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vans croyoient fermement que l'hiftoire de 'Ifle Atlantide donnée par Platon dans le Timée & le Critias, étoit une hiftoire véritable; depuis que M. Baër (a) a démontré que ce morceau de Platon n'étoit qu'une altération de Moïfe, & que cette Atlantide n'avoit jamais exifté, mais fe réduifoit au fond à une defcription traveltie de la Judée, en lit-on avec moins de plaifir le divin Platon? A ce fujet, permettez que je vous faffe obferver combien le public eft injufte & inconféquent dans Les jugemens & fa conduite. Lifez M. Baër, & vous vous convaincrez par vous-même, que pour établir fa découverte concernant l'Atlantique il fe fert, comme a fait M. l'abbé du Rocher, des rapprochemens de traits tirés de Moïfe & de Platon. Néanmoins la découverte du favant Suédois a été accueillie comme démontrée par un grand nombre de favans très-éclairés. Pourquoi donc l'auteur de l'Hiftoire véritable qui fe fert exactement des mêmes procédés, ne mériteroit-il pas le même traitement? Eft-il une feule objection qui ait pu tenir contre la maffe des preuves dont ce

(a) Voyez Elai hiftorique & critique Jur les Atlantiques, dans lequel on fe propofe de faire voir la conformité qu'il y a entre l'hiftoire de ce peuple & celle des Hébreux, par Fréderic-Charles Baër, au mônier de la chapelle-royale de Suede à Paris, profeffeur dans l'univerfité de Strasbourg, membre de l'académie royale de Suede, &c.

favant étonne fes lecteurs, & accable fes adverfaires?

DIX-NEUVIEME OBJECTION.

19. Votre Auteur s'efforce d'établir que tout ce qu'on lit dans l'hiftoire des anciens Rois d'Egypte, eft une altération fuivie des événemens & des perfonnages de l'Ecriture- Sainte. Comment faire accorder ce fyftême fi ulier avec ce que raconte Herodote du LAC MOERIS, du LABYRINTHE, & des fameufes PYRAMIDES de ce pays? Car ces ouvrages portoient le nom des Rois qui les avoient fait conftruire. L'exif tence de ces princes Egyptiens doit donc être placée au même degré de réalité que celle des monumens dont ils furent les auteurs. En effet, eft-il poffible de concevoir que les Egyptiens montraffent, par exemple, le lac MOERIS, & qu'Hérodote, qui l'avoit vu & qui ATTESTE L'AVOIR VU, ait écrit une vérité, quant à l'existence de ce lac, & n'ait donné qu'un mot travesti de l'Ecriture, quant au nom du lac? Il en eft de même des pyramides. Hérodote en parle & cite le nom des Rois CHÉOPS & CHEPHREN qui les firent bâtir. Il a écrit d'après le témoignage de fes yeux. En fait de monumens publics d'une grande nation, où une tradition toujours foutenue d'âge en àge supplée

aux hiftoires écrites: les chofes & les noms font individuellement vrais d'une vérité physique. Quel homme oferoit imprimer, en parlant de la colonne Trajane, qu'elle exifte en effet à Rome, mais que le nom de Trajan dont elle eft décorée, n'eft qu'un mot altéré, par exemple, des anciens livres Sybyllins? Ainfi l'on peut presser M. l'abbé du Rocher par ce raifonnement. Le récit d'Hérodote fur le lac MOERIS, le LABYRINTHE & les PYRAMIDES d'Egypte, fait partie de fon hiftoire. S'il eft impoffible que fon récit hiftorique fur ces monumens authentiques foit une altération de l'Ecriture-Sainte, dèslors la découverte de votre Auteur croule de fond en comble; puifque, dans fes principes, s'ils font conféquens avec eux-mêmes, les Egytiens ont dû écrire toute leur hiftoire fur les mêmes traits de l'Ecriture. Or, il eft abfurde d'avàncer que l'hiftoire Egyptienne foit fabuleufe quant à ces monumens; donc elle ne l'eft pas plus fur les noms des Rois qui les ont fait conftruire; parce que la véracité de leur hiftoire fur un point de fait oculaire ne peut être morcelée. Delà naît ce dilemme atterrant. Ou M. l'abbé du Rocher nie la réalité de ces monumens d'Egypte, ou il ne les nie pas. S'il les révoque en doute, il rejette la certitude historique qui

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émane du témoignage des fens. S'il admet les monumens, il est forcé d'admettre leurs auteurs comme ayant également exifté, puisque leur existence tient à ces monumens. Donc Hérodote a écrit une véritable hiftoire, au moins quant à cette partie. Donc il eft faux que TOUTE fon hiftoire d'Egypte, DEPUIS MENES JUSQU'A AMASIS, ait été compilée & traveftie de l'Ecriture puifque MOERIS auteur du lac, & CHEOPS & CHEPHREN qui firent les pyramides, entrent dans la longue chaîne de ces Rois Egyptiens. Voilà comme par un argument bien fimple on peut faire évanouir tout l'ouvrage de M. l'abbé du Rocher.

C'eft précisément là où je vous attendois, Monfieur; j'étois bien für que vous vous rabbattriez fur ces beaux monumens. La tête exaltée par le fouvenir de toutes ces merveilles qui exciterent l'enthousiasme des écrivains de l'antiquité, & qui raviffent encore l'admiration des modernes, il est naturel que dans la crife où fe trouve l'hif toire d'Egypte, vous faffiez tous vos efforts pour fauver au moins le LAC MOERIS, le LABYRINTHE & les PYRAMIDES tant vantées de ce pays. Mais ne vous courroucez pas contre l'abbé du Rocher; il n'enleve pas à l'Egypte fes monumens. Il n'a garde fans doute de toucher à leur existence; máis quant à celle de leurs auteurs, MOERIS,

CHÉOPS & CHEPHREN, il la rejette, parce que dans ces noms il découvre des traces fenfibles des événemens & des personnages de l'Ecriture. J'ai donc encore une fâcheufe nouvelle à vous annoncer, c'eft que ces trois individus qu'Hérodote a pris pour trois Majeftés très-Egyptiennes, ne font réellement que trois noms traveftis de nos Livres faints. Il n'eft affurément pas difficile de concilier ces altérations avec la réalité des monumens dont on gratifie ces fouverains. Cette difcuffion amenera naturellement la folution de votre longue objection.

Voyons d'abord ce qui regarde le lac que le roi Moëris, fuivant l'hiftoire Egyptienne, fit creufer pour la décharge des eaux du Nil, lorfque l'inondation feroit trop grande, & pour remplir les canaux, lorfqu'elle ne feroit pas affez confidérable.

C'étoit, au rapport d'Hérodote, l'ou vrage le plus confidérable qu'on ait jamais entrepris. Faut-il en croire cet hiftorien, fur tout ce qu'il en raconte ? Il dit qu'il l'a vu. Sur cet article on ne peut le dé mentir; mais il donne à ce lac trois mille fix cens ftades de circonférence. M. l'abbé du Rocher oppofe à ce récit, qu'à prendre le plus petit ftade, évalué par M. d'Anville à cinquante toifes, le lac eût eu plus de foixante lieues, ce qui n'eft point facile à concevoir pour un lac creufé de main d'hommes jufqu'à cinquante braffes de profondeur. Auffi l'on ne peut s'empêcher de fourire fur l'embarras d'Hérodote, qui ne pouvoit

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