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deviner à quel ufage on avoit employé la terre qu'on avoit décombrée, en creufant ce lac. L'auteur de l'Hiftoire véritable, d'après les voyageurs modernes, réduit les dimenfions de ce lac à une demi-lieue de largeur, à une journée de chemin de longueur, & à douze ou quinze lieues de circuit; ce qui eft encore beaucoup, dit-il, fi ce lac a été creufé de main d'hommes. Voilà déjà Hérodote pris en défaut sur le premier article de fon récit.

En outre, eft-il certain qu'un rọi d'Egypte appellé Moëris, ait fait creufer ce lac étonnant? Eft-il bien vrai que les deux ftatues coloffales placées fur un trône & portées par les deux pyramides qui, comme l'écrit Hérodote, s'élevoient de 300 pieds au milieu du l'ac, & qui occupoient fous les eaux un pareil efpace, étoient l'image du roi Moëris, dont le lac avoit pris fon nom?

M. l'abbé du Rocher répond, que le même Hérodote, qui attefte avoir vu en Palestine des infcriptions de Sefoftris qui avoit conquis la terre par fes épaules, infcriptions copiées mot pour mot & feulement mal traduites de l'Ecriture, ne doit pas infpi rer une confiance aveugle fur ces deux ftatues; d'autant plus que, fuivant les voyageurs modernes, on n'en apperçoit plus de veftiges. Ce qu'il y a encore de fingulier, c'eft que les auteurs, tant anciens que modernes, ne font pas d'accord fur la posi tion du lac Moëris. Quoi qu'il en foit, fa

réalité n'eft point contestée par M. l'abbé du Rocher; mais, ne vous en déplaise Monfieur, il lui enleve le nom du roi Moëris, comme personnage fabuleux, & rétablit l'origine de ce nom, en faisant voir que c'est celui que portoit anciennement l'Egypte même. En effet, le nom de Moëris ou Myris, n'eft, felon notre auteur qu'une corruption du nom de Mefr ou Mefraim, qui eft celui donné à l'Egypte dans le langage de l'Ecriture, même aujourd'hui chez les Orientaux, qui le réduisent ordinairement à Mefr, & en particulier chez les Turcs, qui ont cette contrée fous leur domination. Je vous ferai grace de la difcuffion grammaticale, par laquelle M. l'abbé du Rocher établit que le nom de Moëris eft le même que celui de Mefraim, mais défiguré. Notre favant a dû vous forcer, par ce que vous en avez vu jufqu'ici à vous en rapporter un peu à lui, en fait de connoiffances des langues anciennes. Cependant je ne dois pas omettre deux obfervations que fait l'auteur de l'Hiftoire véritable établir l'identité du nom de Moëris & de Mefraim. Ea premiere, c'eft que tout l'ouvrage d'Hérodote étant un traveftiffement des faits de l'Ecriture con. cernant l'Egypte, comme je vous l'ai fuffifamment montré, il auroit été très-étonnant que les Egyptiens euffent oublié de tirer parti du nom de Mefraim leur vrai fondateur, qui eft nommé dans nos Livres faints. Or, Moëris qui fe trouve placé

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peu après Ménès, fabriqué fur Noë, & dont ils parlent comme d'un roi mémorable (rien de plus vrai, il étoit en effet leur pere), a un rapport frappant avec Mefraim, petit-fils de Noë. La feconde obfervation a quelque chofe de plus furprenant. Après un autre nom que les Egyptiens donnent à Moëris, on trouve pour fon fucceffeur immédiat un certain Kaiachos ou Choe achos, fuivant Jules Africain, Choos, fuivant Eufebe. Or on lit justement dans l'Ecriture, Chus nommé avant Mefraim fon frere. Avouez, Monfieur, qu'il faudroit être bien difficultueux pour chicanner M. l'abbé du Rocher, qui prétend que Choeachos, Choos, Chous, eft inconteftablement Chus frere de Mefraim, groffiérement écorché par les Egyptiens. Vous en croiriez bien peut-être à Eupolême, auteur païen que cite Eufebe (a), & qui dit que Chum ou Chus eft frere de Mefraim, pere des Egyptiens. Réfumons. Choos, Chous, chez les hiftoriens profanes de l'Egypte, fuit Moëris. Dans l'Ecriture, le nom de Chus fe lit également à côté de celui de Mefraim. Ce parallelisme quant à la partie chronologique, ne permet donc pas de douter que Moëris & Mefraim ne foient le même perfonnage. Celui-ci n'étant que le fondateur de la colonie d'Egypte, à qui il donna fon nom, voulezvous favoir pourquoi, fans admettre Moë

(a) Eufeb. prép. Evang. Liv. 11. chap. 17.

ris comme un roi qui ait vraiement exifté, ce nom a décoré le lac? La raison en est fort fimple. Il a été ainfi nommé, parce que c'étoit le grand lac de Mefr ou d'Egypte, fon lac par excellence, comme on dit, le lac de Geneve, le lac de Conftance.

Paffons au labyrinthe. L'hiftoire d'Egypte fait mention de plufieurs. Elle en attribue un au roi Labarès, un autre au roi Marus, dont Diodore parle ainfi (a),

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Après la mort d'Atifanès, les Egyptiens étant redevenus maîtres de leur ,, royaume, éleverent fur le trône un roi » de leur nation, appellé MENDES, & » par d'autres MARUS ou MARRUS. Celuici ne fit aucune expédition militaire ; mais il se construifit un tombeau appellé " labyrinthe, moins admirable par la gran» deur de l'ouvrage, qu'inimitable par l'art » fingulier avec lequel tout y étoit dif pofé. "

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Enfin un troifieme labyrinthe étoit celui qu'on difoit avoir été conftruit par les douze rois. Hérodote (b) en fait la defcription d'après l'édifice même, qui, dit-il, exiftoit de fon tems. Il rapporte qu'il étoit partagé en douze grandes cours. Il y compte juf qu'à trois mille cinq cens chambres dans le haut, qu'il affure avoir vues, & autant dans le bas qu'on ne voulut pas lui laifJer voir; parce qu'on y nourriffoit les

Diod. L. 1. n. 39.
Hérod. 11. 148.

crocodiles facrés. Cet historien ajoute, qu'il ne pouvoit revenir de fon étonnement, à la vue de toutes les iffues & les détours de cet immenfe édifice.

3.9

رو

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Je ne prétends nullement, dit M. l'abbé du Rocher, révoquer en doute que les Egyptiens aient conftruit de pareils édi"" fices, puifqu'il y en a encore des reftes ,, qui exiftent; mais outre qu'ils varient », eux-mêmes fur leurs fondateurs, toute leur hiftoire, comme on le voit de plus », en plus, n'étant qu'un extrait de l'Ecri"ture qui n'a pas daigné parler de leurs » labyrinthes, on peut croire que fr " quelque convenance, ils y auront cru 99 retrouver les auteurs de ces monumens » qu'ils ne connoiffoient plus, dans le tems » que leur hiftoire a été composée (V. Hift. vérit. tom. 3, pages 319, 328.)

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כל

Cette réflexion du favant auteur me paroit très-judicieufe. C'eft un fait qui n'eft plus douteux, que toute l'hiftoire d'Egypte eft une copie traveftie de l'Ecriture. Si donc elle eût fait mention des labyrinthes de leur pays, les Egyptiens n'euffent pas manqué de traveftir auffi cette partie de fon récit, & dès-lors ils euffent métamorphofé leurs propres labyrinthes en quelque autre édi fice bifarre, tout comme nous les avons vus, fur la reffemblance du nom de phanech, faire de Jofeph l'oifeau phénix, & du paffage des Hébreux (Abrim) à travers la mer-rouge, la grande ville d'Abaris, qui avoit de grandes murailles des deux cô

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