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ture les Juifs, qu'on ne regardoit pas comme eitoyens.

Enfin, il s'introduifit une coutume, qui confifqua tous les biens des Juifs qui embraffoient le chriftianifme. Cette coutume fi bizarre, nous la favons par la loi) qui l'abroge. On en a donné des raifons bien vaines: on a dit qu'on vouloit les éprouver, & faire en forte qu'il ne reftat rien de l'esclavage du démon. Mais il eft visible que cette confifcation étoit une efpece de droit (2) d'amortitlement, pour le prince ou pour les feigneurs, des taxes qu'ils levoient fur les Juifs, & dont ils étoient fruft és lorfque ceux-ci embraffoient le chriftianifme. Dans ces temps-là, on regardoit les hommes comme des terres. Et je remarque querai, en paffant, combien on s'eft joué de cette nation d'un fiecle à l'au- tre. On confifquoit leurs biens lorfqu'ils vouloient être chrétiens, & bientôt après on les fit brûler lorfqu'ils ne voulurent pas l'être.

Cependant on vit le commerce fortir du fein de la vexation & du défe poir. Les Juifs, profcrits tour-à-tour de chaque pays, trouverent le moyen de fauver leurs effets. Par-là ils rendirent pour jamais leurs retraites fixes; car tel prince qui voudroit bien fe défaire d'eux, ne feroit pas pour cela d'humeur à fe défaire de leur argent. lls inventerent les lettres (1) de change; &

(1) Edit donné à Baville, le 4 avril 1392.

(2) En France, les Juifs étoient ferfs, main-mortables; & les feigneurs leur fuccédoient. M. Brussel rapporte un accord de l'an 1206, entre le Roi &: Thibaut, comte de Champagne, par lequel il étoit convenu que les Juifs de l'un ne prêteroient point dans les terres de l'autre,

(3) On fait que fous Philippe-Augufte & fous Phi-

par ce moyen, le commerce put éluder la violence, & fe maintenir par-tout; le négociant le plus riche, n'ayant que des biens invifibles qui pouvoient être envoyés par-tout, & ne laiffoient de trace nulle part.

Les théologiens furent obligés de reftreindre leurs principes ; & le commerce qu'on avoit violemment lié avec la mauvaise foi, rentra, pour ainfi dire, dans le fein de la probité.

Ainfi nous devons aux spéculations des fcolaftiques tous les malheurs (1) qui ont accompagné la deftruction du commerce; & à l'avarice des princes l'établiffement d'une chose qui le met en quelque façon hors de leur pouvoir.

Il a fallu depuis ce temps, que les princes fe gouvernaffent avec plus de fageffe qu'ils n'auroient eux-mêmes penfé: car, par l'événement, les grands coups d'autorité fe font trouvés fi mal-adroits, que c'eft une expérience reconnue, qu'il n'y a plus que la bonté du gouvernement qui donne de la prospérité.

On a commencé à fe guérir du Machiavélisme, & on s'en guérira tous les jours. Il faut plus de modération dans les confeils. Ce qu'on appelloit autrefois des coups d'état, ne feroit aujourd'hui, indépendamment de l'horreur, que des imprudences.

lippe-le-long, les Juifs, chaffés de France, se réfugierent en Lombardie; & que là ils donnerent aux négocians étrangers & aux voyageurs des lettres feeretes fur seux à qui ils avoient confié leurs effets en France, qui furent acquittées.

(1) Voyez dans le corps du droit la quatre-vingttroifieme Novelle de Léon, qui révoque la loi de Ba file fon pere. Cette loi de Bafile eft dans Herménopule; ious le nom de Léon, livre III; tit, 7, §. 27.

Et il est heureux pour les hommes d'être dans une fituation, où pendant que leurs paffions leur infpirent la pensée d'être méchans, ils ont pourtant intérêt de ne pas l'être.

CHAPITRE X X I.

Découverte de deux nouveaux mondes: état de l'Europe à cet égard.

L

A bouffole ouvrit, pour ainfi dire, l'univers. On trouva l'Afie & l'Afrique dont on ne connoiffoit que quelques bords, & l'Amérique dont on ne connoiffoit rien du tout.

Les Portugais naviguant fur l'océan Atlantique, découvrirent la pointe la plus méridionale de l'Afrique ils virent une vafte mer; elle les porta aux Indes orientales. Leurs périls fur cette mer, & la découverte de Mozambique, de Mélinde & de Calicut, ont été chantés par le Camoëns, dont le poëme fait fentir quelque chofe des charmes de l'Odyffée & de la magnificence de l'Enéide.

Les Vénitiens avoient fait jusques là le commerce des Indes par les pays des Turcs, & l'avoient poursuivi au milieu des avanies & des outrages. Par la découverte du cap de BonneEspérance, & celles qu'on fit quelque temps après, l'Italie ne fut plus au centre du monde commerçant; elle fut, pour ainfi dire, dans un coin de l'univers, & elle y eft encore. Le commerce même du Levant, dépendant aujourd'hui de celui que les grandes nations font aux deux

Indes, l'Italie ne le fait plus qu'acceffoire

ment.

Les Portugais trafiquerent aux Indes en conquérans. Les loix gênantes (1) que les Hollandois impofent aujourd'hui aux petits princes Indiens fur le commerce, les Portugais les avoient établies avant eux.

La fortune de la maifon d'Autriche fut prodigieufe Charles-Quint recueillit la fucceffion de Bourgogne, de Caftille & d'Aragon : il parvint à l'empire; &, pour lui procurer un nouveau genre de grandeur, l'univers s'étendit, & l'on vit paroître un monde nouveau fous fon obéiffance,

Chriftophe Colomb découvrit l'Amérique ; &, quoique Efpagne n'y envoyât point de forces qu'un petit prince de l'Europe n'eût pu y envoyer tout de même, elle foumit deux grands empires, & d'autres grands états.

Pendant que les Efpagnols découvroient & conquéroient du côté de l'occident, les Portugais pouffoient leurs conquêtes & leurs découvertes du côté de l'orient: ces deux nations fe rencontrerent; elles eurent recours au Pape Alexandre VI, qui fit la célebre ligne de démarcation, & jugea un grand procès.

Mais les autres nations de l'Europe ne les laifferent pas jouir tranquillement de leur partage: les Hollandois chafferent les Portugais de pre que toutes les Indes orientales, & diverfes nations firent en Amérique des établiffemens.

Les Espagnols regarderent d'abord les terres découvertes comme des objets de conquête: des peuples plus raffinés qu'eux, trouverent qu'elles étoient des objets de commerce, & c'est là

(1) Voyey la relacion de François Pyrard, deuxieme partie, chap. xv.

deffus

deffus qu'ils dirigerent leurs vues. Plufieurs peuples fe font conduits avec tant de fageffe, qu'ils ont donné l'empire à des compagnies de négocians, qui, gouvernant ces états éloignés uniquement pour le négoce, ont fait une grande puiffance acceffoire, fans embarraffer l'état principal.

Les colonies qu'on y a formés, font fous un genre de dépendance dont on ne trouve que peu d'exemples dans les colonies anciennes, foit que celles d'aujourd'hui relevent de l'état même, ou de quelque compagnie commerçante établie dans cet état.

L'objet de ces colonies eft de faire le commerce à de meilleurs conditions qu'on ne le fait avec les peuples voifins, avec lefquels tous les avantages font réciproques. On a établi que la métropole feule pourroit négocier dans la colonie; & cela avec grande raison, parce que le but de l'établiffement a été l'extenfion du commerce, non la fondation d'une ville ou d'un nouvel empire.

Ainfi c'est encore une loi fondamentale de I'Europe, que tout commerce avec une colonie étrangere eft regardé comme un pur monopole puniffable par les loix du pays : & il ne faut pas juger de cela par les loix & les exemples des anciens peuples (1), qui n'y font guere, applicables.

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Il est encore reçu que le commerce établi entre les métropoles, n'entraîne point une permiffion pour les colonies, qui reftent toujours en état de prohibition.

Le défavantage des colonies qui perdent la

(1) Excepté les Carthaginois, comme on voit par traité qui termina la premiere guerre Punique.

Tome 11.

Z.

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