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a voulu que les animaux de la terre dépendissent des signes manifestés par l'ordre des cieux; et alors il explique les signes du Zodiaque, et les pronostics astrologiques qui remplissent le troisième et le quatrième livre. Le génie de Manilius était fait pour s'immortaliser en des voies meilleures, lui qui exprime avec une ardeur si vive le mouvement qui l'entraîne aux sources profondes du savoir :

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Omne genus rerum doctæ cecinere sorores,
Omnis ad accessus Heliconis semita trita est;
Et jam confusi magnis de fontibus amnes,
Nec capiunt haustum, turbamque ad nota ruentem.
Integra quæramus rorantes prata per herbas,
Undamque occultis meditantem murmur in antris.
Quam neque durato gustarint ore volucres,
Ipse nec æthereo Phoebus labaverit igni ;
Nostra loquor, nulli vatum debebimus orsa;
Nec furtum, sed opus, veniet, nostroque volamus
In cœlum curru, propriâ rate pellimus undas1.

La morale de Manilius est généreuse et de haut essor. Voici un beau passage, plein du sentiment de Dieu et de sa justice:

Hinc mihi Salmoneus (qui, cœlum imitatus, in orbe
Pontibus impositis, missisque per æra quadrigis,
Expressisse sonum mundi sibi visus, et ipsum
Admovisse Jovem terris, male fuhnina fingi

1 1 L. II, v. 150. -«Les doctes sœurs ont chanté sur tous les sujets; toutes les routes qui mènent à l'Hélicon ont été foulécs Les sources qui en découlent ont donné naissance à des fleuves qui, réunissant leurs eaux, ne peuvent suffire à ceux qui veulent boire, à la foule qui se précipite vers les flots qui lui sont connus. Cherchons quelque prairie, dont l'herbe humectée par la rosée soit encore intacte; une fontaine qui fasse entendre son paisible murmure au fond d'un antre écarté, que le bec durci des habitants de l'air n'ait jamais effleurée, où le feu céleste de Phébus n'ait jamais pénétré. Ce que je dis est à moi, je n'emprunterai à aucun poète ce que j'entreprends; ce n'est pas un lambeau dérobé, c'est une œuvre à moi que je donnerai; je vole au but sur un char qui m'appartient; avec ma propre nacelle, je fends les flots. >>

Sensit, et immissos ignem super ipse secutus,

Morte Jovem didicit) generatus possit haberi1.

Il est curieux de rapprocher ces vers de ceux de Virgile sur le même sujet, et dont ceux-ci semblent être une imitation directe. Mais il y a ici un trait qui est bien dans le sentiment des vers de Virgile, mais qui n'est pas dans le texte, un trait sublime, vraiment, morte Jovem didicit. Au lieu de Jovem, mettez Deum, le plein jour alors se fait dans l'idée, elle devient chrétienne. Combien de fois l'impie a-t-il appris par sa mort le Dieu qu'il ignorait?

Après avoir étudié les planètes et les étoiles fixes, dissipé son talent et prodigué ses vers sur les fictions vides de l'astrologie, Manilius clôt son poème par un tableau des étoiles sans nombre dont le chœur peuple le ciel et brille dans la nuit. Cela est si beau, que je ne résiste pas à rapporter ce passage. On lit peu Manilius, et avec assez de raison, car on ne saurait lire dans son entier un si long poème didactique sur l'astrologie. C'est pourquoi nos lecteurs trouveront ici volontiers les vers qui vont suivre :

Maxima pars numero censu concluditur imo,

Quæ neque per cunctas noctes, neque tempore in omini.
Resplendet, vasto cœli submota profundo;

Sed cùm clara suos avertit Delia currus

Cùmque vagæ stellæ terris sua lumina condunt,
Mersit et ardentes Orion aureus ignes,
Effulget tenebris et nocte accenditur atrâ
Tum conferta licet cœli fulgentia templa

' L. v, v. 95.- -« Sous ce signe sans doute était né ce Salmonée qui, ayant imité avec un globe le vaste ciel, y faisait rouler son char à quatre chevaux sur un pont d'airain, croyant exprimer le bruit du ciel et faire croire que Jupiter s'approchait de la terre; il s'aperçut bientôt qu'il avait mal imité le tonnerre; et, renversé par les feux inévitables, il apprit par sa mort à connaître Jupiler. »>

Cernere luminibus densis, totumque micare
Stipatum stellis mundum, nec cedere summâ
Floribus, aut siccâ curvum per littus arenâ.
Sed quot eant semper nascentes æquore fluctus,
Quot delapsa cadant foliorum millia silvis,
Amplius hoc ignes numero volitare per orbem.
Maximus est populus summo qui culmine fertur,
Cui, si pro numero vires natura dedisset,

Ipse suas æther flammas sufferre nequiret,

Totus et accenso mundus flagraret Olympo'.

C'est ainsi, non plus pour des rêves astrologiques, mais avec un souffle meilleur et un essor plus haut, qu'un poète de notre temps a trouvé des vers d'une égale splendeur, pour contempler et chanter l'infini dans les cieux 2.

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↑ L. v, v. 715. « Le plus grand nombre des étoiles forme la dernière classe; celles-ci, reculées dans la plus haute région du ciel, ne brillent ni toutes les nuits ni en tout temps; mais, lorsque la déesse de Délos a détourné son char, que les astres errants cachent à la terre leurs clartés, qu'Orion a plongé dans les ténèbres ses rayons d'or, alors cette multitude brille et s'enflamme dans la sombre nuit. La céleste voûte apparaît semée de flambeaux sans nombre, et le ciel renvoie de toutes parts l'éclat des étoiles. Leur nombre n'est pas moindre que celui des fleurs, ou des grains de sable sur le rivage sinueux de l'Océan; quel que soit le nombre des flots qui se succèdent sur la surface de la mer, ou celui des feuilles qui tombent par milliers dans les forêts, bien plus nombreux sont les feux qui circulent dans l'espace. Il est grand le peuple des étoiles qui roule dans les hauteurs du ciel. Si la nature eût accordé à ces étoiles des forces en rapport avec leur nombre, la région éthérée ne pourrait supporter ses propres feux, et l'Olympe embrasé consumerait l'uni

vers entier. >>

• M. A. de Lamartine, Harmonies.

CHAPITRE XIII.

DÉCADENCE ROMAINE AU PREMIER SIÈCLE DE L'EMPIRE.

PARALLELISME DE LA LITTÉRATURE ET DES MŒURS; CORRUPTION A ROME

A L'AVÈNEMENT DE L'EMPIRE.-I. DANS L'ESPRIT MILITAIRE.

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- II. DANS III. DANS LA VIE PRIVÉE; MŒURS DISSOLUES

Un tableau qu'il ne faut jamais perdre de vue, quand on écrit sur la littérature, sur la poésie d'une époque, un parallélisme qu'on doit suivre, c'est l'ensemble des faits sociaux dont cette poésie est le reflet. Or, nous l'avons vu dans la suite des chapitres qui précèdent, le caractère général de la poésie sous le premier empereur, c'est un mouvement élevé et en même temps paisible, et sans beaucoup d'essor moral, caractère sous lequel se montre aussi avec clarté cette société assujettie au maître habile qui avait fondé dans sa personne la seconde monarchie de Rome. Tout est soumis, tout a fléchi; cette époque est glorieuse, mais il y avait des causes de dissolution sous cette surface paisible; la société romaine s'était préparée par des causes intimes et profondes de ruine à ce régime d'asservissement. Puisqu'aussi bien j'ai le dessein de présenter un tableau d'ensemble de la poésie sous l'empire, dans son rapport avec les mœurs de la société au même temps, je vais, faisant trève à ces analyses de poètes, et sortant pour un moment des faits littéraires, donner un aperçu de la situation politique et morale où se trouvait alors l'empire romain. Comme le point où nous sommes arrivé de notre étude littéraire touche à la décadence, j'en rappellerai ici

les symptômes, avant de la montrer plus loin, cette décadence, se précipitant et achevant son œuvre, se convertissant en ruine, alors qu'il n'y aura plus rien, ni poètes, ni orateurs, ni vertus publiques et privées et que le monde se dissolvant, se préparera au jour nouveau qui doit le

sauver.

Le souffle de la corruption, à l'avénement de l'empire et dans son premier siècle, se fit sentir dans les mœurs militaires, dans les mœurs politiques, dans les mœurs privées, trois points que j'entreprends de caractériser sommairement.

I

Nous ferons d'abord une rapide excursion sur les mœurs politiques; ici nos poètes nous feront défaut un instant. Tout entiers à l'adulation, à l'adoration de ce qui était établi, ils ne pouvaient se répandre librement sur ce périlleux terrain. D'ailleurs ils avaient la sécurité, la protection souveraine, l'accueil amical, et ils pouvaient dire: deus hæc fecit. Nous les retrouverons un peu plus loin, à propos des mœurs privées, soit comme reflet eux-mêmes de ces mœurs, soit pour les témoignages qu'ils ont rendus à la corruption qui régnait au moment où l'empire fut institué.

Le règne du premier des empereurs fut long et tranquille. Cependant les légions romaines éprouvèrent un grand désastre. Varus, lieutenant d'Auguste, qui commandait en Germanie, étant tombé dans une embuscade que lui avait tendue Arminius, chef des Chérusques, périt avec ses légions. Auguste ressentit si vivement cette fatale nouvelle, que dans son désespoir il se frappait la tête contre la muraille, et s'écriait: « Varus, rends-moi mes légions. » Ce fut le seul revers de ce long règne. Ce prince mourut à 70 ans après un règne de 44. On dit que dans ses

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