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les billets duffent faire la fonction de monnoie; & que la valeur numéraire de ces billets fût prodigieufe pour répondre à la prodigieufe valeur numéraire des actions (c'est le systême de M. Law) il fuivroit de la nature de la chofe que ces actions & billets s'anéantiroient de la même manière qu'ils fe feroient établis. On n'auroit pu faire monter tout-à-coup les actions vingt ou vingt-cinq fois plus haut que leur première valeur, fans donner à beaucoup de gens le moyen de fe procurer d'immenfes richeffes en papier chacun chercheroit à affurer fa fortune; & comme le change donne la voie la plus facile pour la dénaturer, ou pour la tranfporter où l'on veut, on remettroit fans ceffe une partie de fes effets chez la nation qui règle le change. Un projet continuel de remettre dans les pays étrangers, feroit baiffer le change. Suppofons que, du temps du systême, dans le rapport du titre & du poids de la monnoie d'argent, le taux du change fût de quarante gros par écu; lorsqu'un papier innom. brable fut devenu monnoie, on n'aura plus voulu donner que trente-neuf gros par écu; enfuite que trente-huit, trente-fept, &c. Cela alla fi loin, que l'on ne donna plus que huit gros; & qu'enfin il n'y eut plus de change.

C'étoit le change qui devoit, en ce cas, règler en France la proportion de l'argent avec le papier. Je fuppofe que, par le poids & le titre de l'argent, l'écu de trois livres d'argent

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valût

valût quarante gros; & que le change fe faifant en papier, l'écu de trois livres en papier ne valût que huit gros, la différence étoit de quatre cinquièmes. L'écu de trois livres en papier valoit donc quatre cinquièmes de moins que l'écu de trois livres en argent.

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Des opérations que les Romains firent fur les monnoies."

QUELQUES Coups d'autorité que l'on ait faits de nos jours en France fur les monnoies dans deux ministères confecutifs; les Romains en firent de plus grands; non pas dans le temps. de cette république corrompue, ni dans celui de cette république qui n'étoit qu'une anarchie; mais lorfque, dans la force de fon institution, par fa fageffe comme par fon courage, après avoir vaincu les villes d'Italie, elle difputoit l'empire aux Carthaginois.

Et je fuis bien aife d'approfondir un peu cette matière, afin qu'on ne fasse pas un exemple de ce qui n'en est point un.

Dans la première guerre Punique (a) l'as, qui devoit être de douze onces de cuivre, n'en pefa plus que deux; & dans la feconde, il ne

(a) Pline, hift. nat. liv. XXXIII, art. 13.

fut

fut plus que d'une, Ce retranchement répond à ce que nous appellons aujourd'hui augmentation des monnoies; ôter d'un écu de fix livres Ja moitié de l'argent pour en faire deux, ou le faire valoir douze livres, c'eft précisement la même chofe,

Il ne nous refte point de monument de la manière dont les Romains firent leur opération dans la première guerre Punique: mais ce qu'ils firent dans la feconde, nous marque une fageffe admirable. La république ne fe trouvoit point en état d'acquiter fes dettes; l'as pefoit deux onces de cuivre; & le denier valant dix as, valoit vingt onces de cuivre, La républi que fit des as (a) d'une once de cuivre; elle gagna la moitié fur fes créanciers, elle paya un denier avec ces dix onces de cuivre.

Cette opération donna une grande fecouffe à l'état, il falloit la donner la moindre qu'il étoit poffible; elle contenoit une injuftice, il falloit qu'elle fût la moindre qu'il étoit poffible; elle avoit pour objet la libération de la république envers fes citoyens, il ne falloit donc pas qu'elle eût celui de la libération des citoyens entr'eux: cela fit faire une feconde operation; & l'on ordonna que le denier qui n'avoit été jufques-là que de dix as, en contiendroit feize. Il réfulta de cette double opération, que, pendant que les créanciers de la république perdoient la Bb 3 moitié

(a) Pline, hift. nat. liv. XXXIII, art 13.

moitié (a), ceux des particuliers ne perdoient qu'un cinquième (b): les marchandifes n'augmentoient que d'un cinquième, le changement réel dans la monnoie n'étoit que d'un cinquié me: on voit les autres conféquences.

Les Romains fe conduifirent donc mieux que nous, qui, dans nos opérations, avons enveloppé & les fortunes publiques & les fortunes particulières. Ce n'eft pas tout: on va voir qu'ils les firent dans des circonftances plus favorables que nous.

(a) Ils recevoient dix onces de cuivre pour vingt. Ils recevoient feize onces de cuivre pour vingt,

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Circonftances dans lesquelles les Romains firent leurs opérations fur la monnoie. Il y avoit anciennement très-peu d'or & d'argent en Italie; ce pays a peu ou point de mines d'or & d'argent: lorfque Rome fut prise par les Gaulois, il ne s'y trouva que mille (a) livres d'or. Cependant les Romains avoient faccagé plufieurs villes puiffantes, & ils en avoient tranfporté les richesses chez eux. Ils ne fe fervirent long-temps que de monnoie de cuivre : ce ne fut qu'après la paix de Pyrrhus, qu'ils

(a) Pline, liv. XXXIII, art: 5.

eurent

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eurent affez d'argent pour en faire de la mon noie (a) ils firent des deniers de ce métal, qui valoient dix as (b), ou dix livres de cuivre: pour lors la proportion de l'argent au cuivre étoit comme i à 960; car le denier Romain valant dix as ou dix livres de cuivre ; il valoit cent vingt onces de cuivre ; & le même denier valant un huitiéme (c) d'once d'argent, cela faifoit la proportion que nous venons de dire.

Rome devenue maîtreffe de cette partie de l'Italie la plus voifine de la Grèce & de la Sicile, fe trouva peu à peu entre deux peuples riches, les Grecs & les Carthaginois; l'argent augmenta chez elle; & la proportion de 1 à 960 entre l'argent & le cuivre ne pouvant plus fe foutenir, elle fit diverfes opérations fur les monnoies, que nous ne connoiffons pas. Nous fçavons feulement qu'au commencement de la feconde guerre Punique, le denier (d) Romain ne valoit plus que vingt onces de cuivre ; & qu'ainfi la proportion entre l'argent & le cuivre n'étoit plus que comme 1 eft à 160; la réduc tion étoit bien confidérable, puifque la républiB b 4

que

(a). Freinshemius, liv. V. de la feconde décade (b) Ibid. loco citato: Ils frapperent auffi, dit le même auteur, des demi appellés quinaires, & des quarts appellés fefierces.

(c) Un huitième, felon Budde: un feptiéme felon d'autres auteurs.

(d) Pline, hift. nat. liv. XXXIII, art. 13.

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