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par le mérite reconnu du fucceffeur. Il femble qu'ils out penfé que chaque citoyen devoit fe repofer fur le bon naturel des autres.

Ils donnent aifément la liberté (1) à leurs efclaves; ils les marient; ils les traitent comme leurs enfans (2): heureux climat qui fait naître la candeur des mours, & produit la douceur des loix !

(1) Lettres édifiantes, neuvieme recueil, p. 378. (2) J'avois penfé que la douceur de l'esclavage aux Indes avoit fait dire a Diodore, qu'il n'y avoit dans ce pays ni maitre ni efclave: mais Diodore a attribué à toute l'Inde, ce qui, felon Strabon, liv. XV, n'étoit propre qu'à une nation particuliere.

LIVRE X V.

Comment les Loix de l'esclavage civil ont du rapport avec la nature du climat.

CHAPITRE PREMIER.

De l'esclavage civil.

L'ECLAVAGE, qui rend un homme

'ESCLAVAGE, proprement dit, eft l'éta

tellement propre à un autre homme, qu'il eft le maitre abfolu de fa vie & de fes biens. 11 n'eft pas bon par fa nature; il n'eft utile ni au maitre ni à l'efclave: à celui-ci, parce qu'il ne peut rien faire par vertu ; à celui-là, parce qu'il contracte avec fes efclaves toutes fortes de mauvaises habitudes, qu'il s'accoutume infenfiblement à manquer à toutes les vertus morales, qu'il devient fier, prompt, dur, colere, voluptueux, cruel.

Dans les pays defpotiques où l'on eft déjà fous l'esclavage, politique, l'efclavage civil eft plus tolérable qu'ailleurs. Chacun y doit être affez content d'y avoir a fubfiftance & la vie. Ainfi la condition de l'efclave n'y eft guere plus à charge que la condition du fujet.

Mais dans le gouvernement monarchique,

où il eft fouverainement important de ne point abattre ou avilir la nature humaine, il ne faut point d'efclave. Dans la démocratie où tout le monde eft égal, & dans l'ariftocratie où les loix doivent faire leurs efforts pour que tout le monde foit auffi égal que la nature du gouvernement peut le permettre des efclaves font contre Pefprit de la conftitution; ils ne fervent qu'à donner aux citoyens une puiffance & un luxe qu'ils ne doivent point avoir.

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CHAPITRE II.

Origine du droit de l'esclavage, chez les jurifconfultes Romains.

ON

N ne croiroit jamais que c'eût été la pitié qui eût établi l'efclavage, & que pour cela elle s'y fût prife de trois manieres (1).

Le droit des gens a voulu que les prifonniers fuffent efclaves, pour qu'on ne les tuat pas. Le droit civil des Romains permit à des débiteurs, que leurs créanciers pouvoient maltraiter, de fe vendre eux-mêmes : & le droit naturel a voulu que des enfans, qu'un pere efclave ne pouvoit plus nourrir, fuffent dans l'esclavage comme leur pere.

Ces raifons des jurifconfultes ne font point fenfées. Il eft faux qu'il foit permis de tuer dans la guerre autrement que dans le cas de néceffité mais dès qu'un homme en a fait un autre efclave, on ne peut pas dire qu'il ait été dans la né❤

(3) Inftitut de Juftinien, liv. Is

ceffité

ceffité de le tuer, puisqu'il ne l'a pas fait. Tout le droit que la guerre peut donner fur les cap. tifs, eft de s'affurer tellement de leur perfonne, qu'ils ne puiffent plus nuire. Les homicides faits de fang froid par les foldats, & après la chaleur de l'action, font rejettés de toutes les nations (1) du monde.

20. Il n'eft pas vrai qu'un homme libre puiffe fe vendre. La vente fuppofe un prix: l'efclave fe vendant, tous fes biens entreroient dans la propriété du maître; le maître ne donneroit donc rien, & l'efclave ne recevroit rien. I auroit un pécule, dira-t-on: mais le pécule eft acceffoire à la perfonne. S'il n'est pas permis de fe tuer, parce qu'on fe dérobe à sa patrie, il n'eft pas plus permis de fe vendre. La liberté de chaque citoyen eft une partie de la liberté publique. Cette qualité dans l'état populaire eft même une partie de la fouveraineté. Vendre fa qualité de citoyen eft un acte (2) d'une telle extravagance, qu'on ne peut pas la fuppofer dans un homme. Si la liberté a un prix pour celui qui l'achete, elle et fans prix pour celui qui la vend. La loi civile, qui a permis aux hommes le partage des biens, n'a pu mettre au nombre des biens une partie des hommes qui devoient faire ce partage. La loi civile, qui reftitue fur les contrats qui contiennent quelque léfion, ne peut s'empêcher de reftituer contre un accord qui contient la léfion la plus énorme de toutes.

(1) Si l'on ne veut citer celles qui mangent leucs prifonniers.

(1) Je parle de l'esclavage pris à la rigueur, tel. qu'il étoit chez les Romains, & qu'il eft établi dans nos colonies.

Tome II.

E

La troifieme maniere, 'c'eft la naiffance. Celle-ci tombe avec les deux autres. Car fi un homme n'a pu fe vendre, encore moins a-t-il pu vendre fon fils qui n'étoit pas né: fi un prifonnier de guerre ne peut être réduit en fervitude, encore moins fes enfans..

Ce qui fait que la mort d'un criminel eft une chofe licite, c'est que la loi qui le punit, a été faite en fa faveur. Un meurtrier, par exemple, a joui de la loi qui le condamne; elle lui a confervé la vie à tous les inftans: il ne peut donc pas réclamer contre elle. Il n'en eft pas de même de l'efclave: la loi de l'efclavage n'a jamais pu lui être utile; elle eft dans tous les cas contre lui, fans jamais être pour lui; ce qui eft contraire au principe fondamental de toutes les fociétés.

On dira qu'elle a pu lui être utile, parce que le maître lui a donné la nourriture. Il faudroit donc réduire l'efclavage aux perfonnes incapables de gagner leur vie. Mais on ne veut pas de ces efclaves-là. Quant aux enfans, la nature qui a donné du lait aux meres, a pourvu à leur nourriture; & le refte de leur enfance eft fi près de l'âge où eft en eux la plus grande capacité de fe rendre utiles, qu'on ne pourroit pas dire que celui qui les nourriroit, pour être leur mattre, donnât rien.

L'efelavage eft d'ailleurs auffi oppofé au droit civil qu'au droit naturel. Quelle loi civile pourroit empêcher un efclave de fuir, lui qui n'est point dans la fociété, & que par conféquent aucunes loix civiles ne concernent? Il ne peut être retenu que par une loi de famille; c'eft-à-dire, par la loi du maître,

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