Page images
PDF
EPUB

le péril principal et la principale lutte des apologistes et des docteurs de l'Église grecque.

Tels étaient les obstacles particuliers que rencontrait en Grèce l'établissement du christianisme voici les facilités particulières qu'il y

trouva.

:

La Grèce, depuis plus de deux siècles, vaincue et soumise par les Romains quand parut le christianisme, eut le bénéfice de sa servitude: elle conserva ses arts, ses sciences, ses loisirs, et à défaut d'une autre liberté, la liberté philosophique dont les Romains, nous le savons, ne s'inquiétaient guère. Le christianisme profita de cette liberté philosophique et du prix même qu'y attachèrent, à la fin du second siècle, quelques empereurs romains. C'est au nom de la philosophie, que les premiers apologistes réclameront et souvent obtiendront la liberté religieuse qu'on leur refuserait à un autre titre. Ainsi pour la prédication, pour la défense du culte nouveau, le monde grec était dans des conditions plus favorables que le monde romain.

La religion grecque aussi, malgré les racines qu'elle pouvait avoir dans les souvenirs et le caractère du peuple grec, et que nous avons montrées, la religion grecque ne tenait pas, comme la religion romaine, à la constitution de l'État : la loi ne s'armait pas pour elle; et si quelquefois les cités étaient admises à plaider devant l'empe

reur pour certains droits d'asile qu'on leur contestait, ces réclamations qu'on leur laissait comme un semblant de liberté, n'allaient pas au delà d'une simple protection matérielle : l'intégrité même du culte n'y était pour rien. Mais si dans la Grèce, la religion n'était pas, comme à Rome, soutenue par la politique, elle se défendait, elle régnait dans les esprits par la pompe de ses fêtes et de ses souvenirs poétiques. Combien devaient paraître austères les cérémonies du culte chrétien, combien sombres ces catacombes où il était réduit à se cacher, à côté de ces panathénées brillantes, de ces temples peuplés des chefs-d'œuvre immortels de la peinture et de la sculpture!

La Grèce, en revanche, admettait une liberté de discussion, qu'à coup sûr n'eût pas admise la fierté romaine: saint Paul put prêcher devant l'aréopage le Dieu inconnu que l'aréopage avait en vain cherché ; je doute qu'il eût été admis à le proclamer devant le sénat romain. Outre les facilités que, pour se répandre en Grèce, la parole chrétienne trouvait dans la soumission même de ce pays aux Romains et dans l'espèce d'indifférence qu'ils avaient pour l'esprit grec, ses subtilités et ses fables, elle en rencontrait d'autres encore dans le caractère grec lui-même.

Les Grecs sans doute s'étaient dégradés sous l'esclavage. Obligés de plaire à leurs maîtres, de

les flatter, ils s'étaient fait à Rome une renommée populaire de souplesse basse et adroite. Mais toute la Grèce n'était pas dans Rome. Protégés d'ailleurs contre l'excès de la corruption par la pauvreté même, les Grecs, s'ils furent efféminés, ne se livrèrent jamais à ces monstruosités de débauches que vit Rome, et qu'y provoquaient la souveraine licence du pouvoir et les dépouilles de l'univers; ils ne mêlèrent pas comme les Romains la cruauté à la volupté, le sang aux plaisirs; et quand, à l'imitation de Rome, on voulut élever dans Athènes un cirque sanglant, la voix d'un rhéteur suffit pour faire repousser cette innovation funeste : la ville de Minerve se souvint qu'elle avait dans son sein un autel pour les suppliants; Rome qui éleva tant de temples, n'en éleva jamais à la clémence. Mais si le doux génie de la Grèce répugnait à ces jeux barbares, il était sensible, et plus que les Romains, à d'autres spectacles; le cirque n'était pas dans la Grèce une arène sanglante, mais un théâtre où la mollesse, où la volupté s'étalaient sous toutes les formes les spectacles étaient pour les Grecs une fête continuelle.

A ces causes que nous venons de rappeler, causes politiques, locales, habitudes de caractère ou d'esprit qui disposaient plus particulièrement les Grecs à recevoir la semence évangélique, il faut ajouter les causes générales qui,

à Rome et dans le monde entier, ouvraient les âmes aux espérances de la régénération chrétienne. En Grèce, comme à Rome, l'enfant, la femme, l'esclave, souffraient. Moins opprimés qu'à Rome, parce que la douceur des mœurs grecques tempérait le malheur de leur servitude, ils n'avaient pourtant ni la liberté, ni l'égalité domestique. On a montré récemment et avec autant de justesse que de grâce, par la seule comparaison de l'Économique de Xénophon et du De re rustica de Caton, combien en Grèce le sort de l'esclave et de la femme était différent de celui qui leur était fait par la rudesse du génie latin non moins que par la sévérité de la loi. Xénophon, dans les esclaves, respecte, malgré leur abaissement, l'ineffaçable dignité de l'homme. « Ceux, dit-il, qui sont sensibles à la louange, je les traite en hommes libres. » La femme, dans l'Économique, n'est pas moins réhabilitée moralement que l'esclave; et réhabilitée, ennoblie, comme s'ennoblit et s'embellit la femme, par la bonté. Voici un trait qui peint admirablement ce double caractère de mansuétude grecque pour l'esclave et tout ensemble cette tendresse pieuse pour le malheur qui fait la beauté et la vertu de la femme. Ischomaque a parlé à sa femme, mais avec ménagement, de soigner les esclaves malades; elle, avec la vivacité d'un bon naturel, répond : « Certes, ce sera

mon plus grand plaisir, puisque, bien soignés par moi, ils en seront reconnaissants, et m'en aimeront davantage. » Dans le De re rustica, il est inutile de le dire, on ne trouve rien de semblable. Le génie grec a non-seulement le sentiment naturel de l'égalité, il a aussi celui de la pureté chrétienne. Dans le même traité, Xénophon nous montre la femme d'Ischomaque paraissant fardée devant son mari; lui, la reprenant avec douceur: « Crois bien, ma femme, que les couleurs empruntées me sont moins agréables que les tiennes, et comme les dieux ont voulu que la jument plût au cheval, la génisse au taureau, la brebis au bélier, ils ont voulu de même que le corps humain plût à l'homme dans sa pureté naturelle. » Il y a là un instinct de la modestie chrétienne; mais un peu matériel encore : la comparaison gâte légèrement le précepte. Toutefois cette douceur et cette pureté étaient l'exception; en général, en Grèce comme à Rome, l'esclave et la femme souffraient l'Église grecque n'aura pas moins que l'Église latine l'honneur de proclamer et d'obte

[ocr errors]

nir leur réhabilitation.

Tout en Grèce était donc mûr pour la moisson évangélique.

Le génie grec, on peut le dire, était prédestiné pour le christianisme. Aussi, avec quelle rapidité s'élèvent en Grèce des églises chrétiennes!

« PreviousContinue »