Page images
PDF
EPUB

Nabuchodonofor qui dévasta l'Egypte, époque à laquelle les annales fe perdirent. Hérodote fe trouvant à un éloignement aussi grand du tems où ces annales existoient, & où elles étoient encore entre les mains des Egyptiens, quelle autre reffource put-il avoir pour écrire cent cinquante ans après la dévaftation par Nabuchodonofor, , que ces mémoires altérés? Ce qui juftifie cette réflexion, c'est que cet historien avoue lui-même qu'il n'a pas la plus grande confiance dans ceux que lui avoient communiqués les Prêtres d'Egypte.

M. l'abbé du Rocner établissant fa découverte fur le parallélifme des faits des deux hiftoires (preuve fans réplique, puifqu'elle eft oculaire), il n'étoit pas obligé de dire comment & dans quel tems s'étoient fabriqués ces extraits. Cependant il a cru devoir fur ces deux objets faire part de fon opinion, pour fatisfaire la curiofité de fes lecteurs.

Ce que l'hiftoire attefte de l'enlèvement des archives Egyptiennes, appuie fortement ce que penfe M. l'abbé du Rocher fur la caufe & l'époque de ces mémoires. Il reconnoit fi bien que les Egyptiens ont eu d'anciennes annales antérieures aux extraits de l'Ecriture-Sainte, qu'il cite Pluche, entr'autres auteurs qui parlent de l'enlèvement de ces archives. Il auroit pu citer encore Newton qui attefte le même fait dans fa Chronologie.

Jugez donc, Monfieur, combien vous

êtes loin de l'état de la queftion, lorfque vous faites ce raisonnement: Il est certain qu'on a écrit long-tems avant Moyfe: vouloir cependant que les Egyptiens aient emprunté de lui leur hiftoire &c. ! Je crois vous avoir prouvé que le fondement de la découverte de M. l'abbé du Rocher, n'est point l'antériorité des livres de Moyfe. De ce que l'auteur de l'Hiftoire véritable avance que les Egyptiens ont copié des Livres faints ce qu'ils ont donné pour leur hiftoire, il n'en faut pas conclure, qu'il nie que les Egyptiens aient eu des archives plus anciennes que les mémoires fur lefquels a été rédigée leur hiftoire, telle que nous l'avons. Il foutient feulement que celle donnée par les grecs Hérodote & Diodore, furtout par le premier, hiftorien profane le plus ancien que nous ayons, & qui n'a écrit que plus de cent ans après l'horrible dévaftation de l'Egypte fous Nabuchodonofor (vous en avez le tableau dans Ezéchiel), eft un tiffu de fables abfurdes, & un traveftiffement groffier des Livres faints dans les endroits où ils font mention des Egyptiens.

TREIZIEME OBJECTION.

13. Pour admettre la découverte de l'Hif toire véritable, il faut fuppofer d'après elle, que les extraits que l'auteur prétend avoir été faits par les Egyptiens auront été altérés par eux, puifque c'est

de leurs mains que dut les tenir Hérodote, qui lui-même en aura fait une hiftoire traveftie d'un bout à l'autre. Or, eft-il poffible de croire à ces altérations, quand on penfe que les Egyptiens très-voifins de la Paleftine, devoient entendre la langue hébraïque ? Ayant vécu long-tems avec les Hebreux, ils durent favoir parler leur langue. Sans cela comment pendant des fiecles entiers où le peuple de Dieu refta en Egypte, eût-il pu fe faire entendre de fes habitans? Les extraits dont parle M. l'abbé du Rocher ont été altérés poftérieurement à ce féjour, & ces altérations fe font opérées fur les mots; & de ces mots écorchés & mal traduits, s'est ensuivi le traveftiffement des faits hiftoriques. Je le demande, altere-t-on de la maniere la plus bifarre les mots & les phrafes d'une hiftoire, quand on entend la langue dans laquelle eft écrite cette hif toire ?

Pour réfoudre votre objection, je la réduis à ces deux queftions. 1. Les Egyptiens, quoique limitrophes de la Palestine, dont ils n'étoient féparés que par un ruiffeau, favoient-ils parler hébreu ? 2. De ce que les Hébreux ont fait un long féjour en Egypte, en peut-on conclure qu'ils y aient appris la langue Egyptienne?

Quant à la premiere queftion, il me fuffit

de vous rappeller le paffage de l'Ecriture qui porte que les freres de Jofeph, parlant en fa présence ignoroient que Jofeph qu'ils ne foupçonnoient pas être leur frere, les entendit, parce qu'il leur parloit par un interprete (a). Donc les Egyptiens n'entendoient pas ĺ'hébreu. Sans cela, comment les freres de Jofeph, qui le prenoient pour un Egyptien, auroient-ils pu fe perfuader qu'il ne comprenoit pas ce qu'ils difoient entr'eux en fa préfence? & comment Jofeph pour les mieux tromper, & pour fe déguifer plus adroitement à leurs yeux, auroit-il imaginé de fe fervir d'un truchement?

Sur la feconde queftion, je foutiens également la négative. Il eft aifé de prouver que dans le féjour des Ifraélites en Egypte, ceux-ci ignoroient la langue égyptienne. Lifez, Monfieur, le verfet 6. du Pfeaume 80. L'écrivain facré pour inviter le peuple à célébrer les fêtes & les folemnités réligieufes, s'exprime en ces termes. Le Seigneur en a fait un précepte à Jofeph (& par ce nom il entend tout Ifraël) en mémoire de la fortie d'Egypte. IL Y ENTENDIT PAKLER UNE LANGUE QU'IL NE CONNOISSOIT PAS. (a)

(a) Nefciebant autem quòd intelligeret Jofeph, eò quod per interpretem loqueretur ad eos. (Gen. xlij 23.) (b) Teftimonium in Jofeph pofuit illud, cum exiret de terra Egypti; LINGUAM QUAM NON NOVERAT, AUDIVIT. (Pfalm. So. v. 6.)

Le Pfeaume 113. In exitu Ifraël de Egypto, domûs Jacob de populo barbaro, que nous chantons fi fouvent dans nos temples, vient encore à l'appui de ce que j'avance. Le mot que l'auteur de la Vulgate a traduit par barbaro, eft LAG en hébreu, qui fignifie celui qui parle une langue inconnue: & en effet à prendre l'épithete barbaro dans le sens ftrict & précis, elle ne pouvoit convenir aux Egyptiens, à l'époque de la fortie des Ifraélites; loin d'être alors dans la barbarie, les Egyptiens étoient une nation fort favante & fort éclairée, puifque Moyfe, le chef de ce peuple fugitif, avoit été inftruit dans toutes leurs fciences.

Des deux textes cités, il réfulte 1. que l'égyptien & l'hébreu étoient deux langues très-différentes. 2. Que l'égyptien étoit une langue inconnue & barbare (dans le fens que l'entend le Pfalmifte) pour les Ifraélites, même après le long féjour qu'ils avoient fait en Egypte. A leur arrivée dans ce royaume, ils furent placés dans la terre de Geffen qui formoit un canton féparé. Ce voifinage fit naître fans doute des relations; mais pour les entretenir, il fuffifoit que les Hébreux priffent des interpretes pour fe faire entendre. L'ignorance du langage devoit donc être réciproque entre les deux nations.

Mais quand on fuppoferoit que le féjour des Hébreux en Egypte les eût forcés à apprendre la langue de ce pays, où d'a

« PreviousContinue »