Page images
PDF
EPUB

Continuez de lire tout l'extrait que je viens de mettre fous vos yeux; & vous jugerez de la maniere dont cet hiftorien dé figure les cérémonies, les ufages les plus certains, les plus connus des Juifs; l'abftinence de la chair de cochon, il lui donne pour fondement le fouvenir de la gale dont il prétend qu'ils furent attaqués en Egypte (orta per Egyptum tabe que corpora fœdaret, traveftiffement des plaies d'Egypte): les beliers & les bœufs qu'ils immoloient dans leurs facrifices, il dit que c'eft en dérifion de JUPITER HAMMON, & pour imiter le culte du Dieu Apis, il impute à ces mêmes Juifs d'adorer un Ane en mémoire de cet animal dont il fait le conducteur qui leur indiqua le chemin dans le défert. La célébration de leur feptieme jour (le Sabbat), il en attribue l'inftitution à l'opinion de Pinfluence des fept Planetes. Il y a plufieurs autres inepties auffi ridicules dans ce récit évidemment altéré par les Païens qui haïffoient & méprifoient fouverainement les Juifs. Tacite ne fe fait pas même fcrupule de laiffer entrevoir, en parlant de ce peuple, que la prévention guidoit fa plume. Dans fa narration, le vrai eft évidemment mêlé avec le faux, preuve inconteftable que fon rapport eft très-infidele. Nous connoiffons en effet aujourd'hui avec l'affurance de la révélation divine, l'histoire & l'origine des ufages des Juifs. Le tableau cependant qu'en fait Tacite, les rend méconnoiffables.

De tout ceci concluons que fi cet écrivain, quoiqu'il ait compofé fon ouvrage dans un tems où les Juifs répandus dans l'empire romain, devoient être plus connus, & que cet auteur foit bien plus voisin de nous qu'Hérodote, fi, dis-je, Tacite a groffiérement altéré une hiftoire qui n'eft plus un myftere aujourd'hui, & l'a altérée au point de prendre le nom d'une ville pour un nom d'homme, eft-il donc fi incroyable qu'Hérodote, qui a écrit d'après des mémoires que quelquefois il fufpecte lui-même, tant les événemens qu'ils contenoient, lui paroiffoient bizarres, n'ait pu ne nous donner qu'une hiftoire traveftie d'après des extraits, & des extraits des livres faints, qui faits, dans l'origine avec exactitude, auront été tronqués & mutilés dans la fuite des fiecles? Je vous prie de méditer encore atten、 tivement fur ces obfervations faites à l'occafion des bévues de Tacite. Peut-être vous réconcilieront-elles avec M. l'abbé du Rocher.

CINQUIEME OBJECTION.

5.

Le charme de la découverte de votre auteur difparoîtra, fi vous réfléchiffez, que les hommes ont toujours été les mêmes. Toutes les hiftoires, tous les moraliftes, les caracteres de Théophrafte en fourniffent des preuves. Auffi citezmoi un Roi auquel on n'en puiffe pas comparer dix autres qui fe trouveront avoir eu plufieurs traits de ressemblance,

de maniere qu'il faudra entrer dans de grands détails pour y trouver des diffé

rences.

9

Je conçois que fi c'eft-là ce que vous entendez par des rapprochemens de traits hif toriques, & fi vous voulez en conclure que les hommes ont toujours été les mêmes, il ne vous feroit pas difficile d'établir un parallele à l'aide duquel vous me prouveriez à votre tour, que l'ambition étant la paffion dominante des Souverains, CarlesQuint, par exemple, & François premier n'ont été que le même individu, & que l'hiftoire de l'un de ces monarques a fervi à fabriquer celle de l'autre, parce que tous les deux, avides de gloire & d'agrandiffement, ont brigué avec ardeur la couronne impériale, & ambitionné la poffeffion du Milanès. Mais, par malheur pour votre opinion, cette maniere de raisonner ne vous donne pas le moindre avantage fur M. l'abbé du Rocher, parce qu'elle porte à faux. Car de ce que les caracteres de Théophrafte apprennent que tous les hommes fe reffemblent dans tous les frecles, vous en concluez que c'est de-là, c'est-à-dire, de l'analogie des traits de caractere qui leur est commune, que vient le charme de la découverte de l'auteur de l'Hiftoire véritable. Quoi les rapprochemens de cet ouvrage portent fur des reffemblances morales! Souffrez que je vous demande, Monfieur, non pas fi vous avez la l'Hiftoire véritable, mais

même fi vous l'avez entr'ouverte ? M. l'abbé du Rocher prend-il des rapports vagues, généraux, qu'on trouve chez tous les hommes de tous les pays, & qu'ils tiennent de leur nature & de leur efpece? Au contraire les traits qu'il rapproche, ne por tent-ils pas un caractere très-fingulier, trèsparticulier? Reffemblent-ils à aucun des faits confignés dans quelque hiftoire qui exifte? Ouvrez l'Histoire véritable, & vous le

verrez :

Des colombes envolées d'une ville un Roi fouillé par un Hippopotame SESOSTRIS difant qu'il a conquis un pays par fes épaules-ce Roi délivré par un dieu boiteux, & donnant aux femmes les emplois des hommes l'oifeau PHENIX embaumant fon pere-le Phénix portant le corps de fon pere fur l'autel du Soleil

des loups menant & ramenant un homms vêtu d'une robe qu'on fait & défait le même jour le roi ANYSIS fe faifant une ifte de cendres apportée fur des vaiffeaux & ainfi de mille autres traits que j'omets pour abréger. De bonne foi, pouvez-vous dire que ce font là des traits fondés fur la nature des hommes, en tant que fujets aux paffions de l'humanité ? Convenez donc qu'en me citant vos ressemblances morales, vos caracteres de Théophrafte, vous m'avez fait un argument déplorable.

Ceux qui ont un peu réfléchi fur l'ouvrage de M. l'abbé du Rocher, ont dû remarquer que les rapprochemens qu'il con

tient, forment une fuite de faits d'une nature fi étrange, qu'ils ne reffemblent à rien de ce qui conftitue les hiftoires ordinaires. Car dans celles des rois d'Egypte, écrites par Hérodote & par Diodore, l'on ne voit pas la marche des autres annales historiques, où entre néceffairement la partie de l'admi niftration civile & politique. Dans les récits faits par ces deux Ecrivains grecs, on ne lit point de defcriptions de batailles, ni de fieges; il n'y eft pas queftion de négociations, ni de traités de paix; il n'y est fait nulle mention d'un corps de législation; en un mot, on n'y trouve rien de ce qui caractérise les regnes de tous les autres fouverains. Il exifte au monde un feul Livre dans lequel fe rencontre une conformité frappante avec cette hiftoire d'Egypte, circonftance unique & merveilleufe, & vous ne voulez pas que cette derniere histoire foit la copie de l'autre! (a)

SIXIEME

(a) Ce caractere de l'histoire d'Egypte qui confifte dans le dénuement de tout ce qui conftitue la fubftance des autres hiftoires, n'a été remarqué jufqu'ici par personne, & n'en est pas moins trèsfrappant. L'hiftoire Sainte contient des batailles', des fieges &c. Celle d'Egypte ne renferme aucun de ces détails. C'eft qu'en effet la partie de l'hiftoire d'Egypte qui a été extraite de l'EcritureSainte, n'a rien de tout cela. Voilà pourquoi il faut conclure que l'une a été prise de l'autre ; cependant quand je dis que l'hiftoire d'Egypte eft conforme à celle des Livres Saints, j'entends cette conformité feulement quant à la partie détachée & copiée par les Egyptiens.

« PreviousContinue »