Page images
PDF
EPUB

tranfportés dans les pays du midi (1), n'y ont pas. fait d'auffi belles actions que leurs compatriotes, qui, combattant dans leurs propres climats, y jouiffoient de tout leur courage.

La force des fibres des peuples du nord, fait que les fucs les plus groffiers font tirés des alimens. Il en résulte deux chofes : l'une, que les parties du chyle, ou de la lymphe, font plus propres, par leur grande furface, à être appli-. quées fur les fibres & à les nourrir l'autre qu'elles font moins propres, par leur groffiéreté, à donner une certaine fubtilité au fuc nerveux. Ces peuples auront donc de grands corps, & peu de vivacité.

:

Les nerfs qui aboutiffent de tous côtés au tiffu de notre peau, font chacun un faifceau de nerfs ordinairement ce n'eft pas tout le nerf qui eft remué, c'en eft une partie infiniment petite. Dans les pays chauds, où le tissu de la peau eft relâché, les bouts des nerfs font épanouis, & expofés à la plus petite action des objets les plus foibles. Dans les pays froids, le tiifu de la peau eft refferré, & les mamelons comprimés; les petites houpes font en quelque façon paralytiques; la fenfation ne paffe guere au cerveau, que lorfqu'elle eft extrêmement forte, & qu'elle eft de tout le nerf enfemble. Mais c'eft d'un nombre infini de petites fenfations que dépendent l'imagination, le goût, la fenfibilité, la vivacité.

J'ai observé le tissu extérieur d'une langue de mouton, dans i'endroit où elle paroît, à la fimple vue, couverte de mamelons. J'ai vu de avec un microfcope, fur ces mamelons, petits poils, ou une espece de duvet; entre

(1) En Espagne, par exemple,

les mamelons, étoient des pyramides, qui formoient, par le bout, comme de petits pinceaux. 11 y grande apparence que ces pyramides font le principal organe du goût.

J'ai fait geler la moitié de cette langue; & j'ai trouvé, à la fimple vue, les mamelons confidérablement diminués ; quelques rangs même de mamelons s'étoient enfoncés dans leurs gaines; j'en ai examiné le tiflu avec le microscope, je n'ai plus vu de pyramides. A mesure que la langue s'eft dégelée, les mamelons, à la timple vue ont paru fe relever, &, au microscope, les petites houpes ont commencé à reparoître.

[ocr errors]

Cette obfervation confirmé ce que j'ai dit, que, dans les pays froids, les houpes nerveufes font moins épanouies: elles s'enfoncent dans leurs gaines, où elles font à couvert de l'action des objets extérieurs. Les fenfations font donc moins vives.

Dans les pays froids, on aura peu de fenfibilité pour les plaifirs; elle fera plus grande dans les pays tempérés, dans les pays plus chauds, elle fera extrême. Comme on diftingue les climats par les degrés de latitude, on pourroit les diftinguer, pour ainfi dire, par les degrés de fenfibilité. J'ai vu les opéra d'Angleterre & d'Italie, ce font les mêmes pieces & les mêmes acteurs mais la même mufique produit des effets fi différens fur les deux nations, l'une eft fi calme, & l'autre fi transportée, que cela paroît inconcevable.

Il en fera de même de la douleur: elle eft excitée en nous par le déchirement de quelques fibres de notre corps. L'auteur de la nature a établi que cette douleur feroit plus forte à mefure que le dérangement feroit plus grand : or il eft évident que les grands corps & les fibres grof

fieres des peuples du nord font moins capables de dérangement que les fibres délicates des peuples des pays chands; l'ame y eft donc moins fenfible à la douleur. Il faut écorcher un Mofcovite, pour lui donner du fentiment.

Avec cette délicateffe d'organes que l'on a dans les pays chauds, l'ame eft fouverainement émue par tout ce qui a du rapport à l'union des deux fexes; tout conduit à cet objet.

Dans les climats du nord, à peine le phyfique de l'amour a-t-il la force de fe rendre bien fenfible; dans les climats tempérés, l'amour, accompagné de mille acceffoires, fe rend agréable par des chofes qui d'abord femblent être luimême, & ne font pas encore lui; dans les climats plus chauds, on aime l'amour pour lui-même ; il eft la caufe unique du bonheur, il eft la vie.

Dans les pays du midi, une machine délicate, foible, mais fenfible, fe livre à un amour qui, dans un férail, nait & fe calme fans ceffe; ou bien à un amour qui, laiffant les femmes dans une plus grande indépendance, elt expofé à mille troubles. Dans les pays du nord, une machine faine & bien conftituée, mais lourde, trouve fes plaifirs dans tout ce qui peut remettre les efprits en mouvement; la chaffe,,les voyages, la guerre, le vin. Vous trouverez, dans les climats du nord, des peuples qui ont peu de vices, affez de vertus, beaucoup de fincérité & de franchise. Approchezdes pays du midi, vous croirez vous éloigner de la morale même; des paffions plus vives multiplieront les crimes; chacun cherchera à prendre fur les autres tous les avantages qui peuvent favorifer ces mêmes paffions. Dans les pays tempérés, vous verrez des peuples inconftans dans leurs manieres, dans leurs vices

même, & dans leurs vertus: le climat n'y a pas une qualité affez déterminée pour les fixer euxmêmes.

La chaleur du climat peut être fi exceffive, que le corps y fera abfolument fans force. Pour-lors, l'abattement paffera à l'efprit même; aucune curiofité, aucune noble entreprise, aucun fentiment généreux; les inclinations y feront toutes paffives; la paretfe y fera le bonheur; la plupart des châtimens y feront moins difficiles à foutenir que l'action de l'ame; & la fervitude moins infupportable que la force d'efprit qui eft néceflaire pour fe conduire foi-même.

CHAPITRE II I.

Contradidion dans les caracteres de certains peuples du midi.

Es Indiens (1) font naturellement fans cou

Lrage; les enfans (2) même des Européens

nés aux Indes, perdent celui de leur climat. Mais comment accorder cela avec leurs actions atroces, leurs coutumes, leurs pénitences barbares? Les hommes s'y foumettent à des maux incroyables; les femmes s'y brûlent elles-mêmes: voilà bien de la force pour tant de foibleffe. La nature, qui a donné à ces peuples une

ܳܝ )1(

Cent foldats d'Europe, dit Tavernier, n'au,, roient pas grand'peine à battre mille foldats Indiens." (2), Les Perfans même qui s'établissent aux Indes, » prennent, à la troifieme génération, la nonchalance & la lâcheté indienne, 66 Voyez Barmer, fur le Mogol, tem. 1, p. 2820.

دو

foibleffe qui les rend timides, leur a donné au une imagination fi vive, que tout les frappe à l'excès. Cette même délicateffe d'organes qui leur fait craindre la mort, fert auffi à leur faire redouter mille chofes plus que la mort. C'est la même fenfibilité qui leur fait fuir tous les périls, & les leur fait tous braver.

Comme une bonne éducation eft plus néceffaire aux enfans qu'à ceux dont l'efprit eft dans fa maturité; de même les peuples de ces climats ont plus befoin d'un législateur fage, que les peuples du nôtre. Plus on eft aifément & fortement frappé, plus il importe de l'être d'une maniere convenable, de ne recevoir pas des préjugés, & d'être conduit par la raison.

Du temps des Romains, les peuples du nord de l'Europe vivoient fans art, fans éducation, prefque fans loix : & cependant, par le feul bon fens attaché aux fibres groffieres de ces climats, ils fe maintinrent avec une fageffe admirable contre la puiffance Romaine, jufqu'au moment où ils fortirent de leurs forêts pour la détruire.

CHAPITRE IV,

des

Caufe de l'immutabilité de la religion, des manieres, des loix, dans les pays d'orient.

mœurs,

avec cette foibleffe d'organes qui fait re

Scevoir aux peuples d'orient les impreffions du monde les plus fortes, vous joignez une cerraine pareffe dans l'efprit, naturellement liée avec celle du corps, qui faffe que cet efprit ne

« PreviousContinue »