avoit réglé cela, comment, dans les difputes qui s'élevèrent depuis entre les créanciers & les débiteurs, ne fe feroit-on pas fervi de fon autorité? On ne trouve aucun veftige de cette loi fur le prêt à intérêt: & pour peu qu'on foit verfé dans l'histoire de Rome, on verra qu'une loi pareille ne devoit point être l'ouvrage des décemvirs.

La loi Licinienne (b) faite quatre-vingtcinq ans après la loi des douze tables, fut une de ces loix paffagères dont nous avons parlé. Elle ordonna qu'on retrancheroit du capital ce qui avoit été payé pour les intérêts, & que le refte feroit acquité en trois payemens égaux.

(a) Annales, liv. VI.
(b) L'an de Rome 388. Tite-Live, liv. VI.

L'an

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