Page images
PDF
EPUB

<< Plein du dessein de me former à la philosophie, j'étais allé à l'école d'un stoïcien; j'y demeurai quelque temps; mais voyant que je n'avançais pas dans la connaissance de Dieu, connaissance que cet homme, dans son ignorance, méprisait et ne croyait pas nécessaire, je le quittai pour un autre philosophe, un de ceux qui se nommaient péripatéticiens. Celui-là, qui avait de lui-même l'idée la plus avantageuse, me garda quelque temps auprès de lui. Mais un jour il me demanda son salaire; cette demande me parut si peu digne d'un philosophe, qu'à l'instant même je me déterminai à quitter son école. Mais l'esprit incessamment tourmenté du désir de connaître ce qui fait l'objet essentiel de la philosophie, je m'adressai à un pythagoricien, jouissant d'une grande réputation, et qui n'était pas moins que l'autre plein de son mérite : je lui

demandai de m'admettre au nombre de ses disciples. Savez-vous la musique, l'astronomie, la géométrie? car sans ces préliminaires, vous ne pensez pas sans doute pouvoir arriver à rien de ce qui mène à la béatitude, c'est-à-dire à la contemplation de l'être, bonté et beauté essentielle et souveraine? Telle fut sa première question; sur ma réponse que je n'en savais pas un mot, il me congédia. J'espérais être plus heureux auprès des platoniciens : c'étaient alors les philosophes les plus accrédités. J'allai donc trouver un

d'entre eux qui passait pour le plus habile de cette école ; j'y étais assidu et je fis dans la connaissance de sa doctrine d'assez rapides progrès. J'en étais enchanté; la contemplation des idées intellectuelles semblait me donner des ailes pour m'élever bientôt jusqu'à la plus haute sagesse, je le croyais du moins : ce n'était qu'une erreur. <«< Un jour que, m'abandonnant à cette espérance, je marchais pour gagner le bord de la mer, comptant y être seul, et pouvoir m'y livrer mieux à la méditation; tout près d'arriver, j'aperçois à quelques pas et derrière moi quelqu'un qui marchait : c'était un homme d'un âge déjà fort avancé; sur son visage paraissaient également la douceur et la gravité. Je m'arrêtai, et me retournant pour voir qui c'était, je le considérai attentivement sans rien dire. Est-ce que vous me connaissez? me dit-il. —Non, lui répondis-je. Pourquoi donc me regardez-vous si fixement? C'est, lui répondis-je, que je suis surpris de vous rencontrer en un lieu où je me croyais seul. Mais vous-même, qu'y étiezvous venu faire? Je le lui fis connaître. >>

Le vieillard prend occasion des réponses de Justin, pour lui apprendre les secrets d'une autre philosophie bien plus certaine, bien plus intéressante que toutes les doctrines des écoles profanes. Justin essaye de défendre ses anciens maîtres; il reproduit sur la nature des âmes, sur

l'essence divine, sur les récompenses et les châtiments à venir, les idées et les arguments des platoniciens. Mais le vieillard le presse si fort tantôt par des questions agréables, tantôt par de sensibles comparaisons, tantôt par de solides raisonnements qu'il le réduit à avouer que les philosophes n'avaient pas connu la vérité; et après avoir ruiné leurs divers systèmes, il lui dit à quelle école s'apprend la véritable sagesse : cette école, ce sont les prophètes.

Dans son discours aux Grecs, qui est la seconde partie de l'Exhortation aux gentils, Justin fait encore connaître les motifs qui ont amené son changement de religion: c'est en connaissance de cause qu'il a renoncé au paganisme dont le culte ne lui présentait rien de saint, rien qui fût digne de la majesté divine; car les seuls fondements du paganisme, ce sont les fictions des poëtes, monuments de délire et d'impiété. Enfin dans un autre passage il dit : << Moimême, sectateur de la philosophie de Platon, en voyant les chrétiens traduits devant les tribunaux par la calomnie courir avec intrépidité à la mort, j'ai compris qu'il n'était pas possible qu'ils fussent des esclaves de la volupté. » Converti au christianisme, Justin voulut appeler à la vérité ceux dont il avait partagé les erreurs : ce qu'il fit dans son Exhortation aux gentils : « Animé du désir de vous gagner à la vérité,

dit-il en commençant, je prie avant tout Dieu de m'inspirer ce que je dois dire et d'éclairer votre esprit en éloignant de vous la pensée, que ce serait vous mettre en contradiction avec vos pères, que d'embrasser des opinions différentes de celles qui ont dirigé leur croyance; les mêmes choses changent souvent de face, quand on les examine de plus près. Me proposant donc de vous entretenir de la vraie religion, j'ai cru ne pouvoir mieux faire que de rechercher quels ont été les fondateurs de votre culte et du nôtre, quelles ont été leurs mœurs, dans quel temps ils ont vécu. » Ce parallèle entre les poëtes et les philosophes, auteurs du paganisme, et les prophètes organes de la Divinité, est le texte que développe Justin dans cette Exhortation aux gentils.

En Grèce, la religion n'avait pas rencontré les mêmes ennemis qu'à Rome. A Rome, elle avait surtout eu affaire au paganisme, c'est-àdire à la superstition appuyée des passions et de la politique; en Grèce, elle trouva principalement en face d'elle la philosophie, c'est-à-dire l'esprit de doute et de discussion. Non que les passions populaires n'accueillissent aussi quelques-unes des calomnies grossières répandues contre les chrétiens; mais en général, c'est la philosophie qui, au nom de la raison, attaquait la religion nouvelle. Les apologistes grecs ne

récusèrent pas cet adversaire, et s'armant du même principe ils réclamèrent à leur tour cette liberté philosophique qu'on invoquait contre eux. C'est le caractère particulier de l'apologie de Justin et des apologies qui la suivront.

Sous Adrien, les chrétiens avaient joui de quelque tranquillité. Mais la persécution un instant ralentie se ranima, et la haine du peuple contre le christianisme rendit nécessaires de nouvelles apologies. Justin soutint avec talent le périlleux honneur de défendre les chrétiens. Voici le début de l'apologie qu'il présenta en leur faveur: «< A l'empereur Titus Ælius Adrien Antonin pieux, Auguste César, et à son fils, Vérissime, philosophe, et à Lucius, philosophe, fils de Lucius César par la nature, et de l'empereur par l'adoption, amis de la science, et au sacré sénat et à tout le peuple romain; au nom de tous les hommes de tous les états, victimes d'une haine injuste et d'une cruelle persécution; Justin, fils de Priscus, originaire de la nouvelle Flavia, dans la Palestine syrienne, l'un de ces persécutés, présente humblement cette requête : La philosophie prescrit à quiconque se pique de piété et de philosophie, non-seulement de n'estimer que la vérité, de ne respecter qu'elle, d'abandonner sans hésiter, si ancienne qu'en soit la source, les opinions contraires à la saine morale. S'il est des usages et des lois contre les

« PreviousContinue »