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gouvernement civil, mais d'un vice ou d'une imperfection du gouvernement civil. Elles ne dérivoient point de l'équité des loix civiles, puifqu'elles étoient contraires aux principes des loix civiles. Elles étoient proprement fondées fur le principe de la guerre, à cela près que c'étoit dans le fein de l'état qu'étoient les ennemis. Le fénatus-confulte Sillanien dérivoit du droit des gens, qui veut qu'une fociété, même imparfaite, fe conferve.

C'eft un malheur du gouvernement, lorfque la magiftrature fe voit contrainte de faire ainfi des loix cruelles. C'est parce qu'on a rendu l'obéiffance difficile, que l'on eft obligé d'aggraver la peine de la défobéiffance, ou de foupçonner la fidélité. Un législateur prudent prévient le malheur de devenir un légiflateur terrible. C'est parce que les efclaves ne purent avoir chez les Romains de confiance dans la loi, que la loi ne put avoir de confiance en eux.

CHAPITRE XVII.

Réglemens à faire entre le maltre & les efclaves.

La nourriture & fon vêtement: cela doit être

E magiftrat doit veiller à ce que l'esclave ait

réglé par la loi.

Les loix doivent avoir attention qu'ils foient foignés dans leurs maladies & dans leur vieilleffe. Claude (1) Ordonna que les cfclaves qui

(1) Xiphilin, in Claudio.

auroient été abandonnés par leurs maîtres étant malades, feroient libres s'ils échappoient. Cette loi affuroit leur liberté; il auroit encore fallu affurer leur vie.

Quand la loi permet au maître d'ôter la vie à fon efclave, c'eft un droit qu'il doit exercer comme juge, & non pas comme maître : il faut que la loi ordonne des formalités qui ôtent le foupçon d'une action violente.

Lorfqu'à Rome il ne fut plus permis aux peres de faire mourir leurs enfans, les magiftrats infligerent (1) la peine que le pere vouloit prefcrire. Un ufage pareil entre le maître & les efclaves feroit raisonnable dans les pays où les maîtres ont droit de vie & de mort.

La loi de Moyfe étoit bien rude: Si quel"qu'un frappe fon efclave, & qu'il meure fous

fa main, il fera puni: mais sil furvit un jour * ou deux, il ne le fera pas, parce que c'eft fon "argent . Quel peuple, que celui où il falloit que la loi civile fe relachà, de la loi naturelle !

Par une loi des Grecs (2), les esclaves trop rudement traités par leurs maîtres, pouvoient demander d'être vendus à un autre. Dans les derniers temps, il y eut à Rome une pareille loi (3). Un maître irrité contre fon efclave, & un efclave irrité contre fon maître, doivent être féparés.

Quand un citoyen maltraite l'efclave d'un autre, il faut que celui-ci puiffe aller devant le juge. Les loix (4) de Platon & de la plupart des

(1) Voyez la loi III, au code de patriâ poteftate, qui eft de L'empereur Alexandre.

(2) Plutarque, de la fuperftition.

(3) Voyez la conftitution d'Antonin Pie, Inftitut. liv. 1, tit. 7.

(4) Livre IX.

peuples, ôtent aux efclaves la défenfe naturelle: il faut donc leur donner la défenfe civile.

A Lacédémone, les efclaves ne pouvoient avoir aucune juflice contre les infultes ni contre les injures. L'excès de leur malheur étoit tel, qu'ils n'étoient pas feulement efclaves d'un citoyen, mais encore du public, ils appartenoient à tous & à un feul. A Rome, dans le tort fait à un efclave, on ne contd roit que l'intérêt du maitre (1). On confondoit, fous l'action de la loi Aquilienne, la bleffure faite à une bête, & celle faite à un efclave; on n'avoit attention qu'à la diminution de leur prix. A Athenes (2), or puniffoit févérement, quelquefois même de mort, celui qui avoit maltraité l'efclave d'un autre. La loi d'Athenes, avec raifon, ne vouloit point ajouter la perte de la fûreté à celle de la liberté.

CHAPITRE XVI I I.

Des affranchiffemens.

N fent bien que quand, dans le gouvernement républicain, on a beaucoup d'efclaves, il faut en affranchir beaucoup. Le mal eft que, fi on a trop d'efclaves, ils ne peuvent être contenus; fi l'on a trop d'affranchis, ils ne peuvent pas vivre, & ils deviennent à charge à la république; outre que celle-ci

(1) Ce fut encore fouvent l'efprit des loix des peuples qui fortirent de la Germanie, comme on le peut voir dans leurs codes.

(2) Demofthenes, orat, contrà Mediam, p. 610, édit de Francfort de l'an 1604.

peut être également en danger de la part d'un trop grand nombre d'affranchis, & de la part d'un trop grand nombre d'efclaves. Il faut donc que les loix aient l'œil fur ces deux inconvéniens.

Les diverfes loix & les fénatus - confultes qu'on fit à Rome pour & contre les esclaves, tantôt pour gêner, tantôt pour faciliter les affranchiffemens, font bien voir l'embarras où l'on fe trouva à cet égard. Il y eut même des temps où l'on n'ofa pas faire des loix. Lorfque fous Néron (1) on demanda au fénat qu'il fût permis aux patrons de remettre en fervitude les affranchis ingrats, l'empereur écrivit qu'il falloit juger les affaires particulieres, & ne rien ftatuer de général.

Je ne faurois guere dire quels font les réglemens qu'une bonne république doit faire làdeffus cela dépend trop des circonftances. Voici quelques réflexions.

Il ne faut pas faire tout-à-coup, & par une loi générale, un nombre confidérable d'affranchiffemens. On fait que chez les Volfiniens (2), les affranchis devenus maîtres des fuffrages, firent une abominable loi, qui leur donnoit le droit de coucher les premiers avec les filles qui fe marioient à des ingénus.

Il y a diverfes manieres d'introduire infenfiblement de nouveaux citoyens dans la république. Les loix peuvent favorifer le pécule, & mettre les efclaves en état d'acheter leur liberté; elles peuvent donner un terme à la fervitude, comme celles de Moyfe, qui avoient

(1) Tacite, Annal. liv. XIII.

(2) Supplément de Freinshemius, deuxieme décade, liv. Y.

borné à fix ans celle des efclaves Hébreux (1). Il eft aifé d'affranchir toutes les années un certain nombre d'efclaves, parmi ceux qui, par leur âge, leur fanté, leur induftrie, auront le moyen de vivre. On peut même guérir le mal dans fa racine: comme le grand nombre d'efclaves eft lié aux divers emplois qu'on leur donne; transporter aux ingénus une partie de ces emplois, par exemple, le commerce ou la navigation, c'eft diminuer le nombre des efclaves.

Lorfqu'il y a beaucoup d'affranchis, il faut que les loix civiles fixent ce qu'ils doivent à leur patron, ou que le contrat d'affranchiffement fixe ces devoirs pour elles.

On fent que leur condition doit être plus favorifée dans l'état civil que dans l'état politique; parce que, dans le gouvernement même populaire, la puiffance ne doit point tomber entre les mains du bas peuple.

A Rome, où il y avoit tant d'affranchis, les loix politiques furent admirables à leur égard. On leur donna peu, & on ne les exclut presque de rien. Ils eurent bien quelque part à la législation; mais ils n'influoient prefque point dans les réfolutions qu'on pouvoit prendre. Ils pouvoient avoir part aux charges & au facerdoce même (2); mais ce privilege étoit en quelque façon rendu vain par les défavantages qu'ils avoient dans les élections. Ils avoient droit d'entrer dans la milice; mais, pour être foldat, il falloit un certain cens. Rien n'empêchoit les affranchis (3) de s'unir par mariage avec les familles ingénues; mais il ne leur étoit pas per

(1) Exod. chap. XXI.

(2) Tacite, Annal. liv. III,

(3) Harangu: d'Auguste, dans Dion, Ilv. LVI.

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