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motrices fe trouvent à tout moment fans action, eft laffe d'elle-même; l'ame ne fent point de douleur, mais une certaine difficulté de l'exiftence. La douleur eft un mal local qui nous porte au defir de voir ceffer cette douleur ; le poids de la vie eft un mal qui n'a point de lieu particulier, & qui nous porte au defir de voir finir cette vie.

11 eft clair que les loix civiles de quelques pays, ont eu des raifons pour flétrir Phomicide de foi-même: mais, en Angleterre, on ne peut pas plus le punir qu'on ne punit les effets de la démence.

CHAPITRE XI I I.

Effets qui résultent du climat d'Angle

terre.

ANS une nation à qui une maladie du climat

D'affecte tellement l'ame, qu'elle pourroit

porter le dégoût de toutes chofes, jufqu'à celui de la vie, on voit bien que le gouvernement qui conviendroit le mieux à des gens à qui tout feroit infupportable, feroit celui où ils ne pourroient pas fe prendre à un feul de ce qui cauferoit leurs chagrins; & où les loix gouvernant plutôt que les hommes, il faudroit, pour changer l'état, les renverfer elles-mêmes.

Que fi la même nation avoit encore recu du climat un certain caractere d'impatience qui ne lui permît pas de fouffrir long-temps les mêmes chofes, on voit bien que le gouvernement dont nous venons de parler, feroit encore le plus convenable.

Tome 11.

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Ce caractere d'impatience n'eft pas grand par lui-même: mais il peut le devenir beaucoup, quand il est joint avec le courage.

11 eft différent de la légéreté, qui fait que l'on entreprend fans fujet, & que l'on abandonne de même; il approche plus de l'opiniâtreté, parce qu il vient d'un fentiment des maux, fi vif, qu'il ne s'affoiblit pas même par l'habitude de les fouffrir.

Ce caractere, dans une nation libre, feroit trèspropre à déconcerter les projets de la tyrannie (1), qui et toujours lente & foible dans fes commencemens, comme elle eft prompte & vive dans fa fin; qui ne montre d'abord qu'une main pour fecourir, & opprime enfuite une infinité de bras.

La fervitude commence toujours par le fommeil. Mais un peuple qui n'a de repos dans aucune tuation, qui fe tate fans ceffe, & trouve tous les endroits douloureux, ne pourroit guere s'endormir.

La politique et une lime fourde qui ufe & qui parvient lentement a fa fin. Or, les hommes dont nous venons de parler, ne pourroient foutenir les lenteurs, les détails, le fang-froid des négociations: ils y réu firoient fouvent moins que toute autre nation : & ils perdroient, par leurs traités, ce qu'ils auroient obtenu par leurs armes.

(1) Je prends ici ce mot pour le deffein de renverfer le pouvoir établi, & tur-tout la démocratie. C'est la fignification que lui donnoient les Grecs & les Romains.

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CHAPITRE X I V.

Autres effets du climat.

os peres, les anciens Germains, habitoient un climat où les paffions étoient très-calmes. Leurs loix ne trouvoient dans les chofes que ce qu'elles voyoient, & n'imaginoient rien de plus. Et, comme elles jugeoient des infultes faites aux hommes par la grandeur des bleffures, elles ne mettoient pas plus de raffinement dans les offenfes faites aux femmes. La loi (1) des Allemands elt là-deffus fort finguliere. Si l'on découvre une femme à la tête, on payera une amende de fix fols; autant fi c'est à la jambe jusqu'au genou; le double depuis le genou. Il femble que la loi mesuroit la grandeur des outrages faits à la perfonne des femmes comme on mefure une figure de géométrie ; elle ne punifoit point le crime de l'imagination, elle puniffoit celui des yeux. Mais, lorfqu'une nation Germanique fe fut transportée en Espagne, le climat trouva bien d'autres loix La loi des Vifigoths đẻfendit aux médecins de faigner une femme ingénue, qu'en préfence de fon pere ou de fa mere, de fon frere, de fon fils ou de fon oncle. L'imagiration des peuples s'alluma, celle des légillateurs s'échauffa de même la loi foupçonna tout, pour un peuple qui pouvoit tout foupçonner.

(1) Chap. LVIII, §. 1 & z.

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Ces loix eurent donc une extrême attention fur les deux fexes. Mais il femble que, dans les punitions qu'elles firent, elles fongerent plus à flatter la vengeance particuliere, qu'à exercer la vengeance publique. Ainfi, dans la plupart des cas, elle rédui oient les deux coupables dans la fervitude des parens ou du mari offenfé. Une femme (1) ingénue qui s'étoit livrée à un homme marié, étoit remife dans la puiffance de fa femme, pour en difpofer à fa volonté. Elles obligeoient les efclaves (2) de lier & de préfenter au mari fa femme qu'ils furprenoient en adultere elles permettoient à fes enfans (3) de l'accufer, & de mettre à la queion fes efclaves pour la convaincre. Auffi furent-elles plus propres à raffiner à l'excès un certain point d'honneur, qu'à former une bonne police. Et il ne faut pas être étonné fi le comte Julien crut qu'un outrage de cette espece demandoit la perte de fa patrie & de fon roi. On ne doit pas être furpris fi les Maures, avec une telle conformité de mours, trouverent tant de facilité à s'établir en Espagne, à s'y maintenir, & à retarder la chûte de leur empire.

(1) Loi des Wifigoths; liv. III, tit, 4, §. 9: (2) Ibid. liv. III, tit. 4, §. 6.

(3) 1bid, liv. III, tit. 4. §. 13.

CHAPITRE X V.

De la différente confiance que les loix ont dans le peuple, felon les climats.

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E peuple Japonois a un caractere fi atroce, que fes législateurs & fes magiftrats n'ont pu avoir aucune confiance en lui. Ils ne lui ont mis devant les yeux que des juges, des menaces & des châtimens ils l'ont foumis, pour chaque démarche, à l'inquifition de la police. Ces loix qui, fur cinq chefs de famille, en établiffent un comme magiftrat fur les quatre autres; ces loix qui, pour un feul crime, puniffent toute une famille ou tout un quartier; ces loix, qui ne trouvent point d'innocens là où il peut y avoir un coupable, font faites pour que tous les hommes fe méfient les uns des autres, pour que chacun recherche la conduite de cha& qu'il en foit l'inspecteur, le témoin & le

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juge,

Le peuple des Indes au contraire eft doux (1), tendre, compatisfant. Auffi ses législateurs ontils eu une grande confiance en lui. Ils ont établi peu (2) de peines, & elles font peu féveres; elles ne font pas même rigoureusement exécutées. Ils ont donné les neveux aux oncles, les orphelins aux tuteurs, comme on les donne ailleurs à leurs peres: ils ont réglé la fucceffion

(1) Voyez Bernier, tome II, p. 140.

(2) Voyez dans le quatorzieme recueil des Lettres édifianies, p. 433, les principales loix ou coutumes des peuples de l'Inde, de la prefqu'ile deçà le Gange.

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