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l'antiquité, le principal objet que je me suis proposé a été de donner la méthode pour enseigner ainsi.

Il serait bien téméraire de rejeter les classiques; ils ont leur beauté, ils ont aussi leur sagesse, une morale souvent excellente, lueur vive avant la pleine lumière, prélude de la vérité, préliminaire de la foi, préparation évangélique, comme plusieurs des Pères de l'Eglise l'ont reconnu; « préface humaine de l'Evangile », selon l'heureuse expression de De Maistre. On ne saurait nier qu'au double titre de la sagesse et de la beauté, les poètes antiques ne soient bien au-dessous de l'idéal biblique et chrétien; toutefois, ils ont aussi, pour leur part, droit à l'admiration. Avec Horace, sans doute, on ne peut ni méditer, ni prier, ni même penser à fond; mais enfin c'est un moraliste et un poète, et il est permis de s'y plaire. La poésie et l'art auront toujours, dans l'ordre des plaisirs légitimes, leur privilége. A part des contemplations ascétiques, on peut jouir de la nature, des beautés du paysage, de l'eau qui murmure et du soleil qui resplendit parmi les arbres verts. De même aussi des choses d'art: si ce n'est pas le vrai beau, le beau en soi, qui est en Dieu seul, du moins ce sont ses manifestations. Qu'on lise et qu'on relise les classiques à ses heures : c'est bien. Il y a dans la vie tant d'occupations moins saines et qu'il faudrait

écarter! C'est pourquoi, si Dieu donne le loisir et si les études sont de ce côté, laissons place à la poursuite du beau dans ses divers sentiers; permettons, en particulier, aux abeilles littéraires de se répandre dans les prairies de la poésie antique, de cueillir les fleurs qui y croissent, pourvu qu'on n'y soit pas attaché par fond de l'âme, et qu'on sache qu'il y a sur d'autres montagnes un miel plus parfait que celui de l'Hymette, des fleurs plus odorantes que celles qui naissaient aux bords de l'Ilissus.

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Mû par de telles pensées, j'ai entrepris de tresser une couronne avec les textes des poètes, d'interpréter ces textes, de placer comme dans une corbeille leurs fleurs vives, de montrer leurs couleurs et leur parfum, et d'offrir cette couronne aux amis de l'antiquité, m'unissant, pour ma faible part, à l'hommage que n'a cessé de rendre à ces beaux génies le flot renaissant des générations lettrées. Mais aussi, et dans plus d'une ren- . contre, j'ai dû montrer que le parfum est enivrant que l'éclat peut séduire, et que plus d'une fois le ver qui corrompt se recèle au calice des fleurs.

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Quant au mode que nous avons adopté pour ce volume, il n'est pas tout à fait le même que pour son devancier. Ici, nous appuyons nos observations sur les textes, mais en citant ces textes dans leur teneur. Tous ceux

qui ont fait des études, aiment, si on leur parle des écrivains classiques, qu'on leur soumette les textes euxmêmes. Aussi trouveront-ils un bon nombre de vers latins, et des plus beaux, mêlés à nos propres développements. Mais, afin de rendre la lecture de ces passages plus rapide et plus facile, j'en ai placé au bas des pages une traduction faite avec un grand soin, selon le procédé qui a prévalu, et qui consiste à serrer un texte de plus près possible, tout en observant les justes conditions du bon style en français. Il faut, en effet, pour qu'une traduction soit bonne, lui ôter tout feuillage stérile, il faut en faire une bandelette de bon tissu, de couleur acceptable, et qui se plie, autant que possible, au texte à traduire : rien en deçà, rien au delà.

Cet ouvrage, composé en province dans des années d'activité, et qui avait rempli plus que le précepte nonumque prematur in annum, réveillé enfin d'un si long sommeil où il dormait dans le portefeuille, et livré à une impression tardive, a du moins cet avantage d'être le résultat d'une immédiate méditation des textes. Heureux si mes études ne sont pas trop indignes des travaux des maîtres illustres dont je suis le contemporain, qui ont donné à la critique moderne l'élévation morale, la dignité spiritualiste et la solidité dont elle manquait au commencement de cet âge. Les ouvrages de M. Ville

main, en particulier, par leur irrésistible séduction, ont gouverné en grande partie la critique de notre temps. Nul n'a possédé comme ce maître le sentiment de la poétique antiquité. Pour moi, si mon volume sur les poètes grecs n'eût pas été écrit depuis longtemps, jamais je n'aurais pensé, aprés l'éloquent livre sur le génie de Pindare, à porter sur un sujet analogue le résultat de mes propres travaux.

Il existe un autre livre avec lequel le présent volume n'est pas sans quelque rapport, les Etudes de M. D. Nisard sur les poètes latins de la décadence. J'ai cité ce savant et ingénieux critique, en particulier dans ses conclusions sur la religion chrétienne dominant le monde antique et réparant sa corruption. Toutefois, le but de mon ouvrage étant moins littéraire que philosophique, j'ai dû négliger beaucoup de détails qu'il a traités, et je ne l'ai suivi ni dans ses développements, ni dans le choix de ses textes. N'ayant à m'occuper directement ni de l'histoire des poètes, ni de leur génie littéraire, mon objet plus spécial était de poursuivre leur philosophie à travers le manteau de leur poésie.

Quant à mes devanciers plus anciens, en remontant à de hautes époques, il en est un surtout dont je dois faire mention.

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Un des plus savants religieux du grand P. Thomassin, de l'Oratoire, a écrit deux fort sous ce titre : « Méthode d'étudier et d'enseig » tiennement les poètes. » Je n'ai pas fait usag savante compilation, que j'ai connue tard auss œuvre faite. D'ailleurs, mon plan est tout diff P. Thomassin, voulant montrer que les vérit mentales de la morale et de la religion s'étaie tenues traditionnellement dans tous les siècles a flambeau vacillant, mais jamais éteint au mi ténèbres, pose les questions et les résout par des poètes qu'il cite pêle-mêle et comme ils suggérés pour l'utilité de chaque thèse. J'ai s ordre plus littéraire, demandant à chacun des dans l'ordre chronologique, sa pensée tout en le point auquel cette pensée s'est arrêtée pour l'avantage à une doctrine plus autorisée et plus Mais si je diffère de ce savant dans la composi mon livre, ma pensée est la même, ainsi que mo la juste admiration de l'antiquité et l'enseig qu'il faut en faire dans les voies chrétiennes.

Cette pensée, j'ai lieu de le croire par le frages dont mon précédent volume a été ho réunit, malgré la diversité des camps, ceux vouent à l'instruction classique. D'une part, elle

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