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ITRE II I.

Que la pluralité des femmes dépend beaucoup de leur entretien.

UOIQUE, dans les pays où la polygamie eft une fois établie, le grand nombre des femmes dépende beaucoup des richeffes du mari; cependant on ne peut pas dire que ce foient les richeffes qui faffent établir dans un état la polygamie la pauvreté peut faire le même effet, comme je le dirai en parlant des fauvages.

La polygamie eft moins un luxe, que l'occafion d'un grand luxe chez des nations puiffantes. Dans les climats chauds, on a- moins de befoins (1): il en conte moins pour entretenir une femme & des enfans. On y peut donc avoir un plus grand nombre de femmes.

CHAPITRE IV.

De la polygamie. Ses diverfes circonf

tances.

UIVANT les calculs que l'on fait en divers endroits de l'Europe, il y naît plus de garçons que de filles (2): au contraire, les relations de.

(1) A Ceylan, un homme vit pour dix fous par mois, on n'y mange que du riz & du poitlon. Recueil des voyages qui ont fervi à l'établissement de la compagnie des Indes, tom. II, part. I.

(2) M. Arbutnot trouve qu'en Angleterre le nombre

l'Afie (3) & de l'Afrique (4) nous difent qu'il y nait beaucoup plus de filles que de garçons. La loi d'une feule femme en Europe, & celle qui en permet plufieurs en Afie & en Afrique, ont donc un certain rapport au climat.

Dans les climats froids de l'Afie, il naît, comme en Europe, plus de garçons que de filles. C'eft, difent les Lamas (5) la raifon de la loi qui, chez eux, permet à une femme d'avoir plufieurs maris (6).

Mais je ne crois pas qu'il y ait beaucoup de pays où la difproportion foit affez grande, pour qu'elle exige qu'on y introduife la loi de plufieurs femmes ou la loi de plufieurs maris. Cela veut dire feulement que la pluralité des femmes, ou même la pluralité des hommes, s'éloigne moins de la nature dans de certains pays que dans d'autres.

J'avoue que fi ce que les relations nous difent étoit vrai, qu'à Bantam (7) il y a dix femmes pour un homme, ce feroit un cas bien particulier de la polygamie.

Dans tout ceci, je ne juftifie pas les ufages; mais j'en rends les raifons.

des garçons excede celui des filles on a eu tort d'en conclure que ce fut la même chofe dans tous les climats.

(3) Voyez Kempfer, qui nous rapporte un dénombrement de Méaco, où l'on trouve 182072 mâles, & 223573 femelles.

(4) Voyez le voyage de Guinée de M. Smith, partie feconde, fur le pays d'Anté.

(5) Du Halde, Mém. de la Chine, tom. IV, p. 46. (6) Albuzeïr-el-haffen, un des deux mahométans Arabes qui allerent aux Indes & à la Chine au neuvieme fiècle, prend cet ufage pour une prostitution. C'est que rien ne choquoit tant les idées mahoméranes. (7) Recueil des voyages qui ont fervi à l'établiffement de la compagnie des Indes, tom. I.

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CHAPITRE V.

Raifon d'une loi du Malabar.

Sur la côte du Malabar, dans la cafte des Naï

res (1), les hommes ne peuvent avoir qu'une femme, & une femme au contraire peut avoir plufieurs maris. Je crois qu'on peut découvrir l'origine de cette coutume. Les Naires font la cafte des nobles, qui font les foldats de toutes ces nations. En Europe, on empêche les foldats de fe marier: dans le Malabar, où le climat exige davantage, on s'eft contenté de leur rendre le mariage auffi peu embarraffant qu'il eft poffible on a donné une femme à plufieurs hommes; ce qui diminue d'autant l'attachement pour une famille & les foins du ménage, & laiffe à ces gens l'efprit militaire.

CHAPITRE V I.

De la polygamie en elle-même.

REGARDER la polygamie en général, indé

Apendamment des circonstances qui peuvent

la faire un peu tolérer, elle n'eft point utile au

(1) Voyage de Français Pyrard, ch. xxvII. Lettres édifiantes, troisieme & dixieme recueil fur le Malléa mi dans la côte du Malabar. Cela eft regardé comine un abus de la profeffion militaire: &, comme dit Pyrard, une femme de la cafte des Bramines n'épouseroit jamais plufieurs maris.

genre humain, ni à aucun des deux fexes, foit à celui qui abufe, foit à celui dont on abufe. Elle n'est pas non plus utile aux enfans ; & un de fes grands inconvéniens, eft que le pere & la mere ne peuvent avoir la même aflection pour leurs enfans; un pere ne peut pas aimer vingt enfans comme une mere en aime deux. C'eft bien pis, quand une femme a plufieurs maris; car, pourlors, l'amour paternel ne tient plus qu'à cette opinion, qu'un pere peut croire, s'il veut, ou que les autres peuvent croire, que de certains enfans lui appartiennent.

On dit que le roi de Maroc a, dans fon férail, des femmes blanches, des femmes noires, des femmes jaunes. Le malheureux! à peine a-t-il befoin d'une couleur.

La poffeffion de beaucoup de femmes ne prévient pas toujours les defirs (1) pour celle d'un autre ; il en eft de la luxure comme de l'avarice, elle augmente fa foif par l'acquifition des tréfors.

Du temps de Juftinien, plufieurs philofophes gênés par le chriftianifme, fe retirerent en Perfe auprès de Cofroës. Ce qui les frappa le plus, dit Agathias (2), ce fut que la polygamie étoit permife à des gens qui ne s'abftenoient pas même de l'adultere.

La pluralité des femmes, qui le diroit ! mene à cet amour que la nature défavoue: c'est qu'une diffolution en entraîne toujours une autre. A la révolution qui arriva à Conftantinople, lorsqu'on dépofa le fultan Achmet,les relations difoient que le peuple ayant pillé la maison du chiaya, on n'y

(1) C'eft ce qui fait que l'on cache avec tant de foin les femmes en orient.

(2) De la vie des actions de Juftinien, pag. 403.

avoit pas trouvé une feule femme. On dit qu'à Alger (1) on eft parvenu à ce point, qu'on n'en a pas dans la plupart des férails.

CHAPITRE VI I.

De l'égalité du traitement, dans le cas de la pluralité des femmes.

DE

E la loi de la pluralité des femmes, fuit celle de l'égalité du traitement. Mahomet qui en permet quatre, veut que tout foit égal entre elles; nourriture, habits, devoir conjugal. Cette loi eft auffi établie aux Maldives (2), où on peut époufer trois femmes.

La loi de Moyfe (3) veut même que fi quelqu'un a marié fon fils à une efclave, & qu'enfuite il époufe une femme libre, il ne lui ôte rien des vêtemens, de la nourriture & des devoirs. On pouvoit donner plus à la nouvelle épouse, mais il falloit que la premiere n'eut pas moins.

(3) Laugier de Taffy, Hiftoire d'Alger.
(2) Voyages de François Pyrard, chap. XII,
(3) Exod, chap. xx1, vers. 10 & 11.

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