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pollodore, qui fignale le regne de Trajan, eft tracée la brillante expédition contre les Daces. 2. Parce que ce fait mémorable fut gravé fur la colonne, dans le tems où vivoit cet empereur, & où, quand même il n'eût plus vécu, une nation entiere, la gé nération contemporaine, auroit pu certifier qu'il avoit exifté.

En eft-il de même des rois qu'Hérodote nomme comme les auteurs des labyrinthes & des pyramides d'Egypte? Toutes les relations des voyageurs modernes atteftent qu'on n'apperçoit plus d'écriture fur ces monumens; donc on ne peut plus juger, ni du tems, ni de l'objet de ces infcriptions.

Direz-vous que les traditions nationales fuppléent au défaut des monumens gravés ou écrits? Rien de plus vrai; mais il y a une regle indifpenfable pour ces traditions. Il faut que leur origine remonte au tems du fait même qu'elles atteftent, de forte qu'entre la fource du témoignage, & l'époque de l'événement, il n'y ait pas de lacune, & que le premier anneau de la chaîne des générations, qui répetent fucceffivement le récit de l'événement, parte de la date même du fait raconté. Ainfi, pour nous fervir encore d'un exemple tiré d'un autre monument de Trajan, fuppofons qu'aucun historien Romain n'eût laiffé par écrit, que le fuperbe pont du Danube (1), fut conftruit fous le

(a) Ce pont, qui eft encore un des ouvrages étonnans de l'immertel Apollodore, fut jetté fur

regne de cet empereur & par fes ordres. Suppofons encore que la colonne de Trajan où ce monument eft représenté, ne subsistât plus, & que nous n'euffions pas les médailles où il eft gravé; croyez-vous, Monfieur, que les étrangers qui vont aujourd'hui vifiter les ruines de ce pont, qui fe voient encore fur le bords du Danube, pussent raifonnablement douter de la tradition des habitans du pays, qui diroient qu'il a été bâti fous les aufpices de ce prince?

Non fans doute, 1. Parce qu'au défaut du témoignage des hiftoriens & des autres monumens, fur l'attribution de ce pont à Trajan, il y auroit d'autres hiftoires qui attefteroient l'existence de Trajan; ce qui rendroit très-croyable, qu'il eût pu faire conftruire des ouvrages publics. 2. Parce que la génération contemporaine de ce fouverain qui vit conftruire le pont du Danube, auroit appris le fait à la fuivante, celle-ci à la troifieme, & ainfi de fuite en descendant

le Danube pour joindre la Moëfie à la Dacie (au jourd'hui la Tranfilvanie, la Valakie, la Moldavie) dont Trajan fit la conquête. Ce pont merveilleux avoit 3090 pieds de longueur. Celui de Neuilly près de Paris, qui rendra à jamais célebre le nom de Peronet, n'a que fix arches, dont chacune a 120 pieds de long. De tous les hiftoriens qui parlent du pont du Danube, Dion eft le feul, qui nous foit refté. Apollodore lui-même avoit écrit fur fon pont. Quel dommage que nous n'ayions plus cet ouvrage! Combien de chofes que nous ignorons fur les arts des anciens, & que le livre de ce grand architecte nous auroit apprises!

d'âge en âge depuis le regne de Trajan, fans qu'on pût démontrer qu'il fe fût écoulé même une année, où l'on ait attribué ce monument à un autre qu'à Trajan.

Ce raifonnement peut-il s'appliquer aux pyramides & aux labyrinthes qu'Hérodote attribue à quelques-uns des rois d'Egypte ? Ces noms que l'on apprit à l'hiftorien dans fon voyage, indiquent, il est vrai, une croyance populaire qui fubfiftoit du tems d'Hérodote; mais cette opinion formet-elle un témoignage public? Conftitue-t-elle une tradition authentique qui puisse faire déduire de la réalité des monumens, celle des rois auxquels Hérodote les attribue? Lui-même nous apprend, & on le voit par Diodore, que les opinions varioient fur le nom de ces rois, auteurs des labyrinthes & des pyramides. Cette certitude ne peut donc fe concilier avec l'uniformité du témoignage, effencielle à toute tradition nationale; la génération préfente ne fe concilioit donc pas avec la précédente, & ainfi en rétrogradant. Dès-lors le premier chaînon de la tradition ne pouvoit partir de la date précife de l'événement. Ainfi plus de tradition conftante, par conféquent plus de vraie tradition. D'ailleurs au défaut des infcriptions, nulle histoire ne peut être citée en faveur des monarques d'Egypte, qu'on nous donne comme auteurs de ces monumens; c'eft un fait, même de votre aveu, que dès le tems de Cambyfe, les Egyptiens avoient perdu leurs annales. Or,

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de Cambyfe à Hérodote, il s'étoit écoulé près d'un fiecle; remontant de Cambyfe, à l'époque des prétendus rois fous le regne defquels on a fait conftruire les pyramides, combien de fiecles ne faudroit-il pas encore ajouter? Ainfi, pour la génération Egyptienne, qui rapporta à Hérodote le nom des auteurs de ces monumens, voilà une épouvantable lacune de près de mille ans, que les Egyptiens ne pouvoient remplir d'aucun témoignage hiftorique pour étayer leur tradition verbale.

Il ne vous resteroit plus, Monfieur, qu'à m'oppofer l'hiftoire même d'Hérodote, la premiere que nous ayons parmi les auteurs profanes mais obfervez, I. Que cette histoire ne forma, avec la tradition de fon tems, qu'un feul & même témoignage hiftorique; puifque celle-là n'a été écrite que fur le rapport de l'autre. 2. Que la découverte de l'abbé du Rocher & tout mon ouvrage, vous démontrent que l'hiftoire entiere d'Egypte par Hérodote, est un plagiat fuivi des traits altérés de l'Ecriture Sainte. Dès-lors tous les rois d'Egypte, dont il parle, tombent dans le néant, & doivent difparoître des annales du monde. Par conféquent le premier anneau de la grande chaîne de la tradition que vous feriez valoir fur les pyramides, & qui pour nous, doit remonter à la date de l'histoire d'Hérodote, le plus ancien dépofitaire de cette tradition; ce premier anneau, dis - je, ne peut plus tenir à cette époque, puifque les

rois d'Egypte, dont parle cet hiftorien, n'ont jamais exifté. La génération, qui leur eût attribué les pyramides à l'époque de leurs regnes prétendus, eût donc débité un menfonge. Cette fable étoit donc la mê. me au tems d'Hérodote. Par conséquent, depuis la date de la conftruction des pyramides jufqu'à cet historien, & depuis lui jufqu'à nous, la chaîne de la tradition étoit rompue, ou plutôt il n'y avoit aucune chaîne. Donc plus de tradition.

Ainfi, Monfieur, pour le foutien de votre caufe, vous êtes dénué de toute hif toire quelconque, dont vous puiffiez fubftituer le témoignage à celui des infcriptions, qui vous manquent; & vous êtes forcé d'avouer, que les principes que j'ai fait valoir en faveur des monumens publics de Trajan, fous le point de vue où je les ai envifagés, ne peuvent convenir à ceux des Egyptiens. Appréciez maintenant votre tradition nationale fur le lac Moëris, les Labyrinthes, & les pyramides. Vous m'avez cité la colonne Trajane, je me flatte d'avoir rétorqué votre raisonnement contre vous affez heureusement.

De cette longue differtation fur ces monumens, il réfulte que la maniere dont M. l'abbé du Rocher explique l'origine de tous ces noms de rois d'Egypte, dont les décore Hérodote, eft la feule admiffible. N'eft-il pas en effet très-croyable que les Egyptiens, épris d'admiration pour les antiquités de leur patrie, & ne fachant plus

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