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dirois que dans cette langue, il y a des lettres radicales, & ferviles &c., qu'on ajoute & qu'on ôte au befoin les ferviles. J'omets cette petite érudition rabbinique; elle feroit un grimoire pour vous; mais je vous avouerai franchement que je ne m'attendois pas à l'objection que vous venez de me faire. Ceux qui fe font efforcés de combattre la découverte de M. l'abbé du Rocher d'une maniere férieufe, fe font bien gardés de cenfurer l'explication & la formation de ces mots : ils euffent montré leur ignorance, en reprochant à l'auteur d'intercaler des lettres dans l'hébreu.

Vous confondez les objets, parce que vous êtes déterminé à vous cabrer contre la découverte de l'auteur de l'Hiftoire véritable. Diftinguez donc quelques-unes de fes conjectures fur certains mots qu'il penfe avoir été corrompus & défigurés avec le tems, de l'explication grammaticale des termes hébreux, préfentés d'après les principes élémentaires de cette langue. Or il a l'attention de prévenir fes lecteurs, qu'il ne donne pas les conjectures qu'il hafarde en paffant, pour fondemens de fa découverte. Vous vous rappellez le rapprochement frappant de Menès & de Noë. Une des clefs du dévoilement eft THBЕ, mot hébreu qui fignifie Arche. Dans ce mot THBE, l'auteur a-t-il intercalé une feule lettre? Interrogez les Hébraïfans; ils vous attefteront que THBE veut dire Arca.

Vos préventions contre les étymologies

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me paroiffent très-injuftes. Je conviens que même de nos jours, on en a fait un étrange abus (a). Mais s'il y a des étymologies fauffes & ridicules, il eft certain qu'il y en a de très-vraies & de très-exactes. Au lieu de vous élever contre la magie des étymologies, que ne me prouviez-vous que celles employées quelquefois par M. l'abbé du Rocher, n'ont pas le moindre fondement. Dans ma premiere lettre, je vous avois fait cette invitation, & vous êtes encore à me fatisfaire. Votre inaction fur l'article eft un garant de la folidité des étymo logies employées par notre favant Auteur.

Pour vous guérir de vos préjugés contre elles, j'ai cru devoir vous apporter ici quelques exemples fenfibles.

Combien de Parifiens eux-mêmes ignorent que la place à Paris qu'on nomme aujourd'hui Maubert, tire fon nom de Mattre Albert, favant religieux, qui y don. noit fes leçons de théologie? Or, pour avoir fait avec le tems Maubert, de ces deux mots Maître Albert, il a bien fallu

(a) On pourroit citer en ce genre l'Ouvrage de Monfieur Court de Gebelin, intitulé, le Monde Primitif analyfé & comparé dans fon génie allégorique & dans les allégories auxquelles conduit ce génie. L'Abbé de Feller, Savant Auteur du Journal hift. & litt. obferve que le Monde Primitif analyfé & comparé dans fon génie allégorique de M. de Gebelin, peut faire le pendant de la clef des chofes cachées depuis le commencement du monde, Ouvrage de Guillaume Poftel, fameux par les érudites extravagances.

retrancher cinq lettres & changer L en u; pour rétablir ces mots & avoir l'étymologie, il faut de toute néceffité intercaler après l'M, cinq lettres a i tre & changer P'u en L.

Pour peu qu'on ait lu nos vieux livres gaulois, on fait que Moûtier (a) vouloit dire Monaftere. Interrogez les Bénédictins de la célebre Abbaye fituée près de Tours; ils vous attefteront que le nom de Marmoûtier vient de Martini monafterium. Ainfi pour retrouver l'étymologie de Marmoûtier, combien de lettres à intercaler! Si le monde exifte dans dix mille ans, & s'il eft auffi intraitable que vous fur les étymologies, il eft très- probable que l'antiquaire de ces tems-là, qui s'avifera de prouver que Maubert & Marmoûtier ne font que des noms fyncopés & altérés, qui viennent, l'un de Maître Albert & l'autre de Martin Moûtier (b), fera rudement perfifflé. D'après cela, jugez, Monfieur, de ce que peut l'empire des préjugés fur les pauvres têtes humaines. Pourquoi vous effaroucher contre un favant qui, pour éclaircir une langue infiniment plus ancienne que celle qu'on parloit du tems

(a) On retrouve l'altération du même mot dans le nom de l'Abbaye de Weftminster, qui veut dire Monaftere à l'oueft.

(b) Ainfi appellé, parce qu'il étoit le premier monaftere, le grand Monaftere par excellence, fondé par St. Martin (Voyez le Dictionnaire Géogr, de la Martiniere, au mot Marmoútier,)

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de S. Louis, s'eft permis de conjecturer qu'en intercalant d'après les principes de l'hébreu telle ou telle lettre dans un mot, on faifiroit le fens primitif de certains termes défigurés, & qui ont paffé dans un autre idiôme?

J'ai entendu nombre de perfonnes peu familiarifées avec les langues favantes, qui, après avoir lu l'Hiftoire véritable, voulant m'exprimer l'impreffion que leur avoit faite cette lecture, fe fervoient de cette formule, il y a bien des étymologies dans ce livrelà, comme pour fe confoler du dépit que leur caufoit une découverte auffi étonnante, qui renverfoit toutes leurs anciennes idées fur l'hiftoire d'Egypte. En réfléchif fant, fur cette maniere de juger de l'Hif toire véritable, rien ne m'a autant affecté que de voir combien les lecteurs de cette efpece prenoient le change fur ce qu'ils appelloient des étymologies. Car, lorsque je les invitois à me faire part de celles dont ils s'effarouchoient, leur réponse me convainquoit de l'erreur groffiere où ils étoient. En effet, ces étymologies prétendues, qu'ils me citoient, fe réduifoient précisément trèsfouvent à des traductions prefque littérales. Or, des traductions ne furent jamais des étymologies. Et voilà la prévention dominante contre laquelle il faut fe prémunir en lifant l'ouvrage de M. l'abbé du Rocher; c'eft de ne pas croire que lorfque, pour établir fes rapprochemens, il s'attache à dévoiler les perfonnages traveftis, il ne

donne alors que des étymologies. Prenonspour exemple le roi Afychis d'Hérodote. L'auteur de l'Hiftoire véritable prouve que c'est le nom de Salomon mis en grec. Car Salomon en hébreu veut dire Pacificus, Pacifique; or Hefychos en grec fignifie également Paifible, Tranquille. Vous avez vu Telegonus & Polygonus, traductions de Manaffes & d'Ephraim; les premiers-nés mis à mort en Egypte, traduits par Bocchoris; les fignes de Moyfe par Tuchmosis; les Hébreux, pafteurs par Sefos. Combien de gens cependant ont pris ces explications tout fimplement pour des étymologies, & ainfi de grand nombre d'autres !

On lit dans un ouvrage de Pluche, intitulé: Concorde de la géographie des différens âges, une note fur le mot Iftamboul, nom que les Turcs donnent aujourd'hui à Conftantinople. Cette note eft ainfi conque. C'est un nom corrompu de trois mots grecs, eis, ten, polin: A LA VILLE, que les gens du voisinage difoient autrefois, au lieu de dire aller A CONSTANTINOPLE (a), comme les Romains qui appelloient leur capitale Urbs par excellence, & s'exprimoient ainfi ire in urbem, pour dire aller à Rome. Cette formule y paffa avec Conftantin, qui, comme l'on

(a) V. Conc. de la Géographie des différens âges, Ouvrage pofthume de Pluche, pag. 158. A Paris chez les freres Etienne,

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