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teur de l'Hiftoire véritable fur Sefoftris, perfonnage travefti de l'Ecriture-Sainte, il eft évident que fon voyage en Colchide, pays fameux par fon belier & fa riche toifon tant vantée chez les Poëtes, n'eft plus qu'une altération des traits de Jacob chez Laban, où le Patriarche eut l'art de s'enrichir en colorant les toifons des brebis. (Voy. l'art. de Sefoftris dans l'Hift. vérit.) Eft-il étonnant que les incrédules ne pouvant plus citer bien haut tout ce fatras d'antiquités, aujourd'hui dévoilées & dont ils faifoient autant de difficultés infolubles contre la véracité de Moyfe, aient un peu d'humeur. contre l'auteur qui a converti leurs objections en preuves pour l'Ecriture-Sainte?

ONZIEME OBJECTION.

11. Votre favant a eu l'art de fe fervir d'une hiftoire de la plus haute antiqui té, où l'on ne connoît les hommes que par quelques traits principaux; c'eft de cette obfcurité que naît en partie le preftige de l'Hiftoire véritable.

Pourquoi reprocher aux hiftoriens de l'antiquité de n'avoir donné que des traits principaux? Les commencemens des peuples modernes contiennent-ils autre chofe que des hiftoires très-concises, & des faits principaux? Prenez la premiere race de nos rois Francs, & vous jugerez fi fur l'article des annales anciennes de notre monarchie,

nous fommes mieux partagés que les autres peuples. Si les commencemens des fastes de toutes les nations ne préfentent néceffairement que des traits principaux à raison de l'obfcurité des tems, ces nuages ne tombent que fur les faits inconnus. Mais les grands événemens dont on a des monumens, pour être en petit nombre, n'en font pas plus obfcurs en eux-mêmes. Donc rien de plus frivole que votre réflexion fur l'ouvrage de M. l'abbé du Rocher, parce qu'il traite de l'ancienne hiftoire d'Egypte.

DOUZIEME OBJECTION.

12. Tout l'Ouvrage de M. l'abbé du Rocher porte fur ces deux hypothefes. 1. Que la Bible eft le plus ancien des Livres. 1. Que les Egyptiens n'avoient pas une hiftoire nationale qui leur appartint en propre. Deux fuppofitions auffi fauffes l'une que l'autre. Car s'il n'existe plus de livre plus ancien que la Bible, il n'eft pas moins certain qu'on a écrit long-tems avant Moyfe. Le livre d'Enoch, cité par l'Apôtre S. Jude, en est une preuve. Vouloir d'ailleurs que les Egyptiens aient emprunté leur hiftoire de la Bible, c'est établir gratuitement qu'ils n'avoient pas une hiftoire de leur pays antérieure à celle de Moyfe: ce qui eft incroyable, d'une grande & antique nation, comme les Egyptiens, qui

avoient des favans avant Moyfe, puifque l'Ecriture dit, que ce même Moyfe eut pour inftituteurs à la cour de Pharaon, ces fages d'Egypte.

Je réponds d'abord en vous faisant cette queftion. Quand vous auriez la certitude qu'il a exifté des livres plus anciens que celui de Moyfe, me prouveriez-vous qu'il eft également certain que ces livres contenoient, comme le fien, la vraie origine de tous les peuples de la terre, & les commencemens des premiers empires de l'univers; car tel eft le feul objet qui ne foit pas étranger à la matiere que nous traitons ici, & dont je ne veux pas m'écarter?

Je réponds en fecond lieu que vous attribuez à M. l'abbé du Rocher un raisonnement qu'il n'a jamais fait. Il n'a dit nulle part que l'hiftoire d'Egypte fût copiée des Livres faints, par la raifon qu'ils font les plus anciens livres qui exiftent. L'antériorité des annales de Moyfe n'eft pas le principe dont l'auteur de l'Hiftoire véritable a tiré fa découverte. Il prétend feulement qu'après que Nabuchodonofor eut conquis l'Egypte, les Egyptiens furent tranfportés captifs dans les états du conquérant, & que cette captivité dura quarante ans. Cet événement eft conftaté par l'Ecriture-Sainte (a). Ce fait une fois bien avéré, les Egyptiens,

(a) Voyez le chap. 29. d'Ezéchiel.

dit M. l'abbé du Rocher, ayant confervé le fouvenir de leurs anciennes traditions, & ayant perdu leurs archives qui leur avoient été enlevées, que dut-il arriver? Ayant communication avec les Juifs, qui précisément fe trouvoient captifs en Chaldée dans le même tems qu'eux (circonftance à laquelle bien des gens ne font pas attention), & voyant que les Hébreux avoient confervé un livre pour lequel ils avoient la plus grande vénération, & où ceux-ci difoient qu'on lifoit beaucoup de faits relatifs à l'Egypte, les Egyptiens enchantés de retrouver une partie de leur hiftoire dans les livres des Juifs leurs voifins, durent revendiquer ces faits comme faifant une portion de leurs annales, dont ils n'avoient confervé que des traditions vagues & confufes. Rien n'eft plus naturel que tout cela. Si l'hiftoire de France venoit à fe perdre, dans celle d'Angleterre où on lit des faits. communs à ces deux nations voisines l'une de l'autre & depuis long-tems rivales, nous recouvrerions tout l'hiftorique de nos guerres & de nos négociations, & par conféquent des morceaux importans de notre hiftoire nationale.

Les Egyptiens jugerent donc avec raison qu'ils pouvoient fuppléer à leurs archives enlevées dans la conquête, & perdues dans la transplantation qui la fuivit, en faisant extraire des livres hébreux ce qui les concernoit. Dans l'origine, ces extraits purent avoir été dirigés fidélement & fans mépri

:

fes mais ce qu'il y a de très-remarquable, & ce qui a affecté même les critiques de M. l'abbé du Rocher, c'eft que les Egyptiens n'ont copié précisément de l'EcritureSainte que les endroits où il eft parlé d'eux & de leurs pays, en laiffant fcrupuleufement de côté tout ce qui leur étoit étranger. De-là toutes les fois que l'écrivain facré interrompt fa narration fur les Egyptiens, on retrouve dans leur compilation une lacune parallele. Par exemple, depuis la fortie d'Egypte l'Ecriture ne parle plus des Egyptiens jufqu'au mariage de Salomon avec la fille d'un fouverain de ce royaume; auffi le compilateur laiffant tout l'intermédiaire, n'a pas manqué de joindre & de coudre ces deux efpaces de tems.

Ces extraits une fois rédigés, s'altérerent bientôt en paffant de main en main, & d'une langue dans une autre : altérations démontrées de la plus grande vraisemblance, par ce qui eft arrivé à d'autres hiftoires bien moins anciennes. Après quelques fiecles, cette compilation fi fouvent altérée & défigurée, ne fut plus qu'un tiflu de méprifes. Dans tout cela encore, y a-t-il quelque chofe d'inconcevable & d'invraisemblable? Or, c'eft fur de pareils extraits mis en forme de mémoires, que M. l'abbé du Rocher prétend qu'Hérodote a écrit fon hif toire d'Egypte. Obfervez que cet historien vivoit fous le regne d'Artaxerxès Mnémon, plus de cent ans après Cambyfe, & que Cambyfe eft poftérieur d'un demi-fiecle à

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