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CHAPITRE

I I.

De l'éducation dans les Monarchies.

СЕ

E n'eft point dans les maifons publiques où l'on inftruit l'enfance, que l'on reçoit dans les monarchies la principale éducation; c'est lorsque l'on entre dans le monde, que l'éducation en quelque façon commence. Là eft l'école de ce que l'on appelle l'honneur, ce maître univerfel nous conduire.

qui doit par tout

C'est là que l'on voit & l'on voit & que l'on entend toujours dire trois chofes; qu'il faut mettre dans les vertus une certaine nobleffe, dans les mœurs une certaine franchife, dans les manieres une certaine politeffe.

Les vertus qu'on nous y montre font toujours moins ce que l'on doit aux autres, que ce que l'on fe doit à foi-même : elles ne font pas tant ce qui nous appelle vers nos concitoyens, que ce qui nous en diftingue.

On n'y juge pas les actions des hommes comme bonnes, mais comme belles; comme juftes, mais comme grandes;

comme raisonnables, mais comme extraordinaires.

Dès que l'honneur y peut trouver quelque chofe de noble, il eft ou le juge qui les rend légitimes, ou le fophifte qui les justifie.

Il permet la galanterie, lorfqu'elle eft unie à l'idée des fentimens du cœur, ou à l'idée de conquête : Et c'est la vraie raifon pour laquelle les mœurs ne font jamais fi pures dans les monarchies, que dans les gouvernemens républicains.

Il permet la rufe, lorfqu'elle eft jointe à l'idée de grandeur de l'efprit ou de la grandeur des affaires; comme dans la politique, dont les fineffes ne l'offenfent pas.

Il ne défend l'adulation, que lorfqu'elle eft féparée de l'idée d'une grande fortune, & n'eft jointe qu'au fentiment de fa propre baffeffe.

A l'égard des mœurs, j'ai dit que l'éducation des monarchies doit y mettre une certaine franchise. On y veut donc de la vérité dans les difcours. Mais eftce par amour pour elle ? point du tout. On la veut, parce qu'un homme qui est accoutumé à la dire, paroît être hardi & libre. En effet, un tel homme femble ne

dépendre que des chofes, & non pas de la maniere dont un autre les reçoit. C'est ce qui fait qu'autant qu'on y recommande cette efpece de franchise, autant on y méprife celle du peuple qui n'a que la vérité & la fimplicité pour objet.

Enfin, l'éducation dans les monarchies exige dans les manieres une certaine politeffe. Les hommes nés pour vivre ensemble, font nés auffi pour fe plaire; & celui qui n'obferveroit pas les bienféances, choquant tous ceux avec qui il vivroit, fe décréditeroit au point qu'il deviendroit incapable de faire aucun bien.

Mais ce n'eft pas d'une fource fi pure que la politeffe a coutume de tirer fon origine. Elle naît de l'envie de se distinguer. C'eft par orgueil que nous fommes polis nous nous fentons flattés d'avoir des manieres qui prouvent que nous ne fommes pas dans la baffeffe, & que nous n'avons pas vécu avec cette forte de gens que l'on a abandonnés dans tous les âges.

Dans les monarchies, la politeffe eft naturalifée à la cour. Un homme exceffivement grand, rend tous les autres

petits. De-là les égards que l'on doit à tout le monde; de-là naît la politeffe, qui flatte autant ceux qui font polis, que ceux à l'égard de qui ils le font; parce qu'elle fait comprendre qu'on eft de la cour, ou qu'on eft digne d'en être.

L'air de la cour confifte à quitter fa grandeur propre pour une grandeur empruntée. Celle-ci flatte plus un courtifan que la fienne même. Elle donne une certaine modeftie fuperbe qui fe répand au loin, mais dont l'orgueil diminue insenfiblement à proportion de la distance où l'on eft de la fource de cette grandeur.

On trouve à la cour une délicateffe de goût en toutes chofes, qui vient d'un ufage continuel des fuperfluités d'une grande fortune, de la variété, & furtout de la laffitude des plaifirs, de la multiplicité, de la confufion même des fantaifies, qui, lorfqu'elles font agréables, y font toujours reçues.

C'eft fur toutes ces chofes que l'éducation fe porte, pour faire ce que l'on appelle l'honnête-homme, qui a toutes les qualités & toutes les vertus que l'on demande dans ce gouvernement.

Là, l'honneur fe mêlant par-tout, entre dans toutes les façons de penfer

& toutes les manieres de fentir, & dirige même les principés.

Cet honneur bizarre fait que les vertus ne font que ce qu'il veut, & comme il les veut; il met de fon chef des regles à tout ce qui nous eft prefcrit; il étend ou il borne nos devoirs à fa fantaisie, foit qu'ils aient leur fource dans la religion dans la politique, ou dans la morale.

Il n'y a rien dans la monarchie que les lois, la religion & l'honneur prefcrivent tant que l'obéiffance aux volontés du prince: mais cet honneur nous dicte, que le prince ne doit jamais nous prefcrire une action qui nous déshonore, parce qu'elle nous rendroit incapable de le fervir.

Crillon refufa d'affaffiner le duc de Guife, mais il offrit à Henri III de fe battre contre lui. Après la Saint-Barthelemi, Charles IX ayant écrit à tous les gouverneurs de faire maffacrer les huguenots, le vicomte Dorte qui commandoit dans Bayonne, écrivit au Roi (a): «SIRE, je n'ai trouvé parmi les habi>> tans & les gens de guerre, que de » bons citoyens, de braves foldats, & » pas un bourreau: ainfi, eux & moi (a) Voyez l'hiftoire de d'Aubigné,

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